Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

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Billet de blog 22 avril 2013

Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

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Déclaration de patrimoine des ministres… encore une idée inspirée par Thomas Sankara.

Bruno Jaffré

Ecrivain, historien de la révolution du Burkina Faso (83 - 87), auteur d'une biographie du président Thomas Sankara et d'autres ouvages sur le Burkina, animateur du site thomassankara.net, animateur du réseau international "Justice pour Sankara Justice pour l'Afrique", militant associatif, membre de SURVIE, journaliste occasionnel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Thomas Sankara a dirigé une révolution au Burkina, du 4 aout 1983 au 15 octobre 1987, date à laquelle il a été assassiné, par les hommes de Blaise Compaoré, actuel dirigeant du Burkina Faso, depuis, sans interruption, avec la complicité bienveillante semble-t-il de la France.

Thomas Sankara est encore peu connu en France, mais nous nous employons, de plus en plus nombreux à le faire sortir de l’ombre. Une demande d’enquête parlementaire a été déposée par les députés du Front de gauche et ceux d’Europe Ecologie les Verts sur son assassinat. Des documentaires, des articles, ont en effet repris des témoignages mettant en cause la France dans cet assassinat. Peut-être arrivera-t-il, à cette occasion alors d’attirer l’attention des commentateurs ?

Mais là n’est pas notre propos. La déclaration des patrimoines des ministres a fait le titre de l’actualité. François Hollande l’a voulu ainsi pour marquer un grand coup politique et tenter de dépasser le scandale Cahuzac. L’occasion est trop belle pour nous d’évoquer Thomas Sankara et la révolution burkinabè.  En effet, ce dernier avait déjà  eu cette idée il y a près de 30 ans. Le conseil national de la révolution a mis en place, en février 1987, une Commission du Peuple chargée de la Prévention contre la Corruption (CPPC), dont les missions étaient:

« - de participer aux côtés des masses populaires à l’application ferme des mots d’ordre de lutte contre la corruption;

- de donner au Président du Faso un avis motivé après enquête de moralité pour toute nomination à des fonctions de responsabilité;

 -  de procéder à l’inventaire et au contrôle périodique du patrimoine de toute personne, notamment à l’occasion d’une nomination à des hautes fonctions

 - de contribuer à développer chez les militants, en particulier chez ceux qui exercent des responsabilités politiques et administratives un style de vie et une morale révolutionnaire exemplaires 

- d’examiner des dénonciations de corruption ou de trafic d’influence pour la mise en œuvre d’une répression vigoureuse ».

A l’image de l’exemple qu’il a toujours voulu donner, de rigueur et de simplicité, c’est Thomas Sankara  qui fit la première déclaration. (Voir l’intégralité à http://thomassankara.net/declaration-des-biens-de-thomas-sankara-devant-la-commission-du-peuple-chargee-de-la-prevention-contre-la-corruption-cppc-du-19-fevrier-1987/). Il  énumère : un frigidaire, 3 guitares, deux téléviseurs avec magnétoscope, dont un à son bureau, une bibliothèque, une voiture et quatre vélos ! Les commentateurs ont largement souligné, plutôt moqueurs  la déclaration de ChristianeTaubira et ses 3 vélos ! Aurait-elle par hasard voulu à cette occasion voulu rendre hommage à Thomas Sankara ? C’est bien possible bien que rien ne nous permette de l’affirmer si ce n’est un certain style.

Illustration 1
© Bruno Jaffré

Pour ce qui est des biens immobiliers,  il déclare une maison dont il payait les traites, un terrain à sa femme et un autre dans son village. Il précise à propos de ce dernier : «  Il avait été saisi par les Comités de défense de la révolution (rires dans la salle). Selon les dernières nouvelles, les CDR l’ont restitué en nous invitant à investir sur cette nouvelle parcelle. Ils l’avaient retiré parce que nous n’y avons pas investi pendant un certain nombre d’années. Donc nous avons reçu sommation de la part des CDR de réaliser quelque chose sur le terrain. Je m’acquitterai également de cette obligation que me font les CDR de mon village. ». Il termine en énumérant tous les cadeaux qu’il a eus lors des voyages officiels puis rétrocédés au budget national, quand c’était de l’argent, ou au parc de l’Etat quand il s’agissait de voiture.

Mais revenons à la France. Les patrimoines des ministres ont donc été publiés. Pour l’instant on ne sait pas trop si une commission va vérifier tout ça. On constate sans surprise que leur patrimoine est largement au-dessus de la moyenne des français mais les millionnaires sont minoritaires.

Peu d’entre eux sont actionnaires. Dans les journaux bien pensant on s’étonne que nos ministres soient de bien piètres gestionnaires et qu’ils ne savant pas placer leur argent. Moi j’aurai plutôt tendance à me réjouir que nos ministres « de gauche » aient une aversion pour la spéculation financière, qui, nous le constatons tous les jours, détruit nos sociétés en en gaspillant les richesses produites par les salariés.

Mais j’avoue douter quelque peu. Certes il y a au gouvernement quelques représentants  de la nouvelle génération de militants. Mais on y trouve aussi des rescapés de l’ère Mitterrand, celle qui a financiarisé l’économie. Pierre Moscovici qui doit être entre les deux, est connu pour sa carrière politique. Mais sait-on qu’il est vice-président du Cercle de l’industrie créé par Dominique Strauss-Kahn, qui rassemble les Présidents des grandes entreprises industrielles? Difficile avec de telles fréquentations de ne pas avoir de portefeuille d’actions sous peine tout simplement d’ailleurs de ne pas être crédible.

Il semble qu’il va être plus difficile d’obtenir les déclarations des députés. Même le président de l’assemblée nationale, avec de nombreux autres socialistes, comme à l’UMP, s’y opposent.

Ce serait du voyeurisme ! Drôle d’argument non ? Les hommes politiques ne sont-ils pas toujours à la recherche de la première caméra venue. Une bonne partie de leur activité n’est-elle pas de se montrer pour faire parler d’eux ? Alors quand ils passent sur les plateaux télé des talk show, ou se complaisent à se faire filmer à couper quelques rubans, ce serait de l’information, mais déclarer leur patrimoine ce serait du voyeurisme. On ne demande pas des photos de leur maison, ni même de savoir où elle se trouve, mais oui, on a besoin de savoir si ceux qui sont censés œuvrer pour nous sont proches de nos préoccupations.

Pour en revenir au Burkina Faso, Il n’y a pas d’autres traces connues recueillies à ce jour du travail de la CPPC. De là à penser qu’elle a été très mal reçue et qu’il a fallu faire machine arrière… Je l’ai entendu dire par des témoins de l’époque. Les tensions internes commençaient en effet à s’exacerber et la fronde s’organisait contre Sankara, en partie parce que sa rigueur et sa morale commençaient à en agacer plus d’un. Surtout ceux qui se voyaient gêner dans leurs aspirations à  profiter de leur place au sein de l’Etat pour s’enrichir.

Après son assassinat, une bonne partie des dirigeants arrivés au pouvoir grâce à  la révolution n’ont pas eu beaucoup d’état d’âme lorsque Blaise Compaoré leur a proposé de rester à leur poste. Au Burkina, tout le monde a pu constater que leur niveau de vie a, depuis, considérablement changé.

Hollande a été bien inspiré, qu’elle qu’en soient ses raisons, de faire publier les patrimoines des ministres, et de vouloir maintenant  que les députés fassent de même. Mais qu’il se rappelle ce qui est arrivé à Sankara. On ne tuera pas François Hollande bien sur, comme on a tué Thomas Sankara, mais certains, y compris chez les socialistes peuvent organiser la fronde contre lui. Lorsqu’on touche à l’argent, cette fronde peut être plus grave que celle des socialistes de gauche qui commencent à revendiquer la fin d’une politique d’austérité.

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