Smockey à la République
Ayant eu vent du passage du rappeur Smockey, à Paris, l'association SURVIE et la commissions France -Afrique de Nuit Debout organisent rondement son passage à la République. Il intervient en assemblée générale pour apporter le salut du Burkina, de la jeunesse de son pays, et du Balai Citoyen dont il est un des leaders. Acteur essentiel de l'insurrection victorieuse qui a chassé Blaise Compaoré, rappelons le, exfiltré par les troupes spéciales françaises, le Balai citoyen a en outre été très actif pour que se mette en place un début de transition.
Sa présence allait de soit. Il s'est vite senti comme chez lui. D'ailleurs, orateur né, les yeux pétillants, son humour toujours à l’affût, il a rapidement donné le ton.
A la République, on parle d'insurrection de Révolution de transformation sociale. On débat, on rêve d'une société, plus juste, plus humaine, plus fraternelle, plus démocratique. Mais on a du mal à trouver comment y arriver. De ce point de vue, l'insurrection du Burkina Faso et la transition mise en place, méritent d'être mieux connues, non comme un modèle, mais comme une expérience du possible, à étudier de façon approfondie pour ceux qui entrent en rébellion.
Après son intervention à l'AG, Smockey a répondu à plusieurs interviews de journalistes, puis il s'est rendu au stand de la Commission France-Afrique, pour débattre, aux côté de ses amis du Balai Citoyen, avec ceux qui voulaient en savoir plus sur cette insurrection burkinabè, la transition qui a suivi, puis les élections, et mis en place du nouveau gouvernement.
Smockey un des pionniers du hip hop au Burkina
Smockey, son nom est issu d'une contraction de « se moquer de », est connu depuis bien longtemps au Burkina Faso. Pionnier du hip hop au Burkina, il a créé son propre studio «Abazon », « il faut faire vite » dans la langue des Bissas, celle de son père, lui assurant son indépendance financière. Il s'est aussi fait connaître au Burkina pour son engagement à travers sa musique. Raillant le pouvoir et ses élections truquées, ses morceaux devenaient petit à petit plus critique contre le pouvoir. Sans pour autant délaisser d'autres thèmes, comme l'amour, le code noir, mais aussi des morceaux de conscientisation, contre l'excision par exemple ou l'alcoolisme. Dès la sortie de son premier album il se trouve en butte à de fortes pressions que le pouvoir exerce sur sa famille pour le faire taire. Il tient bon.
Quelques années après, quelques temps avant la sortie d'un morceau consacré à l'assassinat de Thomas Sankara « A qui profite les crimes », les menaces fusent de nouveau : convocation au ministère, intimidation, censure, pression familiale, pour empêcher Smockey d''intégrer ce morceau dans son nouvel album. En préparation. Il finit par céder pur ne pas inquiéter sa famille, mais cette épreuve va en réalité le rendre encore plus résolu à lutter contre le pouvoir de Blaise Compaoré.
Il se rapproche alors d'un autre porte parole de la jeunesse, le musicien Sam' K Le Jah, qui lui fait du reggae. Il a lui aussi a subi des menaces de mort et sa voiture a été brulée. Ensemble, ils sillonnent le pays avec l'association Ciné droit libre qui décentralise un festival, et participent à tour de rôle, ou ensemble, à de très nombreuses rencontres avec les jeunes, en province comme dans la capitale.
Smockey au cœur de l'insurrection et de sa préparation
Les partis politiques de l'opposition lancent les manifestations massives dès le 29 juin 2013. Ils s'opposent à une modification de l'article 37 de la constitution qui empêche Blaise Compaoré de se représenter aux élections prévues en 2015. Impliqué dans l'assassinat de Thomas Sankara le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré s'est maintenu depuis au pouvoir.
Ces manifestations rassemblent tout de suite des milliers puis des dizaines de milliers de personnes. Sams'K le Jah et Smockey qui se méfient des partis politiques comprennent tout de suite la nécessité de créer une structure qui doit permettre aux jeunes de s'organiser et de se sentir représentés dans le mouvement qui s'annonce. Ils créent ensemble le Balai citoyen. Connus pour leur engagement ancien, leur courage face au régime, mais aussi par leur musique qui appelle la jeunesse à se conscientiser, le mouvement prend rapidement de l'ampleur.
Le 20 octobre 2015, Blaise Compaoré, complètement coupé de la réalité de son pays décide de passer en force et de convoquer l'Assemblée Nationale pour adopter le changement constitutionnel. Dès le lendemain les barrages sont érigés dans la ville. Le Balai citoyen prend le temps de s'organiser. Très rapidement des caravanes sillonnent la ville appelant la population à empêcher le vote. Smockey, comme d'autres de ses camarades se hissent sur une camionnette et s'adresse à la population. Ils appellent déjà à chasser Blaise Compaoré. Le film ci-desous d'un dirigeant du Balai citoyen, Souleymane Ouedraogo, a fixé ces moments intenses.
Lors de la très grande manifestation du 28 octobre il monte sur scène avec ses camarades du Balai Citoyen. Ils appellent à ne plus quitter la place. Smockey, à ce moment-là, doit en même temps assurer le spectacle « Nuit Blanche à Ouagadougou » du chorégraphe Serge Aymé Coulibaly (voir thomassankara.net/spip.php?article1733), pour lequel il a composé des morceaux originaux qu'il chante sur scène. Magie du destin, les acteurs-danseurs interprètent un spectacle qui met en scène une insurrection à Ouagadougou, pendant qu'elle se déroule en ville.
Le premier jour de l'insurrection, le 30 octobre, la ville est envahie par les forces de l'ordre et les militaires venus avec des chars. Smockey ne parvient pas à rejoindre le rendez-vous du Balai Citoyen. Il doit emprunter un énorme détour pour approcher l'assemblée nationale. Parti avec un seul ami, le groupe grandit en entraînant avec eux les groupes d'insurgés rassemblés autour des barrages. Finalement, mégaphone en main, il se trouve à la tête d'une foule compacte qu'il dirige. On le voit dans les images du film « Une révolution Africaine, les dix jours qui ont fait chuter Blaise Compaoré » réalisé par GideonVink et Boubacar Sangaré produit par Semfilms (voir http://www.droitlibre.net/une-revolution-africaine-les-dix-jours-qui-ont.html). Smockey insiste sur le côté pacifique de l'insurrection. Invité lors de l'édition 2015 du festival Africolor, il a raconté comment il devait calmer l'ardeur de son groupe. Lorsqu'il ne contrôlait plus la violence, il se mettait à chanter l'hymne nationale ce qui avait le pouvoir de calmer les plus excités.
Le lendemain, les membres du Balai citoyen décident de faire le siège de l'Etat Major. Ils appellent plusieurs leaders de la société civile à venir avec eux rencontrer les chefs militaires et avancent deux revendications, la sécurisation du pays, et le départ de Blaise Compaoré. Smockey participe aux négociations en sortant régulièrement dehors pour informer la foule impatiente qui s'est agglutinée, que Sams'K Le Jah tente de contenir. Les militaires choisissent parmi eux un porte parole qui se proclamera le président. Smockey fera partie de ceux qui accompagneront le lieutenant colonel Zida à la place de la Révolution, les officiers alors inquiets pour leur sécurité, ayant souhaité être encadrés par des membres de la société civile !
Il nous a raconté avec humour qu'il tenait une fesse de Zida, hissé par des jeunes militants, en hauteur, pour s'adresser à la foule. Avec d'autres leaders de la société civile, en particulier Sams'K Le Jah et Guy Hervé Kam, un avocat porte parole du Balai citoyen, ils passent le reste de la journée à discuter avec les militaires.
Smockey parmi les cibles des putschistes de septembre 2015
Le 16 septembre 2015, alors que les élections sont prévues dans quelques semaines, le général Gilbert Diendéré, véritable numéro 2 du régime de Blaise Compaoré, ancien Chef du RSP (régiment de sécurité présidentiel) déclenche un coup d’État. Très rapidement la résistance ce met en place.
Une réunion de crise est organisée à la Maison du peuple au centre ville. Smockey prend la tête d'une marche qui se dirige vers Kossyam, le palais présidentiel tandis que Sams'K tente de s'y rendre en voiture. La manifestation est stoppée par des tirs de barrage. A la dispersion, les militaires pourchassent les manifestants. Dans tous les quartiers de la capitale, la population s'organise et occupe les rues, organise des barrages partout dans la ville. Le Balai citoyen et ses militants sont présents avec les militants d'autres organisations de la société civile, des syndicats et des partis politiques.
Lorsque Smockey tente de rentrer chez lui au petit matin, il est pourchassé par les militaires du RSP. Une véritable course poursuite dans les rues de la ville. Il réussit à s'échapper mais les militaires attaquent son studio et le détruisent au lance roquettes. Sa femme, ses enfants et sa mère, présents sur les lieux, doivent sauter par dessus le mur. Il entre dans la clandestinité et doit changer de planque tous les deux jours. On le verra une fois en photo sur facebook, lorsqu'il viendra rendre visite à des militants du Balai citoyen, pour les rassurer sur sa personne et les encourager à poursuivre la résistance.
Le coup échouera et les auteurs sont emprisonnés. Il a permis que la situation se clarifie, et surtout la dissolution du RSP, que les autorités de la transition n'arrivaient pas à proclamer. Cette victoire sonne comme un parachèvement de l'insurrection.
Bruno Jaffré