Samedi 5 février 2022
J’ai reçu en cadeau le DVD du film Josep à Noël. Mon beau-fils était ravi, sans nul doute, d’avoir trouvé une pépite qui me plairait, un film portant sur des thèmes qui me sont chers, la Guerre d’Espagne (vécue par ma grand-mère et mes parents), ainsi que les arts graphiques. En 1936, ma famille était dans le « bon camp », selon les valeurs et critères de l’intelligentsia de gauche. Ma grand-mère anarchiste a combattu en tant que milicienne et l’a payé de cinq années de prison. Mon père communiste a dû quitter l’Espagne gouvernée par Franco. Eh bien, je dois dire qu’au bout de vingt minutes de visionnage, je me suis dit : « Apaga y vámonos », comme on dit en Espagne, c’est-à-dire « On éteint et on s’en va », phrase employée lorsque l’on veut mettre fin à une situation particulièrement ennuyeuse ou déplaisante.
Je reviendrai à ce film, je le regarderai jusqu’au bout car j’aimerais pouvoir évaluer en connaissance de cause ses qualités cinématographiques, esthétiques. Il le mérite. Mais je connais bien l’Espagne et vis de près la situation conflictuelle présente, grave, générée par les nationalismes. Je ne veux pas faire l’autruche et ne pas voir qu’il y a tout de même « anguille sous roche » quant aux contenus subliminaux dans ce DVD. Les vingt premières minutes sont un petit joyau du révisionnisme historique pratiqué par les nationalistes catalans.
Dès le générique, le « soutien » de la télévision catalane TV3 (télévision publique, financée par les deniers publics, les impôts de tous les Catalans, nationalistes ou pas) me met la puce à l’oreille. Elle est devenue un fleuron de télévision de propagande du gouvernement nationaliste actuel, et diffuse des messages dont les intellectuels de gauche et les médias devraient avoir honte, qu’ils devraient condamner sans nuance s’ils veulent rester cohérents avec leurs principes, au lieu de se complaire dans une cécité complice. Je laisse ici quelques liens pour donner des exemples du discours racialiste et réactionnaire qu’elle promeut plus ou moins ouvertement[1]. Cette chaîne de télévision catalane est au service d’élites qui ont instauré un régime illibéral et tentent d’imposer un totalitarisme ethnoculturel (appelons les choses par leur nom, même entre gens de bonne compagnie), sans respecter la pluralité réelle de la société catalane. Elles ont offert aux citoyens le nationalisme comme solution à la crise, et écran de fumée pour masquer la corruption endémique dans la région.
Ajoutons à cela la participation de M. Sergi López (voix de Josep, je suppose), figure notoire du séparatisme catalan … Si je reconnais ses talents d’acteur, je dois dire que ses prises de position m’empêchent maintenant de savourer un film que j’aimais autrefois, Le Labyrinthe de Pan, dans lequel il incarne, sans surprise, un très méchant militaire franquiste. Elle est caricaturale et lassante, cette utilisation orientée de l’histoire d’Espagne, un véritable fonds de commerce … J’ai renoncé pour ma part à regarder ce film tant cette manipulation partisane m’écœure désormais.
Le film Josep s’ouvre sur une évocation de la Guerre d’Espagne, encore et toujours, sujet ô combien mythifié, depuis longtemps, en France. Il est devenu l’un des thèmes préférés du nationalisme catalan qui enseigne dans les écoles de la région que la guerre d’Espagne a vu s’opposer la Catalogne républicaine et … l’Espagne franquiste. L’adolescent du film, Valentin, parle à son grand-père de la « 2ème G. M. » qui commença en 1939 ; celui-ci lui parle alors de l’autre guerre (la Guerre d’Espagne) : « Moi, je te parle de février 39, quand Barcelone tombe ; 500 000 réfugiés cherchent un abri en France. ». C’est entendu, la fin de la guerre d’Espagne, c’est la chute de Barcelone, et la Retirada est une affaire de Catalans !!!!!!!!!!! Exit la résistance acharnée de villes comme Madrid, Albacete, Valence, d’une partie de l’Andalousie, autant de villes et régions rayées de l’évocation qui est faite du conflit par la propagande nationaliste catalane. Exit la chute des dernières villes républicaines qui résistèrent à Franco : Madrid, tombée le 28 mars 1939 ; Valence, tombée le 29 mars, ainsi qu’Alicante ; Albacete, tombée fin mars également ; la région de Guadix (Grenade, Andalousie) dont était originaire la famille de mon père, conquise par les troupes franquistes le 29 mars ; Castellón, la toute dernière à avoir résisté.
Madrid n’est mentionnée dans le film que pour parler de la fiancée de Josep, qui aurait été madrilène (elle était en fait andalouse[2]), dont il est dit qu’elle est belle MAIS madrilène : « Elle pouvait pas être parfaite », ajoute la femme qui parle avec Josep … Que Madrid ait été ravagée jusqu’aux derniers jours de la guerre par les combats, les bombardements[3], importe peu, ce qu’il est important de retenir est que la qualité de « madrilène » est peu recommandable (cela semble être de l’humour teinté d’une tendre fraternité ! Mais, de mon point de vue, c’est juste de l’ethnicisme élégant …). Pas tout à fait en accord avec les beaux idéaux de l’Espagne républicaine, ce jugement de valeur … mais si conforme à la pensée racialiste qui a cours malheureusement en ce moment même dans la Catalogne séparatiste …
L’admiration vouée à l’héroïsme des républicains espagnols, confondus en un grand tout indistinct (mais catalan), a sans doute fait rêver l’auteur, Aurel. Il faut reconnaître que cette attitude d’admiration sans bornes, acritique, fut et est encore aujourd’hui aussi peu clairvoyante que la passivité des démocraties dans les années 30, abandonnant ces mêmes républicains à leur triste sort dans leur lutte contre le fascisme européen. Lâcheté condamnable sans appel ? Je l’ai cru longtemps ; j’en suis moins sûre aujourd’hui. Aurel dénonce généreusement cette injustice, mais on peut comprendre qu’un gouvernement de gauche comme celui de Léon Blum ait pu hésiter à aider la République espagnole si l’on cesse d’idéaliser cette dernière benoîtement. Les démocrates sincères n’avaient pas forcément envie d’importer sur leur territoire les conflits idéologiques interminables et destructeurs, et le chaos dans lequel avait sombré ce régime élu, il est vrai, plutôt démocratiquement : la dictature du prolétariat, les luttes acharnées et sanglantes entre communistes et anarchistes, la violence sociale poussée au paroxysme, les assassinats politiques, etc. La principale victime de ces excès idéologiques fut la population espagnole, toute la population espagnole qui avait majoritairement soif de liberté et de justice sociale, et elle se trouvait répartie sur l’ensemble du territoire national, dans toutes les régions. C’est de ce point de vue que l’on peut dire que cette évocation de la guerre, en ce début de film, est tendancieuse.
Les textes du Musée de l’histoire de l’immigration expliquent bien que les vaincus affluèrent vers la frontière de toute l’Espagne[4]. Le point de passage de la frontière le plus aisé était le littoral méditerranéen. Andalous, madrilènes, valenciens, etc. remontèrent vers la Catalogne pour entrer en France. Pour les nationalistes catalans, il est facile de tronquer insidieusement la réalité historique ; ils ne sont pas loin d’affirmer, parfois, que tous ou la plupart des républicains exilés étaient catalans puisqu’ils venaient de Catalogne. La réalité est bien sûr tout autre.
On retrouve cet accaparement du « beau rôle », celui du soldat républicain héroïque en lutte contre le fascisme, dans la tentative de mainmise sur la mémoire de la guerre et de l’exil, à travers l’ouverture de mémoriaux financés en partie par la Generalitat de Catalogne : le MUME, par exemple, ou encore le projet de Centre de Mémoire de l’Exil républicain décrit en 2017 par le journal L’Indépendant comme « un site spécifiquement dédié à l’histoire de l’exil des républicains espagnols et catalans »[5] (CQFD : les Catalans ne sont pas des Espagnols …). C’est qu’ils se sont construits une guerre pour eux tous seuls, les nationalistes catalans, et ils ne veulent en partager ni la mémoire, ni l’héroïsme. Et bien sûr, ils ont jeté des pelletées de sable sur la collaboration de la bourgeoisie catalane avec le régime de Franco qui l’avait sauvée du communisme.
C’est malheureusement cette même optique solipsiste qui transparaît en filigrane dans les vingt premières minutes du film d’Aurel qui évoquent le conflit.
Pour conclure, je ferai simplement un vœu. Je souhaiterais que l’on cesse d’exploiter dans le présent le filon de la guerre d’Espagne à des fins de manipulation idéologique (intentionnelle ou « naïve »), ce qui équivaut pour moi à la dégradation, le dévoiement d’une histoire tragique. Je voudrais que l’on cesse de me voler mon histoire, celle de mes parents, que j’hésite à évoquer maintenant par peur de rejoindre les rangs des apôtres de la victimisation intéressée.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=bxl-O5NjxeA,
ou encore
[2] Pour beaucoup de nationalistes catalans, l’Andalousie, « c’est l’Afrique » ! C’est donc pire que Madrid, mais le véritable rival économique et culturel, c’est Madrid, garante selon eux d’une vision unifiée de l’Espagne.
[3] https://www.elespanol.com/cultura/historia/20190316/mapa-bombas-franco-devastaron-madrid-capital-zonas/383462984_0.html
[4] https://www.histoire-immigration.fr/dossiers-thematiques/caracteristiques-migratoires-selon-les-pays-d-origine/la-retirada-ou-l-exil
[5] https://www.lindependant.fr/2017/10/10/perpignan-le-centre-de-memoire-sur-l-exil-republicain-ouvrira-bien-en-2019,3059090.php