Lundi 7 février 2022
J’ai repris et achevé le visionnage du film Josep (2020, Aurel) avec un certain plaisir et même de l’émotion. Je n’ai pas complètement réussi, cependant, à dépasser ma première impression, mon sentiment d’agacement face à une approche résolument caricaturale de la Guerre d’Espagne. Tout est en noir et blanc, le camp des bons (sur lequel je tente d’apporter quelques éclaircissements dans mon texte précédent) contre le camp des méchants, si facilement identifiables grâce à l’emploi de clichés : l’Espagne franquiste sous les traits d’un dignitaire parlant espagnol (complexe, la question de la langue …), mais aussi d’un garde civil moustachu très « ibérique » ; la Mort, personnifiée, attifée d’une sorte de « mantón de Manila » qui lui donne des allures décidément très hispaniques …
Le film est pourtant attachant lorsqu’il pose le problème de la conservation de la mémoire par une transmission de récit, le récit d’un grand-père à son petit-fils (ce grand-père est un héros plein d’humilité qui n’a fait qu’écouter sa conscience lorsque celle-ci lui dictait la compassion).
De même, la seconde partie de l’œuvre exhale une beauté fraîche par l’utilisation des couleurs vives, exotiques, du Mexique, celles-là mêmes qu’utilisait Frida Kahlo.
Or, c’est une citation de cette artiste qui constitue, me semble-t-il, le cœur de l’œuvre d’Aurel. Elle pose la problématique esthétique des rapports entre la ligne, le dessin, et les couleurs, problématique que l’on retrouve dans l’œuvre de Josep Bartoli.
Pour ma part, cette citation m’a fourni une clé de lecture du film et m’a permis d’identifier où se situe l’ambiguïté de son contenu :
« Tu te caches derrière tes lignes. Tu restes loin de ton sujet. Tu caricatures parce que ce que tu as vécu, ce que tu gardes dans ta mémoire, te fait peur. Le jour où tu accepteras enfin la couleur, tu auras apprivoisé ta peur ».
Je dirai que tout le film reste prisonnier d’un mode de représentation caricatural, malgré quelques beaux passages sensibles et émouvants. Comme le souhaite Josep, dans le film, lorsqu’il est question de réunir ses propres dessins dans des recueils et de les imprimer, Aurel a chargé les noirs et les blancs au détriment de la nuance. Le fait est que nous ne sommes pas Josep Bartoli (nous, c’est-à-dire les téléspectateurs actuels, Aurel, moi-même), nous n’avons pas à nous identifier sans recul à cette génération ; nous n’avons pas vécu, souffert dans notre chair, les atrocités de la guerre. Adhérer au pathos et refuser de penser, même si l’on se sent le devoir de rendre hommage à ses parents ou grands-parents, n’est pas un geste généreux envers les nouvelles générations, envers les jeunes. Perpétuer des images immuables qui figent les événements dans des représentations sans nuances, par exemple des héroïsmes simplistes, aboutit à voler à ces jeunes leur imaginaire et l’expérience de la vie qu’ils ont à faire par eux-mêmes. Par conséquent, si nous nous enferrons dans le pathétisme, ce ne peut être parce que nous avons peur. Alors, surgit le doute et l’idée que, depuis le présent, est calculée l’utilité de cette tragédie. Le film met en scène la transmission d’une mémoire, certes, mais veillons à ce qu’elle ne soit pas, en fait, la confiscation de la mémoire et de l’intelligence des faits par une histoire officielle …