Voilà six semaines que je n’ai rien écrit, ni ici ni là…
Des amis, des copines, des gens qui prennent le temps de me lire (et de comprendre ce que je dis) m’écrivent et s’inquiètent « Tu vas bien ? », « Rien de grave ? », « Quoi de neuf, Bruno ? »
Non, tout va bien, rien de nouveau sur le front des métastases, mes ami(e)s, calme plat.
Je tutoie mon oncologue, je fais du sport avec mon cardiologue que je tutoie aussi, mon radiologue ne peut pas s’empêcher de sourire quand il me reçoit pour m’expliquer que mon foie n’est pas (encore) atteint, d’après l’IRM.
Rira bien qui rira le dernier.
Non, tout va bien.
J’en ai pour dix ans à me faire examiner de fond en comble, sous tous les angles, deux fois par an, c’est ce qui explique en partie mon absence : oncologue à l’Institut Curie, à Paris, cardiologue à Lyon, ophtalmo à Saint-Étienne, radiologue et labo à Roanne… janvier et juillet (ou août, mon oncologue prenant ses vacances en juillet) je sais que je suis « booké » grave ta mère, en janvier et en juillet !
Nathalie et moi en profitons pour revoir des potes que l’on a lâchement abandonnés à Paris, les pauvres. Nos voyages sont de petites lunes de miel.
Je me demande comment vont évoluer mes relations avec ces spécialistes : nous nous tutoyons six mois seulement après le diagnostic du cancer de l’œil, mais dans trois ou quatre ans, s’ils sont toujours en poste, que va-t-il se passer ? On va partir en vacances ensemble ? Visiter l’Ardèche ? Descendre les Gorges du Verdon en canyoning ? Se saouler ? Fumer des pétards ? On va coucher ensemble, peut-être, mon oncologue est une femme ravissante ??!! Et Nathalie, alors ? Elle m’accompagne partout, j’ai besoin d’elle, merde !
Je suis d’une nature ouverte, c’est sûr, mais j’ai beaucoup de mal à contenir ma sensibilité extrême, je suis un sentimental…Nathalie et personne d’autre, Sophie, Sophie, c’est le prénom de mon oncologue.
Je n’ai donc pas vu passer le mois de janvier. Presque 2000 kilomètres au compteur à chaque voyage…
En février, je reçois un message perso du Club qui m’informe qu’ils ont décidé de dépublier un billet que j’avais écrit deux ans plus tôt, en mars ou en avril 2020, je parlais de l’homosexualité des chauves-souris.
Il y a des chauves-souris homosexuelles très susceptibles à Médiapart. Le Club est solidaire, c’est rassurant, ils sont du bon côté, pas moi.
Il paraît que certains abonnés se sont offusqués du ton que j’ai employé…ils ont procédé à ce que techniquement on appelle, en langage médiapartien, un « signalement », « berichterstattung » en allemand.
À l’heure actuelle, je ne sais toujours pas s’ils se sont offusqués à cause des chauves-souris ou de l’homosexualité. Les deux ? Non, quand même !
Deux ans à ruminer ce billet, c’est long quand on y pense.
Le Club n’a pas pu, ou pas su, résister à la pression des « signaleurs ». Soit.
C’est la deuxième fois.
Donc, si je résume, je suis un raciste anti-magrébin, anti-marocain pour être précis, j’ai un billet qui a été dépublié il y a un an, et maintenant je suis homophobe.
À ce rythme-là, je vais devenir un nazillon, c’est Poutine qui aura raison !
C’est malin !
J’ai donc passé le mois de février à me poser des questions existentielles sur la connerie envahissante qui gagne du terrain, partout, ici même, à tous les étages.
En Ukraine aussi, mais là, j’ai moins envie de sourire, j’espère qu’aucun poutimophile ne va me dénoncer au Club, maman, j’ai peur !
On me conseille de prévenir les lecteurs avec une petite formule du genre « Attention, humour ! », j’avoue avoir du mal à m’y résoudre, je n’ai même pas envie de leur expliquer pourquoi…d’ailleurs, s’ils étaient capables de comprendre pourquoi je me refuse de coller ce type d’étiquette, ils ne me le proposeraient pas…CQFD.
Et pourtant, lutter contre la connerie envahissante, sous toutes ses formes, est une exigence, l’humour, l’ironie, la dérision, le persiflage sont des armes légales ; la vigilance aussi, il faut dégainer à temps et ne pas louper ses cibles.
Mon maître, Pierre Desproges, expliquait qu’on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde, c’est confirmé. Tristement.
À tous ces abonnés et à ceux qui les suivent bêtement, tragiquement, je me permets de vous adresser cette pensée pleine de bon sens qui recèle une évidence qui devrait faire échos à votre sagacité :
« Que la nature est prévoyante ! Elle fait pousser les pommes en Normandie sachant que les indigènes de cette province ne boivent que du cidre. »
J’espère que vous n’avez rien contre les pommes ni contre les « indigènes » ni contre la Normandie, je suis certain que vous allez vous reconnaître.
Merci à Henry Monnier qui m’a précédé dans cette lutte acharnée contre la connerie envahissante, on l’aura reconnu.
Le combat continue, les cons bas du front ne gagneront pas !