Hier, en fin d'après-midi, je suis tombé sur l'émission "c dans l'air" animée par Yves Calvi avec un thème alléchant, mais prometteur, en ces temps de libéralisme triomphant : "A gauche toute".
Tout un programme !
Ou une menace...
Il s'agissait, en fait, d'anticiper sur le contenu de la loi Macron, comprendre la stratégie politique du gouvernement et les grandes orientations qui en découlent, soupeser sa consistance, sa sincérité, son orthodoxie ou ses contradictions en matière de socialisme, un courant politique dont on n'arrive plus à mesurer l'originalité ni la raison d'être, dilué qu'il est dans son incapacité endémique à faire face aux défis de notre société et voué à l'échec perpétuel, rongé par des courants inconciliables, miné par des égos surdimensionnés...
"Etre socialiste, ça veut dire quoi ?", "être socialiste pour quoi faire ?"
Rien de moins !
Calvi s'y connait en matière d'orthodoxie socialiste.
En contradictions aussi.
J'ai d'abord été étonné par les sourires des spécialistes que Calvi avait invité pour débattre avec lui, apparemment le socialisme fait rire, ils se sont bien amusés tout au long de l'émission, le ton était badin, une bonne humeur contagieuse, l'euphorie pointait le bout de son nez à chaque instant, à chaque intervention.
C'est aussi cela la victoire du libéralisme, elle se manifeste par de tout petits détails...
L'animateur a cru bon de relancer le débat qui venait, pourtant, à peine de commencer : "Depuis 40 ans, le socialisme se cherche et propose de magnifiques projets qu'ils s'empressent d'abandonner dès qu'ils ouvrent les portes du pouvoir, c'est à dire dès qu'ils sont confrontés à la réalité des choses"
Calvi donne le "la", balise le chemin, interdit les digressions ; par "magnifique" il veut dire irréaliste. Et stupide. Et naïf...
"40 ans" nous font remonter à l'élection de VGE, c'est à dire à 1974, mais pourquoi donc ?
Il faut peut être mieux remonter à Pierre-Joseph Proudhon, à Engels et Marx ? au début du 19e ? aux origines du socialisme ? à peine je me faisais cette réflexion que j'entends Calvi citer Proudhon, Marx et Engels ! patatras ! il parle même du Capital...
Du très lourd !
Un tel recul historique m'a conduit à persévérer, d'aucun dirait à m'entêter...
De citer, pêle-mêle, le "virage" de 1983 et "la conversion au réalisme" de Pierre Mauroy, Rocard qu'on préférait à Fabius, j'en passe, sans oublier Macron et Valls, nous y reviendrons, bien sûr.
Soit le socialisme est utopique, sympathique et inutile, soit il est incompétent, nuisible et toxique ; il pourrait même être "menteur" voire "tricheur" car "les socialistes ne peuvent pas ignorer la réalité des choses"...
Tricheurs, donc.
Les termes de l'alternative proposées par Calvi sont clairs ; un peu fatigué, je me dis qu'à tout prendre, je ne suis pas très loin d'opter pour l'utopie socialiste mais il n'y a pas de débat, je fais fausse route.
Misère du journalisme.
La cause est entendue, le socialisme français n'a pas fait son "Bad-Godesberg", cette subtile conversion à la social-démocratie que le SPD allemand a entamé dès 1959 et qui lui a servi de programme politique jusqu'en 1989.
Ou, plutôt si, d'après un intervenant pointu, un sondeur je crois, le socialisme français aurait bien fait sa mue en 1983, avec le fameux "virage" dont Mauroy était le père, sans rien dire, discrètement, dans la confusion, sous la pression d'une économie dévastée par l'incompétence de Mitterrand car si on aime la franchise de la social-démocratie allemande on déteste ce socialisme français qui avance à visage masqué, les héritiers de la SFIO et du PSU sont sournois, c'est évident.
Et Willy Brandt une colombe...
Macron illustrerait mieux que personne, mieux que Valls (c'est peu dire) cette contradiction : hier unanimement classé "à droite" et tenant d'un libéralisme échevelé qui trahissait les valeurs d'un socialisme vertueux mais inefficace, donc moribond, il est devenu, en l'espace de 48 heures, un "vrai social-démocrate", un recours possible pour une autre gauche, elle aussi authentique, qui se serait enfin réconciliée avec les chiffres sans pour autant se renier...ouf !
Une petite phrase lancée contre Pierre Gattaz, une autre contre "un MEDEF provocateur" -dixit Valls- aura suffi à faire chavirer les critiques, peut être même les cœurs...en tout cas Calvi qui commence à voir poindre chez Macron d'incontestables qualités de gestionnaire.
Calvi gobe, ses sbires aussi, mais insiste tout de même sur la refondation d'un parti politique menacé par des élections qu'ils sont certains de perdre, menacé aussi par des frondeurs qui commencent à faire peur...coincé sur sa gauche, Macron était obligé de "faire quelque chose" sous l’œil bienveillant et le contrôle de Manu Valls qui prend date pour 2022-2027...car Calvi en est certain, Valls se représentera en 2027 ! il n'a rien dit sur 2032.
Ni socialiste, ni libéral, Macron est un calculateur froid, cynique, un politicien madré, un tacticien diabolique, bref un homme d'avenir, Calvi est admiratif devant un homme aussi jeune et déjà tellement habile, "il apprend vite" dit-il, l’œil humide.
La bave du crapaud !
On se perd, on ne sait plus si c'est le Macron néo-libéral qu'il faut encenser ou le social-démocrate qu'il faut flinguer ; ou l'inverse ! Dénoncer la dérive voire la trahison d'un homme à l'encontre d'un parti dont on vient de dire qu'il ne sevrait plus à rien n'a aucun sens ; faire l'éloge de ses compétences serait contradictoire, Calvi et son équipe ne savent plus comment interpréter "ce ministre qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas"...on comprend leur embarras.
A la décharge -ce n'est pas encore tout à fait un slogan- de Calvi, il est vrai que le libéralisme continue de gagner du terrain ; vrai aussi que Hollande a demandé à Macron de calmer une Chancelière au bord de la crise de nerf et un Juncker désespéré de voir la France en retard d'un convoi de réformes.
Qui mieux que Macron, en effet, pour cette délicate mission ?
Le libéralisme : c dans l'air, on est d'accord, on le sait, on le constate tous les jours, malheureusement.
Mais franchement, il n'y a pas de quoi en rire.