Le périmètre microéconomique, celui de l'entreprise, est un sujet concret qui s'adresse à tous les salariés.
En France ce sont 22.8 millions de salariés et plus de 3 millions d'indépendants, au total près de 26 millions de gens directement concernés, sous cet angle c'est donc un sujet passionnant.
En France, en Europe, dans le monde.
L'objet des recherches d'Oliver Hart et de Bengt Holmström, récompensés il y a peu à Stockholm, traite des contrats au sens large : contrat de travail employeur-employé, entre donneur d'ordre et sous-traitant, contrat explicite, implicite, collaborateur-manager, actionnaire-dirigeant...
Le fonctionnement de l'entreprise est vu comme un ensemble de contrats qui gèrent plus ou moins bien, plus ou moins efficacement, un ensemble de relations complexes exposées à des aléas endogènes et exogènes : le retournement du marché, la concurrence, la crise économique, la maladie de l'employé...autant d'évènements qui peuvent donner lieu à des ajustements, à des transactions voire à des compromis. Le périmètre du "contrat" est quasi infini, il fait le bonheur des juristes et l'angoisse des DRH et des managers. Le salarié, lui, est pieds et poings liés - et isolé - face à cette culture technique qui commence à se développer dans un contexte de crise qui a pour nom "chômage", il n'a ni le temps ni les moyens de s'approprier ce contenu dont pourtant il va dépendre.
Prévoir ce qui peut l'être, s'adapter aux changements, faire face à l'imprévu, se battre en ordre sérré contre une éventuelle crise telle est donc l'ambition du contrat.
Les deux économistes ont tenté de modéliser ces relations complexes. Il parait qu'aujourd'hui encore on s'inspire de leurs travaux.
Une des principales caractéristiques d'un contrat entre un employeur et un employé est la notion de "risque partagé" : l'employeur qui vient de recruter un collaborateur ou une collaboratrice n'est pas certain d'avoir fait le bon choix, seul l'avenir le dira et encore... de la même façon un salarié qui intégre une entreprise ne sait pas s'il va réellement disposer de tous les moyens nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
Un constat s'impose : cette vision est romantique, elle est dépassée, totalement obsolète.
Le capitalisme a d'abord appauvri la relation employeur-employé, le libéralisme est en train de l'achever, le "contrat" dont parlent nos deux éminents économistes est vidé de toute substance : le CDD, en devenant la norme, aspire puis asphyxie le salarié, son choix est simple, dramatique en fait : soit il se soumet, soit il va pointer au Pôle Emploi.
Pire qu'une menace c'est un chantage.
Aujourd'hui 85% des contrats sont - encore - des CDI mais 87% des recrutements se font sous la forme de CDD, 70% de ces nouveaux contrats sont signés pour une durée de 1 mois.
Hier un contrat CDD sur deux se transformait en CDI, aujourd'hui un sur cinq !
La précarité est devenue une arme libérale, une arme létale, cette précarité qui porte un autre nom dans les sphères politiques et au MEDEF : la FLEXIBILITE.
L'entreprise ne veut plus prendre aucun risque, hier "collaborateur" (au sens noble du terme) le salarié est devenu une menace dont il faut se méfier, le salarié et son contrat de travail en CDI est un ennemi potentiel dont il faut limiter la dangérosité car il peut tuer l'entreprise...le salarié avec son CDI est une bombe à retardement. Vive le CDD !
L'Allemagne libérale de Merkel, la Grande-Bretagne ultra libérale de Theresa May s'énorgueillissent de proposer des contrats - renouvelables - d'une journée...une économie devenue folle qui a cassé la notion de réciprocité d'intérêts, nous sommes entrés dans un cercle vicieux du type win-lose attitude.
Le discours libéral entendu chez Valls et chez Macron rejoint celui de Juppé, de Sarkozy et des autres, il a ceci de toxique : il se propage et se généralise avec quelques variables d'ajustements, mais la logique reste la même.
Quand Macron et NKM demandent aux jeunes diplômés de considérer, dorénavant, les entreprises comme des "clients" et non plus comme de potentiels employeurs, ils ruinent définitivement la qualité et les spécificités de la relation employeur-employé dont le contrat de travail était la base et le socle.
Hier salarié, aujourd'hui auto-entrepreneur, le transfert de risques -et de charges - doit être entièrement supporté par l'homme ou la femme nouvellement diplômé(e) qui arrive sur le marché du travail, c'est le sens donné aux "clients".
Au-delà des hommes et des femmes politiques, c'est tout un système économique qui dicte sa loi, la "démocratie", c'est à dire le peuple, n'a plus rien à dire sauf lorsqu'il s'agit de renflouer les caisses et les trésoreries des entreprises et des banques vidées par de folles enchères comme ce fut le cas en 2007.
On ne peut pas demander à des économistes qui ont réalisé leurs études entre 1970 et 1980 de prendre en compte une série de données qu'on observe aujourd'hui et dont l'amorçage a commencé il y a une petite dizaine d'années.
En revanche on peut s'intérroger sur le choix de ceux qui ont décidé de les récompenser.
Un choix politique ? Une nostalgie ? L'arbre qui cache la forêt ?
En tout cas un "Nobel" à contre-courant.