En sortant du tribunal, Ns a été, malheureusement, victime d'un tragique accident de la route.
Les secours, alertés par un bracelet électronique qui avait cessé d'émettre, n'ont rien pu faire.
À son arrivée au Paradis, Saint-Pierre l’accueille avec un sourire embarrassé :
— Bienvenue, Nico ! Je ne peux pas te le cacher plus longtemps, nous avons un gros problème… On voit si rarement des présidents ici qu’on ne sait pas trop comment faire avec toi. Le Grand Patron a décidé que tu devrais passer une journée en Enfer et une autre au Paradis avant de choisir où passer l’éternité. On te laisse le choix, j'espère que tu apprécies le geste.
— Mais j’ai déjà choisi ! Je veux rester au Paradis !, dit-il, en dodelinant de la tête et en haussant nerveusement les épaules.
— Désolé, mais ici, on a des règles et nous les respectons, nous !
Des propos lourds de sous-entendus de la part d'un saint homme qui n'est probablement pas abonné à Médiapart.
Sans attendre, Saint-Pierre l’accompagne vers un ascenseur qui l’emmène tout droit en Enfer.
Portes ouvertes : surprise !
Ns découvre un splendide terrain de golf sous un ciel bleu éclatant, 24 degrés parfaits. Un magnifique club-house au loin. Devant, une brochette de visages familiers : son père, de Gaulle, Pompidou et une bonne partie de la droite française ainsi que Jean-Marie Le Pen qui vient d’arriver. Tous portent des tenues chics, décontractées (LVMH, Dior, Versace, Armani, le diable a du goût, cela le rassure).
— Nicoooo !, le hèlent-ils, en accourant, c'est le chouchou, il faut dire qu'il a tout fait pour, une flèche dans son genre !
On l’embrasse, on le congratule, on refait le monde en riant, on joue au golf, on festoie au homard et au caviar. Le Diable en personne lui tend un cocktail fait maison.
— Bois donc cette excellente Margarita et détends-toi, Nico ! Claude Guéant, affalé sur un Chesterfield rouge, est en train de cuver.
— Euh… j’ai arrêté, j’ai fait un serment à Carlita, c'est du sérieux avec elle
— Voyons, mon garçon, ici, c’est l’Enfer ! Tu peux boire et manger à volonté sans te soucier de rien ni de personne. Et crois-moi, ça ira de mieux en mieux, fais-moi confiance… Hortefeux lui tend un verre de Cognac Moët-Hennessy : « C’est offert par Bernard Arnault, profites-en, mon Nico ! », il a du mal à parler, la bouche pâteuse…
Nico, méfiant, mais flatté, trinque et découvre un Diable charmant qu'il n'imaginait pas (malgré le passé sulfureux de Ns qui aurait pu le mettre sur la voie), blagueur, parfait hôte de soirée. La fête bat son plein, il ne voit pas le temps passer.
Il est très à l'aise, il se sent chez lui.
Pas de Fabrice Arfi ni de Karl Laske à l’horizon, c’est très bon signe, pense-t-il en souriant.
Le lendemain : Paradis.
Changement de décor. Pendant 24 heures, Ns côtoie Jean Moulin, Jaurès, Michel Foucault, Monnet, Guy Mollet et compagnie. De grandes discussions sur la justice, la paix, l’égalité… Aucun bling-bling, pas de club-house, pas de Bolloré, juste un resto basique. Et Jésus… Un hippie chevelu, un déglingo qui ne parle que d’amour, de fraternité et qui radote sur les marchands du Temple. Il est très surpris, un rien désappointé. "M'étonnerait pas qu'il fume des joints, celui-là, j'vais le karchériser", il parle de Jésus !
— Il sera plus difficile à un riche d’entrer dans mon royaume qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille…
Ns soupire. Où sont passés les cigares, les Rolex, le yacht de Bolloré aperçu à côté de la piscine, le Fouquet’s ?
Au bout des 24 heures, Saint-Pierre revient :
— Alors, Nico, l’heure est venue de choisir.
— Eh bien… le Paradis, c’est… intéressant, c’est vrai. Mais finalement, je crois que je serai plus à l’aise en Enfer avec mes amis.
Saint-Pierre hoche la tête gravement et le reconduit à l’ascenseur. Direction : le sous-sol.
Portes ouvertes : retour vers l’Enfer.
Ns tombe en plein désert brûlant, jonché de déchets toxiques. Ses « amis » ? En haillons, enchaînés, obligés de ramasser des ordures sous un soleil de plomb en écoutant du Francis Lalanne en boucle, à plein régime. Ils geignent, méconnaissables.
On aperçoit Cahuzac, décharné, Balkany méconnaissable, Depardieu qui n’a plus que la peau sur les os ; Kadhafi et Senoussi discutent avec Choukri Ghanem, un es-noyé, mais avec un trou dans la tête, il a pris l'eau…
Interloqué, choqué, pris d’une soudaine et terrible angoisse, il cherche désespérément du regard le golf, le club-house, le champagne, le cognac…
Le Diable s’avance, un sourire carnassier aux coins des lèvres, bras velus et puants posés sur ses épaules, la queue pendante qui gifle rageusement l'air.
— Je ne comprends pas, bafouille Ns. Hier encore, tout était luxueux ! Homard, caviar, fête… Maintenant, c’est l’enfer, le vrai !
Le Diable lui chuchote à l’oreille, narquois :
— Hier, on était en campagne électorale… Aujourd’hui, Nénesse, tu as voté pour nous, comme tu l’avais fait en 2007…comme tu as essayé de le refaire en 2012...
Tu sais ce que c’est, on triche tous toujours un peu, non ?
— Nénesse, mais comment il me parle ce con ? Avec cette barbe, il ressemble à Arfi, en plus...
P.-S. Ce récit imaginaire est librement inspiré d’un texte publié il y a plus de dix ans dont l’auteur a tenu à conserver l’anonymat d’après nos informations. Qu’il soit remercié s’il est abonné à Médiapart, ce qui n’est pas impossible…