C'est un jeu dont le seul objectif est de gagner un maximum d'argent dans un minimum de temps, sans payer d'impôts, un jeu ou tous les coups sont permis, la seule contrainte qui est imposée aux joueurs est de miser gros, très très gros...des sommes qui dépassent l'entendement, dans un colossal volume de transactions qui se "bouclent" à une vitesse hallucinante.
Petits joueurs s'abstenir !
On reste entre initiés, entre professionnels, bien à l'abri des regards indiscrets, à l'abri des Etats, à l'abri des fameuses "autorités de marchés", à l'abri des "régulateurs".
Les gigantesques gains sont transférés électroniquement, en temps réel, au Belize, au Delaware, à Hong Kong, aux Seychelles, à Singapour, parfois même juste à côté de nos frontières, en Irlande ou en Suisse.
Aucun contrôle, la liberté absolue, l'impunité totale.
Ce jeu s'appelle le Shadow Banking, la Finance de l'ombre, il est actuellement estimé à 70 000 000 000 000 de dollars !
Montant approximativement égal à celui de l'économie réelle, celle qui nous concerne, celle que nous fabriquons de nos mains, celle pour laquelle nous payons des impôts de plus en plus "lourds" puisqu'il faut bien rembourser les pertes que ces spéculateurs fous et criminels ont réussi à nous refiler en toute légalité, il y a six ans.
On se souvient du "too big to fail" qui s'accompagnait de l'indispensable et du non moins vital "too big to jail" : il fallait soutenir tout le système bancaire et financier si non nous courions à la catastrophe mondiale ; pas de prison pour ces délinquants en cols blancs...c'est l'explication donnée au peuple pour mieux lui faire avaler la pilule et le contraindre à payer l'ardoise !
La crise des subprimes des années 2007-2008 a obligé les autorités de régulation et les Etats à renforcer les contrôles, à définir de nouvelles règles en matière de solvabilité, de ratios prudentiels et de maîtrise des risques : Bâle 1, Bâle 2, Bâle 3 pour l’Europe, US GAAP pour les USA, tout le monde y est allé de ses nouvelles normes comptables pour essayer de mieux contrôler une activité dont on avait clairement sous estimé les turpitudes...et les risques qu'elle faisait courir à toute la planète ; à grand renfort de cris indignés, d'Obama à Sarkozy, de Zapatero à Gordon Brown mais avec prudence aussi voire avec une certaine frilosité, inutile de se mettre à dos Goldman Sachs ou Merrill Lynch...On notera, au passage, le "nez" de Sarkozy qui, au même moment, empilait mesures sur mesures en faveur des plus riches, cadeaux fiscaux sur cadeaux fiscaux, Laurent Mauduit en parlait il y a peu dans ces colonnes : http://www.mediapart.fr/journal/france/101014/sous-la-dette-publique-la-tyrannie-de-la-pensee-unique
Les citoyens du monde entier ont donc découvert quelque chose de révolutionnaire, de vraiment inédit, le financement public d'une dette privée, le remboursement par nos impôts des pertes abyssales que ces spéculateurs avaient accumulés en très peu de temps dans le dos de tout le monde.
Marx prônait l'appropriation collective des moyens de production, le capitalisme financier, l'ultra libéralisme lui répond par une paradoxale appropriation collective des pertes privées ! A eux les gains, à nous leurs pertes !
Autre temps, autre mœurs...
Il n'y a pas de meilleur business, c'est gagnant à tous les coups ; on peut y voir une incitation à la délinquance financière, une sorte d’institutionnalisation des dérives liées à la spéculation.
Mais le libéralisme est à la fois têtu et imaginatif : têtu car il tient par dessus tout à ses "intérêts privés", c'est à dire à ses gigantesques et très rapides gains et n'entend pas y renoncer ; imaginatif car il invente des solutions (légales) de contournement qui vont lui permettre de poursuivre ses objectifs mégalomaniaques sans crainte de se faire taper sur les doigts. Ni Bâle 3, ni US GAAP !
Le libéralisme nous donne une nouvelle preuve de son arrogance et de son cynisme, "Je suis au dessus des lois et des Etats, il n'y a pas de "morale" dans notre business -un mot qu'affectionne Valls- les pauvres continueront de payer à notre place, il faut bien que les impôts servent à quelque chose".
Sans foi ni loi, tel est le message.
Donc pour échapper à toute forme de contrôle, les banques donnent naissance au shadow banking : shadow ou "ombre" car les banques n'interviennent plus directement, elles passent maintenant par des fonds d'investissements, des fonds spéculatifs (Hedge funds) ou par leurs filiales "affaires", le célèbre et très noble "Corporate banking" qui permet de ne pas faire figurer au bilan des banques le montant de leurs opérations sur ce périmètre d'activité, elles sont rémunérées sous la forme d'honoraires.
Le tour de passe-passe est parfait, au nez et à la barbe des Etats et des nains qui les gouvernent.
Sans entrer trop dans les détails il faut aller un peu plus loin pour comprendre les mécanismes :
- Il y a beaucoup d'argent qui circule, trop disent certains, c'est ce qu'on appelle les liquidités, nous sommes, ou nous serions en situation d'hyper liquidité, il faut utiliser/rentabiliser ces fonds, coûte que coûte, quitte à spéculer sur des produits financiers "exotiques" voire toxiques ; formulé autrement, ne pas "utiliser" ces fonds serait "contre nature", hérétique...
- Les taux d'intérêts sont très faibles, c'est une contrainte -on gagne peu sur les opérations classiques de crédit- et une opportunité -la possibilité de faire des marges faibles en valeur absolue mais très importantes en volume si tant est qu'on dispose de beaucoup de réserves, ce qui est le cas pour les hedge funds-
Ces deux caractéristiques conduisent/incitent/obligent les fonds spéculatifs à "jouer" sur des produits financiers à hauts risques mais à forts gains, des produits plus ou moins opaques, avec des martingales extrêmement sophistiquées, très difficiles à démêler, donc impossibles à mesurer en termes de risques.
Un malheur n'arrivant jamais seul, ces spéculateurs ont recours maintenant, et depuis quelques années, au High Frequency Trading, le trading haute fréquence, ils utilisent les ressources techniques qu'offrent aujourd'hui les ordinateurs (très puissants, très chers) capables de passer des milliers et des milliers d'ordres (achat/vente) à la nanoseconde, c'est à dire au milliardième de seconde ! vous lisez bien : des milliers d'opérations au milliardième de seconde donc des milliards et des milliards d'opérations à la seconde, 24h/24 et pas que dans un seul pays, pas que sur un seul ordinateur...les spécialistes estiment que le HFT représente environ 50 % du montant total des transactions.
Ces ordinateurs donnent des ordres d'achats en quantité phénoménale et donnent aussi des ordres de ventes, très souvent sur le même produit...générant ainsi des marges immédiates assez faibles à l'unité mais plus confortables sur le nombre, la comptabilité fonctionnant à 3 chiffres après la virgule...
Ne parlons pas, ici, du délit d'initié, c'est un autre sujet, mais disposer d'une information "sensible" sur une action ou un titre 1/1000 000 000e de seconde avant de passer un ordre n'est plus complètement inimaginable...ni sanctionnable dans l'état actuel du droit.
Le HFT fait donc son "gras" sur ce qu'on appelle des "opérations d’arbitrage" (un des métiers de l'ingénierie financière) qui consiste à miser sur des différences de prix entre différents marchés afin de générer un petit profit compensé par un nombre colossal de transactions, les petits ruisseaux font les grandes rivières...
En termes de toxicité, ou d'empoisonnement, et en termes d'épidémie, ou de risques de contagion, il faut intégrer une autre composante : ces hedge funds financent l’économie réelle et certains de ses acteurs...si par malheur, pour une raison ou pour une autre, 2 ou 3 importants hedge funds venaient à plonger, ce qui, au passage, n'est pas prévisible aujourd'hui pour les raisons que nous venons d'exposer, c'est tout l'édifice qui risquerait de s'écrouler, par une réaction en chaîne, une sorte de théorie des dominos appliquée à la finance d'abord puis à l'économie dite réelle ensuite...On considère que les 12 premiers hedge funds manipulent plus de 70 % de la totalité des fonds disponibles... dans ce microcosme dont on ne sait rien, le moindre virus pourrait très vite se propager à toute la sphère économique, pas seulement à la finance. La propagation va toujours très vite comme on a pu le constater en 2007-2008, comme on le voit dans toutes les crises de ce type, la "confiance" s'évapore très vite et accélère la décomposition du système.
Le grand problème auquel nous sommes tous potentiellement exposés voire confrontés est très simple, malheureusement : la crise des subprimes et le niveau d'endettement de la plupart des Etats, Chine incluse, rend impossible une parade telle que celle qui a été utilisée en 2008, les caisses sont dramatiquement vides.
Si, demain, une nouvelle crise vient frapper à la porte, ce qui est assez probable voire très probable, nous n'aurons plus les moyens de nous défendre : la crise "systémique" que tout le monde redoute balayera absolument tout sur son passage...à côté, la crise des subprimes fera figure d'éternuement !
Le libéralisme, la financiarisation frénétique de notre économie fait planer au dessus de nos têtes une colossale menace qui est parfaitement identifiée par les nains dont nous parlions, ces chefs d'Etats qui continuent d'abdiquer et qui n'ont plus aucun pouvoir, les spéculateurs en font la démonstration tous les jours.
Or nous sommes censés vivre dans un système démocratique.
Il faut reprendre le Pouvoir, le vrai !
P.S
Si vous voulez aller plus loin je vous conseille de lire ou d'écouter Myret Zaki et/ou Jean-Michel Naulot qui ont inspiré ce billet :