Il est laid, ventru, boutonneux et probablement toxique, avouons-le, il est parfaitement repoussant.
Maléfique pour les plus superstitieux.
Elle est belle, douce, élégante, aérienne. Porteuse de tous les symboles positifs dont rêve l'homos sapiens quand il s'endort.
Il croasse, une suite de borborygmes lubriques incompréhensibles dont on attend qu'ils cessent, le plus vite possible.
Elle chante, elle roucoule, elle séduit. On en redemande. Quoique...
Il est libre car personne n'en veut.
Elle est souvent en cage, sa beauté et sa fragilité sont ses pires ennemis.
Ces deux là ne feront pas d'enfants ensemble, la barrière génétique les cantonne dans nos imaginaires. Le centaure est une invention humaine, après tout.
Ouf !
Chacun a sa place !
Chacun à sa place !
Mazal Tov !
Dieu merci !
Inch'Allah !
Si la nuance a logiquement du mal à se frayer un chemin entre espèces zoologiques différentes et que tout oppose -en apparence du moins et avant intervention humaine- nous sommes en droit d'attendre de l'espèce humaine, une et indivisible (?), quelque chose de plus ambitieux, après tout, nous serions plus "intelligents" que crapauds et colombes. Non ?
Moins laid, moins beau, mais moins con.
En théorie, c'est certain.
Va pour la nuance et le discernement !
Deux ennemis brouillent, pourtant, les cartes : le manichéisme et l'émotion.
Le manichéisme qui simplifie tout, une sorte de raccourci de l'intelligence : c'est plus facile, c'est plus commode, ça va plus vite, c'est confortable, il y a une dimension affective dans ce processus de simplification, "j'aime", "je n'aime pas", "je veux", "je ne veux pas", "oui", "non", "d'accord", "pas d'accord"...
L'émotion qui, même légitime, surtout quand elle est légitime, nous oblige à mettre entre parenthèses nos facultés d'analyses.
L'émotion est essentiellement d'origine affective.
Quand survient l'innommable, la tentation du crapaud fait la courte échelle à la tentation de la colombe...
La tragédie qui vient de nous frapper, de vous frapper "personnellement" et de me frapper "personnellement", nous fait entrer dans cette troisième dimension, à la fois crapaud et colombe.
Tous heureux et fiers, comme soulagés par ce gigantesque défilé, l'unité nationale, tous débout contre le terrorisme, contre la barbarie.
Indispensable. Vitale. Utile. Justifié.
Les applaudissements pour des policiers qu'on avait l'habitude de conspuer et pour des chefs d'Etats dont on a raison de se méfier : Ali Bongo, Viktor Orban, des dignitaires Turcs, Russes, Égyptiens et ce ministre d'Arabie Saoudite qui condamne Raif Badawi à 1000 coups de fouet et 10 ans de prison dans son pays...il serait Charlie ? comme vous ? comme moi ?
En ce qui concerne les policiers et les gendarmes, ma "raison" reste cohérente avec mes émotions, ou l'inverse, je ne sais plus : respect et remerciements pour leur incroyable courage, le temps qui passe ne change rien à l'admiration que j'éprouve pour des gens qui engagent leur vie pour la nôtre.
Mais les politiques ?
Ce Qatar qui finance les terroristes...cette Arabie Saoudite...
L’ambiguïté, le refus d'un compromis parfaitement amoral ont obligé Robert Badinter à choisir la foule des anonymes plutôt que le carré VIP, un signe qui ne trompe pas chez cet homme, car lui, mieux que tout autre et plus que tout autre, connait bien le crapaud, connait bien la colombe.
On apprécierait que Sarkozy emboîte le pas de Badinter, prenne ses distances et cesse ses conférences rémunérées dans ces pays.
Un minimum !
La presse parle aujourd'hui beaucoup de Raif mais peu du Nigéria, parle beaucoup du nombre d'exemplaires vendus de Charlie Hebdo mais pas assez de l'Afrique et des crimes de masse, il faut lire les rapports d'Amnesty International, des milliers de maisons et de cases rasées, des milliers de morts.
Une petite fille de 10 que ces salauds font exploser sur un marché, une fillette, un choix qui ne doit rien au hasard, évidemment...
Je ne suis pas que Charlie, je suis Africain, j'ai 10 ans, je suis une petite fille et je m’appelle Raif Wolinsky.