J’entendais distinctement des hurlements presque synchronisés mais aucun sanglot, de là où j’étais seuls les sons les plus violents me parvenaient.
Des gémissements remplis de peur ponctuaient les cris.
Une symphonie macabre, le chant de la mort.
L’effroi, la douleur puis ces hurlements, j’imaginais une série de supplices, une torture méthodiquement graduée comme on la pratiquait encore au début du 18e siècle, jusqu’à Robert-François Damiens coupable du crime le plus grave qui soit, une tentative d’assassinat contre le roi Louis XV, un régicide, il sera jugé et supplicié en Place de Grève le 9 janvier 1715, par une froide matinée d’hiver devant un public avide de justice et toujours curieux de nature.
Les suppliciés, les « miens », ici, deux cents ans plus tard, des jeunes ? des moins jeunes ? des vieux ? des femmes ?
Des hurlement encore…parfois rauques, comme si la peur remplaçait déjà le garrot.
Que faire ?
Prendre d’assaut la maison ?
Mais tout seul…
Prévenir, oui mais qui ? pas une gendarmerie à l’horizon, pas à moins de 30 kilomètres…nous sommes en plein milieu rural, loin de tout, entourés de forets épaisses, sombres et menaçantes.
L’indifférence généralisée dans le village voisin, ou dans les communes voisines, je le savais, ne m’encourageait pas à prendre des initiatives, l’héroïsme n’est pas mon fort.
Je ne suis pas lâche à proprement parler, non, je suis passif, ce n’est pas un crime après tout.
Mais là…ces hurlements de terreur commençaient à me faire douter, il fallait que j’agisse !
Il aurait fallu que j’agisse…
Je ne suis pas lâche à proprement parler, non, je suis passif, ce n’est pas un crime après tout.
Ces hurlements sont ceux des chevaux à l’abattoir, des vaches, des veaux ou des moutons, les nouveaux suppliciés.
Un coup de massue, ou deux, ou trois, ou quatre…puis l’égorgement quand bien même l’animal est encore conscient.
Des animaux dont le système nerveux central fonctionne jusqu’à la dernière seconde, suffisamment pour souffrir atrocement, suffisamment pour avoir peur, suffisamment pour alerter ses congénères ; et, à l’occasion, vous et moi si nous ne sommes pas trop loin.
L’atrocité des supplices accompagné du silence de Robert François Damiens (cris = culpabilité, silence = innocence) eut raison du caractère public des exécutions en Place de Grève rebaptisée plus tard Place de l’Hôtel de ville.
Le spectacle était insupportable, la foule commença à manifester son opposition au pouvoir et son indulgence voire son soutien au coupable en train de devenir victime.
Un mouvement de foule, une énorme contestation, un acte insurrectionnel, un véritable retournement de situation.
Une menace politique.
Depuis lors les peines seront exécutées intra-muros, à l’abri des regards et des consciences…
Les codes avaient changé.
L214 joue ce rôle de révélateur et porte à notre connaissance, j’allais dire à notre conscience, des images, des sons absolument insupportables, intolérables d’horreur.
C’est comme cela que peut commencer l’insurrection mais ça ne suffit pas…
La vraie révolution commencera vraiment le jour ou nous aurons le courage de changer nos habitudes culinaires, nos comportements alimentaires, l’insurrection populaire doit commencer dans nos assiettes.
Si non…les supplices « seront exécutées intra-muros, à l’abri des regards et des consciences »
Pas vu.
Pas pris.
Comme toujours.