Ce n’est pas seulement étonnant c’est totalement invraisemblable.
Tellement imprévisible…impossible…fou.
Bizarre, étrange, malsain peut-être : j’ai passé la nuit avec Macron, la veille de son départ pour New York.
Sans Brigitte, elle a préféré rester au Palais pour s’occuper de son chien Nemo.
Juste avant de nous séparer, sur le tarmac de Roissy, piste 2, sous la pluie et le vent, je m’entends lui glisser un « fais attention à toi, Manu, New York, les hôtels, fais vraiment gaffe, c’est piégeux », je me suis même cru obligé d’ajouter un conseil au sujet de sa communication personnelle « ne nous refais pas le coup de la poignée de main avec Trump, une fois ça va, deux fois bonjour les dégâts ».
Alors que, franchement, je m’en fout royalement de sa com, de ses poignées de main, je m’en cogne à un point…
Normalement mais pas là, pas à ce moment là.
Allez savoir pourquoi.
Je crois qu’à son contact, après une nuit passée au restaurant puis en boite de nuit, je suis devenu, petit à petit, sournoisement, insidieusement, une sorte de renégat.
Je fais semblant d’oublier le sens du mot « trahison ».
Par faiblesse, par lâcheté.
Mais quelque chose me rassure : personne n’a voté pour lui, personne !
J’appartiens donc à cette foule dont la mémoire est aussi courte que son orgueil est aplati.
Je le vois encore sourire, il me prend dans ses bras, une accolade amicale, appuyée, virile et gaie en même temps, Emmanuel est un adepte du « touché vrai », pour un oui ou pour un oui il est prêt à vous prendre la main dans les siennes et à serrer fort, très fort, comme un témoignage de confiance et d’intimité.
A ce moment précis je deviens unique, seul au monde, exceptionnel, je regrette seulement que les caméras ne soient pas là, par dizaine, par centaine, pour immortaliser ce moment si particulier d’échange très personnel, j’aurais aimé qu’Yves Calvi fasse les commentaires en voix off, je préfère Calvi à Elkabbach, ne me demandez pas pourquoi.
Je crois entendre Brel chanter un peu plus loin, probablement caché par les énormes pneus de l’avion : « ne me quitte pas, il faut oublier, tout peut s’oublier qui s’enfuit déjà, oublier le temps des malentendus et le temps perdu à savoir comment… »
« …à savoir comment… » : immédiatement je pense à son programme de « transformation », le droit du travail, les retraites, la fin de l’ISF, la diminution de l’APL, l’augmentation de la CSG, ce chantier libéral qui doit enfin libérer l’Etat, la nation, le peuple, l’Europe, le monde occidental, ce monde qui attendait son Messie ou son prophète.
Oui mais « comment » ?
Effectivement ce n'est pas simple.
Vous me direz que quand c'est vraiment très difficile on peut toujours avoir recours aux bonnes vieilles ordonnances du Docteur Charly.
Stéphane Bern observe la scène sous les deux gigantesques réacteurs, légèrement courbé, les mains dans le dos, son regard est sévère, sa mine est austère, je sens comme un reproche, tout son corps semble trembler d’une désapprobation nette, entière, froide et déterminée.
Ou de jalousie…
« oublier le temps des malentendus »
Qui ose parler de malentendus, qui, où, sur quel sujet ? Macron a été élu sur un programme clair, merde !
Et Bern n'a rien d'ambigu, rien, il est clair le Prosper Mérimée revisité.
Quelle injustice quand on y pense ! il se donne du mal, Manu, il ne se ménage pas, il retrousse même ses manches aux Antilles, un tel homme ne peut pas être mauvais.
« moi je t’offrirai des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas, je creuserai la terre jusqu’après ma mort pour couvrir ton corps d’or et de lumière… »
C’est ambitieux et assez lucide quand on y pense, voire honnête, il faut savoir lire entre les lignes : il veut nous faire des cadeaux mais indique « en même temps » que ces cadeaux n’existent pas vraiment «…des perles de pluie venues de pays où il ne peut pas… » on ne peut pas faire plus transparent.
« je creuserai la terre…pour couvrir ton corps d’or et de lumière… »
Il va creuser jusqu’après sa propre mort, c’est assez peu crédible mais c’est beau et généreux, sait-on jamais...
En me réveillant, encore embrouillé par un rêve qui mélange tout, Jacques Brel avec Emmanuel Macron et moi avec Stéphane Bern, je suis pris d’une soudaine angoisse, pourtant réveillé, ces mots m’obsèdent « Je creuserai la terre jusqu’après ma mort… »
Non seulement on va prendre cher mais, en plus, on va en prendre pour longtemps.
Entre cauchemar et réalité.
Bonne nuit à tous.