Jeudi soir, vers 17 heures, Nathalie, la femme de ma vie, vient me voir pour discuter d’un projet que nous avons. Tout d’un coup, je la vois s’enflammer au niveau des cuisses et du ventre, les flammes remontent et lèchent ses cheveux.
Elle me dit en hurlant qu’elle ne sait pas ce qui se passe, puis elle continue de hurler à cause de la douleur. Je me précipite sur elle, une chaise commence à prendre feu, la moquette fume déjà, des éclats incandescents s'éparpillent partout dans la pièce, Nathalie hurle de plus en plus fort. Elle s’arrache tous ses vêtements avec ses mains, qui seront brûlées au premier degré. Elle est nue, je la soulève pour la mettre dans la salle de bain, je craignais qu’elle ne s’enflamme entièrement, j’étais prêt à la plonger dans la baignoire. Ses cheveux commençaient à s’enflammer, mais j’avais pris une serviette humide que je lui ai balancée sur la tête : cela lui a sauvé son visage, ses yeux, sa beauté… J’appelle la clinique la plus proche en même temps que je balance par-dessus le perron tout ce qui brûle encore, un étage plus bas. Elle hurle, je hurle avec elle.
En voiture, je lui mets la main sur l’épaule, je lui parle doucement, j’essaie de lui montrer que je reste calme, précis, organisé… alors que je suis détruit. En cours de route, je rappelle les urgences de la clinique qui me confirment qu’ils nous attendent : un médecin est là avec une infirmière. Je n’ai pas le droit d’entrer, direction box n° 5. Elle est immédiatement prise en charge.
Notre fils, Louis, garde comme il peut son sang-froid et tente de me rassurer. Nous ne pouvons pas éviter des sanglots, dans les bras l’un de l’autre. L’attente est interminable : trente minutes, rien ; une heure, toujours rien. Vers 19 heures, le médecin m’appelle : « Votre femme veut vous voir… ». Elle est là, étendue, couverte de pansements, les mains enveloppées, elle somnole, puis ouvre les yeux. En me voyant, elle me sourit et me dit : « Mon amour, ne t’inquiète pas, tout va bien. » Ils lui ont fait une injection de morphine. Ils décideront un peu plus tard de lui injecter une autre dose. Les douleurs se sont éteintes en cinq secondes. « Ouf, du moins, elle ne souffre pas. » Je me console comme je peux. Je ne supporte pas de voir ceux que j'aime souffrir.
Le médecin urgentiste vient me voir : elle est brûlée au deuxième degré sur la cuisse gauche, au niveau de la poche gauche de son jeans, là où se trouvait sa cigarette électronique ; sa culotte a pris feu, son pubis est brûlé à 40 %, au deuxième degré. Ses mains, paumes et dos, sont atteintes au premier degré. Elle n’est pas défigurée, elle ne souffre pas… mais cette nuit ? Le médecin urgentiste m’explique qu’à certains endroits, ses brûlures ont flirté avec le troisième degré, synonyme de greffe. Mais elle ne souffre plus… J’aime la morphine depuis hier soir, c’est mon amie, l’amie de ma femme. L'amie de Louis.
Le protocole, ici, consiste à demander l’avis et l'assistance du service des grands brûlés de Lyon, des cadors, l’une des plus anciennes et des plus performantes institutions en Europe. Photos, petits films à l’appui, ils ont travaillé avec le médecin urgentiste. Le protocole est parfaitement rodé, ils ne perdent pas une seconde. Je fais des allers-retours vers le box 5, elle est dans les vapes et me fait des sourires quand elle me voit. Décidément, j’aime la morphine. Je sors de la chambre. Louis, notre fils, vient voir sa maman, il restera avec elle pendant trente minutes. Il revient, sort à l’air libre et s’étrangle de sanglots dans mes bras. Il est d’accord avec moi : Madame Morphine est notre meilleure amie. On se raccroche aux branches.
Des médecins compétents, un service d’urgence parfaitement au niveau, compétent et réactif, avec le soutien des spécialistes de Lyon qui passent leur vie à venir en aide à des gens dans un état désastreux. Il y a plus grave que Nathalie, mais Nathalie, c’est ma femme, la femme de ma vie. Il y a trois petites heures, je l’ai vue devenir une torche humaine. Nous avons évité le pire…
En cause : la batterie lithium de cette saloperie de cigarette électronique. Nous ne le savons pas, mais c’est pareil pour tout, ces putains de cigarettes électroniques, nos putains de téléphones, même les batteries des automobiles sont des bombes à retardement.
Nous nous véhiculons dans des bombes. Nous avons dans nos poches des bombes. Nous écoutons et dialoguons avec des téléphones qui sont d’authentiques bombes.
L’urgentiste m’explique que cela aurait pu être encore plus grave : « Je traite entre un et quatre cas, parfois cinq par semaine, mais ce n’est rien à côté de l’hôpital de Roanne. »
Hier, j’apprends que devant la recrudescence de ces accidents, le SDIS de Roanne a organisé une réunion pour informer médecins, avocats, préfecture, de ce qui se passe. C’est devenu un phénomène de masse. Pendant ce temps, le business continue !
L'urgentiste confirme et ajoute que, depuis six mois, les cas se multiplient dans la région, toujours avec cette saloperie de cigarette électronique, même marque, même batterie.
J’apprends du vendeur que c’est la troisième fois que cela arrive depuis quelques mois. Une de ses clientes est gravement touchée. Il regarde la batterie que j’ai apportée et me dit que la sécurité a joué, ce qui a empêché une explosion beaucoup plus dramatique. Mais il me dit qu’à première vue, c’est une réaction chimique autonome, spontanée, entre le lithium et l’oxygène après le dégazage. En d’autres termes, sous réserve d’inventaire, c’est absolument imprévisible. Il me dit : « C’est tout le problème, oui, c’est grave, la technologie lithium n'est pas au point. ».
En fait, j’apprends dans la journée que le constructeur de cette petite bombe à retardement a changé de fournisseur de batteries pour diminuer ses coûts de fabrication, pour augmenter ses profits. Dans un autre registre, c’est la même logique que les airbags Takata… Voilà le monde dans lequel nous vivons : des vies sacrifiées pour cette religion de la rentabilité et du profit au détriment de la sécurité publique. Oui, bien sûr, je le savais, mais là, c’est autre chose : l’amour de ma vie est passé à côté d’un drame, très près d'un drame, elle restera marquée à vie. Comment une société peut-elle tolérer que des industriels commercialisent et distribuent de telles bombes impunément ? Qui contrôle quoi, au juste ?
Cet après-midi, une femme m’appelle, un de mes amis, avocat, lui a donné mes coordonnées : elle est dans un collectif qui attaque ce constructeur, 250 victimes, un mort, une femme défigurée à vie, un autre qui a perdu une jambe… Je découvre l’envers de la médaille : un enfer. Le même constructeur, la même batterie.
En ce début de soirée, Madame Morphine se fait de plus en plus discrète, Nathalie reprend des couleurs après la deuxième injection : « Ç’aurait pu être pire, c’est tellement horrible pour certains… ». Elle a osé me dire que plus jamais elle ne porterait de culotte en nylon, mais que, grâce à Dieu, le reste de son pubis est intact… Bon… c’est quand même bon signe. Elle reprend du… poil de la bête ! C’est ce que je lui dis, elle se marre, moi aussi.
Nous rentrons à la maison, ma momie et moi.
Mais je ne peux pas m’empêcher de craindre le pire, avec ces putains de téléphones qui explosent à l’oreille ou dans la poche ; avec tous ces enfants qui vivent avec leurs putains de smartphones, six heures par jour, avec tous ceux qui vapotent, qui se baladent au milieu du trafic avec des trottinettes… Je ne suis pas certain que les batteries au lithium des automobiles soient mieux sécurisées, l'avenir le dira. Monsieur Tesla le sait mieux que tout le monde. L’obsession du profit tue dans une indifférence qui atteint son paroxysme dans ce monde de fous à lier.
Hier soir, premier chagement de pansement, l'infirmière enlève les peux mortes... la nuit a été agitée, les douleurs se sont réveillées.
Un grand merci aux urgentistes de la Clinique du Renaison de Roanne, un grand merci aux spécialistes des grands brûlés de Lyon, des cadors.
Appel à témoignages
Je partage ce drame intime parce qu’il ne peut pas rester une anecdote. Si vous avez été victimes ou témoins d’explosions de batteries au lithium — cigarette électronique, téléphone, trottinette, voiture — témoignez. Il est temps que ces dangers soient connus et reconnus, au lieu d’être consciencieusement et méthodiquement dissimulés. Vous pouvez m’adresser vos témoignages dans la messagerie personnelle proposée par Médiapart.
P.S. : Ne vapotez jamais quand votre cigarette électronique est en train de se charger. Même consigne pour vos portables : n’utilisez jamais vos téléphones lorsqu’ils se rechargent. Le risque d’embrasement est alors multiplié par 100 !