Il est quatre heures de l’après-midi, il fait très chaud, plus de 52° Celsius, 126 ° Fahrenheit pour les fanatiques de conversions, il y en a, beaucoup, parait-il.
Je roule sur la F-Ring Road, la sixième rocade de Doha, qui relie la Corniche, l'aéroport, l'échangeur de Ras Abu Aboud, et les nouvelles voies, dont l'E-Ring.
Je suis au Qatar, ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien…
Un ciel tellement bleu, tellement haut qu’on a l’impression qu’il n’existe pas, qu’il a disparu, sans barrière, sans limite, sans nuage, aucun repère. On ne regarde jamais le soleil droit dans les yeux dans ce pays, on sait qu’il est là, très proche, méchant et obstiné, terriblement vertical, inutile de lui chercher des noises, attention danger !
En l’espace de cinq minutes je suis dépassé par une Porsche rouge, trois Bentley blanches et quelques taxis, des berlines Japonaises pour la plupart ; et par une voiture, Italienne sans aucun doute, jaune, très basse, large, avec des pneus extrêmement siliconés, très rapide, un drapeau planté sur l’aile avant droite, j’ai juste le temps de distinguer le blanc du rouge, les couleurs du Qatar, le drapeau claque comme une mitraillette, une menace.
Je double péniblement un tracteur tout neuf, je ne sais pas ce qu’il faisait ni pourquoi il était là, un tricycle aussi, en or avec des diamants incrustés sur son unique phare, conduit par un européen massif avec plein de bagouzes aux doigts, il ressemble à Michel Drucker, un Drucker obèse, gras et ruisselant sous l’effort, avec ce sourire si caractéristique figé au coin des lèvres.
Ma Super 5 GTL (de marque Renault) date de 1987 et accuse 375 000 kilomètres au compteur, ou ce qu’il en reste car le totalisateur est bloqué, j’allais dire carbonisé par la chaleur depuis une éternité, me semble-t-il.
A Doha je dois être le seul a posséder une voiture qui vaut moins de 100 000 dollars, j’ai payé ma guimbarde 1800 €… Ceux qui me voient passer (ils ont le temps) manifestent surprise et étonnement, c’est peu de le dire ; à mon passage on se pousse du coude, on me pointe du doigt pour mieux se moquer, le rire est contagieux au Qatar. j’ai été obligé de changer le pot d’échappement à cause du bruit mais même encore maintenant je me fais arrêter, ils n’ont pas l’habitude…ni de la forme, ni de la taille de la voiture, ni de l’odeur qui s’en dégage, ni de la couleur qui devait être d’un gris métallisé « tungstène » d’après les papiers d’origine ; ou blanc nacré…nacré peut être pas.
Chic il y a 27 ans, cette voiture a perdu de son charisme naturel, c’est certain.
Je fais « tâche », partout ou je vais j’ai l’impression qu’on me regarde, qu’on m’observe, qu’on me jauge, qu’on me critique.
Surtout ici.
Je prends la sortie N° 3 qui doit me permettre d’atteindre, enfin, mon lieu de travail, la Tour Chiraz, déjà haute de 32 étages, de verre et d’acier…à terme elle en comptera 58 ! Ici, on l’appelle la Tour Bernadette, à cause de Chiraz qu’on prononce Chirac…l’humour des Qataris, encore.
J’ai le vertige, malgré ce lourd handicap c’est moi qui assemble puis soude les poutres intermédiaires, les poutres de « liaison ». Je suis obligé de me shooter au valium juste avant de prendre ma maudite bagnole : 3 comprimés dosés à 10 mg, en 3 prises espacées de 3 heures, je bosse 9 heures par jour, 6 jours par semaine.
Le vent qui tourbillonne, la chaleur qui étouffe et cette pollution !
Un sacrifice auquel je consens contre 9750 dollars mensuels avec un mois de congés payés, plus un voyage aller-retour pris en charge par l’UMP via son agence de voyage, la société Bygmalion.
Le monde est petit, décidément.
C’est comme cela que j’avais fais la connaissance de Jean-François Copé, le responsable commercial de l’agence, gentil, attentionné mais mielleux, gluant, obséquieux…il a passé son temps à me sur-vendre le Qatar, j’aurais dû lui demander pourquoi.
De quoi se mêle-t-il le merlan ?
Le valium commençant à produire ses effets, à moitié vaseux mais déjà assez euphorique, je ne vois pas le feu rouge, je percute l’arrière de cette voiture jaune qui m’a doublé il y a cinq minutes à peine : l’avant de ma Super 5 n’en finit plus de monter sur le cul du bolide, une Lamborghini Huracàn, à plus de 600 000 dollars !
Elle monte, elle monte encore, je me retrouve sur le dos de la belle italienne, tel un crapaud sur une colombe, on va y revenir...
L’essuie glace, côté passager, se met en marche, la radio aussi, j’entends distinctement Zaz chantonner « Paris sera toujours Paris », je me dis que ce n’est pas le moment.
La passagère sort la première, en furie, hystérique, vociférant, hurlant, la bave aux lèvres, en Français et en Italien « fanculo », « enculé » se croit-elle obligée de me traduire.
Carla Bruni en personne !
Je n’en crois pas mes yeux…
La portière avant gauche, celle du conducteur, s’ouvre, je vois d’abord une chaussure à glands, avec une énorme talonnette, puis une seconde, des chaussettes noires très courtes à liserets dorés, puis une main avec deux Rolex au poignet, une en acier, l’autre en or, enfin j’imagine, il va se mettre debout…non il est déjà debout : Nicolas Sarkozy ! avec des Ray ban !
En short ! oui, parfaitement, en short !
Ma veine ! mon jour de chance !
Ma voiture n’est pas assurée…je risque l’expulsion ! avec les Roms ! la honte absolue !
Avant même d’échanger la moindre parole, encore perché sur le toit, je vois débouler une patrouille de police, comme cela, sans crier gare, une camionnette, un break Mercedes qui pile devant nous.
En descendent Mouammar Kadhafi, le chef apparemment, suivi d’un petit gros, le conducteur, je crois reconnaître François Hollande.
Ils s’avancent vers moi, la mine menaçante.
« Alors, on fait moins le mariole » me lance Sarkozy avec un coup de menton qui l’agrandit un peu…
« Moumour, arrête-moi cet émigré immédiatement ou je fais un malheur » ordonne-t-il à Kadhafi ; je note au passage que les deux hommes semblent liés par une solide complicité, « peu de gens ici oseraient apostropher Kadhafi par son surnom en plein jour et en public » me dis-je à moitié dans les vapes, « la nuit, peut être, mais là…il a l’air très sûr de lui le Sarkozy »
Le Libyen s’exécute, le visage en sang, pendant que Hollande rigole d’une blagounette que vient de lui expliquer Pierre Gattaz, pour la troisième fois, à propos d’un projet de CDD à la journée payé à 90 jours, fin de mois « ça c’est de la flexibilité ou alors je ne m’y connais pas… » Hollande en pleure de rire, je vois distinctement des larmes couler sur ses bajoues, ses lunettes sont recouvertes d’une buée épaisse, « curieux phénomène qu’on a plutôt l’habitude de voir sur l’île de Sein » me suis-je dit.
Gattaz est resté assis dans le break, sur la banquette arrière, il ne voulait pas qu’on puisse le reconnaître ici, à Doha ; il est entouré par deux Volkspolizei, des VoPos : à sa gauche Bill Gates, à sa droite Emmanuel Macron, leurs visages sont restés impassibles, froids, sans aucune émotion apparente, « de vrais professionnels », j’en étais certain, « de ces hommes qui imposent le respect sans rien dire », mes pensées vagabondaient de façon désordonnée.
Ou anarchique.
Je n’en reviens pas.
Kadhafi tend une enveloppe à Carla Bruni, enveloppe que la belle Italienne soupèse de la main droite d’un geste maintes fois répété « il en manque » lance-t-elle au Libyen d’un ton sec et métallique. Kadhafi éclate en sanglot et explique qu’il n’a plus d’argent, que « l’autre lui a tout pris », en pointant du doigt Sarkozy, il ajoute « de toute façon 5 infirmières Bulgares ne valent pas 50 millions d’euros parce que ça voudrait dire que chacune vaudrait 10 millions pièce, c’est impossible, pas des Bulgares ! des Suédoises, oui, mais des suédoise mannequins, et encore mais pas des infirmières Bulgares »
J’avais sauté du toit de la Lamborghini, le soleil me brûlait les épaules, une voiture ralentit à notre hauteur, ses occupants nous faisaient un bras d’honneur, j’ai brièvement reconnu Daniel Cohn-Bendit, Eric Dupond-Moretti, l’avocat, Mireille Mathieu et Jacques Audiard, le metteur en scène.
Audiard, Cohn-Bendit et Dupond-Moretti, je peux comprendre mais Mireille Mathieu, que venait-elle faire ici ? avec eux ?
Voyant mon étonnement, comme pour y répondre, elle se mit à chanter « 1000 colombes », d’abord tout doucement, puis de plus en plus fort, à la fin elle hurlait, sa voix couvrait le trafic.
Des automobilistes applaudissaient.
Je voyais bien que Sarkozy était touché, il fermait les yeux à chaque refrain, « 1000 colombes… », visiblement très ému.
« Bon, on le fait ce constat oui ou non ? »
La question méritait d’être posée, en effet, mais le problème…c’est Isabelle Balkany qui nous la posait, elle était bien là, en face de moi…toute habillée de rose, short et blouson étroit, avec un grand chapeau blanc de type cow boy, un faux Stetson, des santiags blanches (avec des talons en plastique) achetées sur une plage espagnole de la Costa Brava, par un dimanche d’Août, au marché à touristes…
Elle me faisait une drôle d’impression, cette femme, « un travelo » me disais-je, sa voix peut être…
J’hallucinais, le valium, sans doute…
J’avais mal au dos et au cou, je signais tous les papiers pour en finir le plus vite possible avec tout ce bordel.
Je ne voulais pas perdre mon boulot.
Éloigné de ma femme et de mes enfants j’avais fait un sacrifice énorme en m’expatriant ici, à Doha, au Qatar, pour faire un boulot de merde, extrêmement dangereux, moi qui suis tellement sujet au vertige, à un point tel que j’en avais des nausées.
Tous les matins.
Tous les jours.
Toute l’année.
Ce n’est quand même pas un minable petit Sarkozy qui allait m’empêcher de poursuivre mon rêve, non ?
Au fait, le valium je le prends toujours avec mon café très sucré, une bonne odeur de café, c’est ce qu’il y a de mieux pour commencer une journée…
« Bruno, Bruno, réveilles-toi, il est 6 heures, il faut accompagner les enfants au bus ».
Ma femme qui me regarde avec une tasse de café à la main.
Il est con, ce Sarkozy, il m’a fait peur l’espace d’un cauchemar.
D’un cauchemar seulement me direz-vous ?
C’est déjà beaucoup trop !