En dehors des liens amicaux, professionnels ou politiques qui les unissent, ils ont tous un point commun : ils revendiquent leur droit à la « présomption d’innocence », un droit que personne ne peut leur contester.
Avant d’être éventuellement condamné au cours d’un procès équitable, à charge et à décharge, n’importe quel justiciable est présumé innocent jusqu’à ce qu’on apporte au tribunal les preuves de sa culpabilité.
La notion de preuve est étroitement liée à celles de l’innocence et de la culpabilité.
Gare à ceux qui s’affranchissent trop vite des obligations liées à la présomption d’innocence, diffamation, préjudice moral, réparations, indemnités, la justice n’est pas tendre.
Elle a raison.
Me revient en mémoire le parcours de Monsieur Henri Désiré Landru, de Paris à Gambais, entre 1893 et 1921, « Monsieur » puisqu’on nous impose un hypothétique respect a priori, les apparences de suffisent pas, elles sont réputées trompeuses.
Donc prudence. Méfiance.
Ses premières condamnations pour escroqueries commencent en 1904, il sera reconnu coupable de 11 meurtres à l’issue de son procès et guillotiné en février 1922.
Landru donne le ton, au curé qui vient le visiter avant son exécution et lui demande s’il croit en Dieu, le serial brûleur lui répond « je vais être exécuté et vous me demandez de jouer aux devinettes », les criminels ont des ressources et de l’humour.
Tous.
Du culot et de l’aplomb, ils n’en manquent pas. De l'arrogance et de la fatuité, ils en débordent.
Landru avait utilisé, lui aussi, de fausses identités, des faux noms pour brouiller les pistes et gêner les enquêteurs, pas celui de Bismuth à ma connaissance.
En 1903 Landru était innocent.
Avant son dernier procès, celui de 1921, et malgré des charges accablantes, en vertu des textes actuellement en vigueur, Landru serait « présumé innocent » des crimes dont il était accusé et pour lesquels on lui a finalement coupé la tête.
Nul doute qu’à l’instar de Morandini, de Balkany et de Sarkozy, Landru aurait revendiqué, lui aussi, son droit à la présomption d’innocence, là s’arrête la comparaison.
L’effet de bord joue à fond et profite à la défense, on aurait tort de s’en plaindre, c’est à l’accusation que revient la charge de la preuve, on y revient.
Soit !
Quand il n’y a pas de procès, la présomption d’innocence ne s’applique pas, le risque pris par des accusateurs adresse alors une éventuelle problématique de diffamation ou de dénonciation calomnieuse voire de violation de secret professionnel comme on peut le regretter dans le cas des lanceurs d’alertes oh combien utiles en ces temps de manipulations en tout genre.
En clair la présomption d’innocence s’inscrit dans le cadre d’un procès en bonne et due forme avec une instruction rigoureuse comme c’est le cas avec les trois zozos dont on parle, Bolloré est indirectement concerné mais doublement concerné, nous y reviendrons.
Des plaintes ont été déposées contre eux, ne l’oublions pas, ils tentent de nous convaincre qu'ils sont à ce point innocents qu'il n'y a pas de procès, qu'il ne devrait pas y en avoir.
Une notion complémentaire vient donner un autre éclairage sur la présomption d’innocence, au risque de l’assombrir sérieusement : le moment ou les juges décident de mettre en examen ceux qui continuent d’être présumés innocents. A l’issue de l’instruction ils peuvent considérer, en effet, que les charges sont suffisamment sérieuses, graves ou lourdes – des indices graves et concordants – pour justifier de poursuites devant un tribunal pénal. Si non c’est le non lieu. Avec ou sans arbitrage de la Chambre d’Accusation.
C’est le cas de Morandini, de Balkany et de Sarkozy, tous mis en examen dans différentes affaires et pour des motifs différents. Deux ou trois fois, des cumulards de la mise en examen surtout Sarkozy et son ami de Levallois-P, multi récidiviste comme son mentor…
Avant 1993, la mise en examen avait un autre nom et s’appelait « inculpation », les temps changent, l’aveugle est devenu « non voyant » mais sa cécité reste la même.
Surtout à Nice…
Force est de constater que le statut de présomption d’innocence garde toute sa puissance pendant que les arguments de l’accusation progressent, le statut reste insensible à l’accumulation de charges.
Pour autant que soient pesantes ces charges le « prévenu » n’est toujours pas coupable, pas encore.
Un petit rappel, juridiquement un prévenu est « toute personne qui, à la suite d’une dénonciation, d’une plainte ou d’un acte de procédure accompli par une autorité pénale est soupçonnée, prévenue ou accusée d’une infraction », à ce jour, l’Ex, Morandini et Balkany sont d’authentiques prévenus.
On voit bien que l’effet de bord est doublement problématique, à deux moments totalement différents : avant le dépôt de la plainte, il n’y a rien, Landru est un homme « comme tout le monde, blanc comme neige » ; au cours de l’instruction et malgré l’accumulation des charges, le prévenu est toujours "présumé innocent " et le restera tant que la preuve ne sera pas apportée au tribunal.
Et pourtant le « prévenu », s’il n’est pas encore coupable n’est plus « totalement » innocent sauf à dire que les charges qui lui sont reprochées sont « totalement » dépourvues de toute consistance.
En revanche, si les charges sont retenues, le prévenu passe de présumé innocent à coupable, à la seconde même ou est prononcé le jugement, de blanc il devient noir, tout noir.
Pire, alors que les indices sont à la fois nombreux et concordants l’accusation peut se heurter à la difficulté de prouver l’intention délictueuse, on reste au niveau du soupçon mais la preuve glisse inexorablement entre les doigts des magistrats face aux excellents avocats de la défense, c’est exactement ce qui s’est passé dans l’affaire Bettencourt, de nombreux indices mais pas suffisamment de charges…trop peu pour mettre Sarkozy en examen dans cette affaire. Lucides et résignés ces juges, ils rédigent des commentaires très explicites.
Pour en terminer, le droit, celui de la défense en l’espèce, protège le citoyen mais ne lui interdit pas de se préoccuper de la dimension « morale » de l’affaire pour laquelle il est poursuivi, on peut toujours rêver…
Un présumé innocent n’est pas innocent au sens strict du terme, il n’est pas coupable non plus, tout va dépendre des indices, des charges et des preuves qui seront portés à la connaissance du juge.
Parfois il est même impossible de prouver le délit, c’est souvent le cas quand il y a des paiements en liquide, par exemple…
Il y a donc un moment très particulier, presque surréaliste, irréel en tout cas, qui fait du justiciable mis en examen quelqu’un qui n’est ni coupable, ni innocent, ni complètement coupable, ni complètement innocent, c’est cela la présomption d’innocence, un état d'apesanteur morale et juridique.
Pas de quoi pavoiser !
En se raccrochant abusivement au mot « innocence » sans se soucier de la notion relative de « présomption » qui lui est pourtant accolée, les Landru, Balkany, Sarkozy et Morandini empruntent un raccourcis qui les autorise, pensent-ils, à poursuivre ou à exercer leurs nobles entreprises alors qu’ils ne le peuvent pas, pas avant d’être jugés.
A Fleury-Mérogis, lorsque je visitais les prisonniers, la grande majorité d'entre eux revendiquaient une part d'innocence, presque tous, mais eux étaient embastillés...
On comprend Bolloré, son attitude face aux 98 % de ses salariés journalistes d’I TELE qui s’opposent au retour de Morandini à l’antenne correspond à la ligne de défense de son ami Sarkozy, oublier la présomption d’innocence qui joue pour Morandini le mettrait en totale contradiction vis à vis de son pote, dans une position impossible à soutenir longtemps, question de cohérence, il ne peut pas faire deux poids deux mesures, Bolloré soutient Sarkozy alors Bolloré soutient Morandini, c’est dans ce sens là qu’il faut décrypter son choix en faveur de l’animateur.
L’accumulation des motifs de mises en examen, une liste longue comme le bras en ce qui concerne Sarkozy, la nature même des poursuites en ce qui concerne Morandini mais aussi en ce qui concerne Balkany qui est accusé de blanchiment "aggravé", devraient inciter ces prévenus à beaucoup plus de retenue. Ne parlons pas de dignité…ici le mot fait tache.
Les entendre dire et répéter partout qu’ils sont « innocents » a quelque chose de parfaitement insupportable.
Elire un Président de la République dans cet état d’incertitudes pénales est inacceptable.
Puisqu’on ne peut pas compter sur leurs sens de l’éthique personnelle, comment voulez-vous qu’on leur fasse confiance ?