Il paraît utile, si ce n'est nécessaire, de rappeler ici quelques règles et principes de base aux hommes et aux femmes de bonne volonté, aux électeurs naturellement naïfs ou sains d’esprit et aux utopistes de tout bord, à la veille des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet.
Il s’agit de dépasser les apparences telles qu’elles sont décrites avec gourmandise par la très grande majorité des commentateurs, qu’ils soient économistes, politiques, journalistes, sondeurs ou membres d’une organisation patronale.
Apparences volontairement trompeuses.
La décision d’Emmanuel Macron de dissoudre est unanimement critiquée en France, en Europe et dans le monde.
Il a voulu créer un choc psychologique, c'est une incontestable réussite.
Nonobstant sa politique ultralibérale, inégalitaire, donc injuste et autoritaire dans une praxis solitaire hallucinante autant qu’arrogante, sa personne, ses postures, son caractère, ses petites phrases à l’emporte-pièce agissent comme un répulsif très puissant y compris au sein de son camp, c'est acté.
Traiter Emmanuel Macron de fou, d’insensé ou de déraisonnable ne suffit pas à expliquer sa décision qui, de fait, est « folle » : c’est la pierre angulaire du piège tendu, tout le monde plonge tête baissée, le pitch du chaos (qui n’est pas nouveau) atteint ici une dimension paroxystique très bien mise en scène avec des médias qui jouent le jeu avec un zèle émouvant, médias relayés par le petit, le moyen et le grand patronat.
Quelles sont ces règles qu’il faut rappeler pour éviter de se laisser manipuler par ce psychodrame qu’on nous présente dans un scénario assez bien pensé et mis en œuvre, il faut bien le reconnaître ?
Première règle : ne jamais sous-estimer l’adversaire.
Deuxième règle : ne pas se fier aux apparences.
Troisième règle : chercher la cohérence ou la logique des choses, identifier le plus petit dénominateur commun qui se cache derrière ces apparences pour comprendre l'équation politique, car rien n’est fait au hasard.
Quatrième règle : la politique à ce niveau d’enjeux et de responsabilités ne connaît absolument aucune limite en termes de cynisme, surtout chez ce monsieur, il l’a prouvé depuis sept ans, reniements compris.
Citons le Maître absolu en matière de « réalisme politique », Nicolas Machiavel, pour mieux s’imprégner de cette quatrième règle : « Il faut estimer comme un bien, le moindre mal » qu’il reformule d'une façon encore plus explicite, toujours dans Le Prince : « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal ».
Les Français sont donc convoqués par Macron pour trouver une solution politique à une crise politique et possiblement constitutionnelle qu'il a créée de toutes pièces.
Cette formulation a le mérite d’être simple, elle est acceptée de facto par la quasi-totalité des observateurs, elle devrait ainsi, à elle seule, interroger sur le calcul nécessairement volontaire qui se cache derrière une telle évidence.
Première réponse, première erreur : « C’est moi ou le chaos ».
Emmanuel Macron sait bien qu’une majorité relative, quelle qu’elle soit, à l’extrême droite (probable) ou à gauche (plus improbable) provoquerait le chaos institutionnel, il ne la veut pas, il ne la peut pas pour une raison très simple : il serait unanimement accusé d’en être, à juste titre d’ailleurs, le responsable, voire le coupable.
Il n’en veut pas.
Il sait aussi qu’il ne peut pas inverser la tendance telle qu’on peut l’observer depuis plus de 20 ans : le FN devenu RN est en nette progression et se rapproche inexorablement du pouvoir, surtout depuis qu’il a été élu en 2017.
Là encore, il risque de devoir assumer devant l’histoire son échec politique et moral en plus d'un bilan économique (endettement) catastrophique : il n’en veut pas.
Son parti était en perte de vitesse depuis 2022, la dissolution promet de l'achever : il pourrait imaginer de limiter la casse, mais pas au point d’inverser les tendances. Il ne peut pas.
Il a misé sur l’éclatement de la gauche, il s’est trompé, il ne peut plus revenir en arrière, son coup de bluff est mort-né.
Dernier élément à prendre en compte : baby Le Pen, Bardella, refuse de prendre le pouvoir si son parti n’obtient pas la majorité absolue, c’est fondamental.
Nous savons par ailleurs que l’orgueil de Macron lui interdit d’envisager de démissionner.
Face à un RN majoritaire sans majorité absolue, écrasé sur sa gauche par un NFP beaucoup plus fort que ce qu’il avait imaginé, sa morgue pourrait se heurter à un gigantesque mouvement populaire qui l’obligerait à démissionner, car rien ne peut résister à des millions de Français dans la rue qui réclameraient sa démission.
Il ne le veut pas, sa psychologie, pour ne pas dire sa névrose obsessionnelle, le lui interdit.
Mais Emmanuel Macron n’a pas encore tout perdu… c’est dans ce contexte que le cynisme devrait jouer son rôle de bouée de sauvetage.
Comment faire ?
Tout va se jouer dans le taux de participation, dans des triangulaires, tout va donc se jouer dans le report de voix : pour survivre a minima, Macron a besoin d’obtenir un score qui placera ou placerait les partis du centre comme un parti « pivot » qui pourra, qui pourrait arbitrer entre la peste et le choléra.
Alors, la peste ou le choléra ?
Un peu d’histoire politique :
Emmanuel Macron s’inspire d’un scénario que les plus anciens d’entre nous ont déjà vécu, la stratégie Chirac de 1981 : entre les deux tours de la présidentielle de 81, Jacques Chirac, suite à un dîner organisé par Jacques Séguéla chez Édith Cresson, s’est mis d’accord avec Mitterrand pour faire discrètement savoir qu’« à titre personnel » il voterait pour le candidat de la gauche ; l’information a savamment fuité auprès d’un assez grand nombre de cadres du clan Chirac, beaucoup d’électeurs, informés, ont suivi la consigne officieuse avec le résultat que l’on connaît.
Le calcul de Macron est calqué sur la stratégie Chirac : il va faire en sorte que le RN obtienne la majorité absolue grâce à un report de voix favorable au parti lepéniste.
La fin « honorable » (d’après lui) de son mandat politique qui devrait se terminer en théorie en mai 2027, est totalement lié aux résultats que va obtenir le RN : soit le RN est absolument majoritaire au soir du 7 juillet, avec 289 députés au moins, il survivra en se positionnant comme le « petit père des peuples » ; soit dans toutes les autres configurations, Macron est politiquement et définitivement mort : il sortira la queue basse de la scène politique, avec perte et fracas, l'image exacte en négatif de son accession au pouvoir en 2017.
Son équation politique était à deux vitesses : le soir de la dissolution (une dissolution pensée depuis des semaines, pas improvisée) il espérait redevenir une force d’alternance républicaine, mais confronté à l'écroulement de son parti qu'il avait largement sous-estimé et face à la création inattendue du NFP, il est obligé maintenant de faire le choix du RN pour préparer les prochaines présidentielles, peut-être pour Attal, surtout pour se permettre de jouer le « beau rôle », garant des institutions.
Il ne veut pas, il ne peut pas mourir dans la honte ou pire, dans l'infamie.
Pour faire triompher cette stratégie, Macron dispose de plusieurs armes : demander, par exemple, à ses électeurs de s’abstenir ou de les laisser choisir, ce qui revient au même ou encore de voter pour le choléra dont on sait qu’il est moins mortel que la peste, le RN plutôt que le NFP, c’est la petite musique que l’on entend partout, sur toutes les ondes.
C’est à cette tragicomédie d'un cynisme absolu que la presse, les économistes, majoritairement ultralibéraux, et les sondeurs, nous invitent.
Ce calcul doit motiver tous les démocrates à se mobiliser massivement et sans états d’âme, car il n’est pas dit que le RN, aidé par quelques milliardaires, de la presse ou d’ailleurs, et des entreprises du CAC 40 abandonne aussi facilement, aussi démocratiquement, le pouvoir.
Quand on est mort, c'est pour longtemps, monsieur Macron.
Là réside son paradoxe : il est déjà mort avant d'avoir existé.