Les primaires de la droite et du centre ont eu raison de notre famille : mes grands-parents divorcent !
Madeleine, ma grand-mère maternelle, a 89 ans.
Jean-Claude, son mari depuis 69 ans, mon grand-père, donc, est âgé de 93 ans.
Petits, lorsque nous allions chez eux pour Pâques ou pour les grandes vacances, nous nous réjouissions d’aller à la « MJC », abréviation formée par l’initiale de leurs prénoms, un raccourcis qui les irritait au plus haut point pour qui se souvient des origines politiques et sociales des Maisons de la Jeunesse et de la Culture car mes grands-parents sont de droite. Depuis qu’ils sont nés puisque dans certaine famille on nait et on meurt à droite comme on nait et meurt catholique.
La soirée d’hier a été fatale, le débat entre Fillon et Juppé a définitivement ruiné une union que je croyais éternelle, solide, harmonieuse, équilibrée, en un mot un mariage indestructible à mes yeux d’enfant puis d’adulte.
Que nenni !
Madeleine, ma grand-mère, s’est découverte une passion débordante pour François Fillon, une sorte d’attirance incontrôlée, une pulsion à la fois morale, politique et physique : « Il est tellement beau, tellement élégant, tellement cohérent, lui ! »
Le « tellement cohérent, lui ! » a mis le feu aux poudres, Jean-Claude, Gaulliste intransigeant et ancien haut fonctionnaire à l’Education Nationale, en a balbutié de rage, sa colère enflait, enflait…avec une pointe de jalousie, aussi, c’est ce que je crois, car en effet ma grand-mère avait une voix un tantinet chevrotante quand elle avoua qu’elle trouvait que son nouveau champion était beau, « tellement beau »
« Mais enfin, tu sais bien que Fillon a été le maître d’œuvre de la politique de Sarkozy, cette arsouille ! »
La mise en cause de Sarkozy a signé la mort de leur relation, ma grand-mère ne supportant pas qu’on puisse douter de la « droiture exemplaire » de l’ancien Président, selon ses propres mots.
« Gauchiste » lui lança-t-elle au visage.
Madeleine précisa sa pensée, cette fois plus politique : « Juppé s’est adressé aux Français, au centre, à la gauche mais pas à la droite, pas à nous, c’est pour cela qu’il va perdre, c’est pour cela que Fillon va gagner, il a déjà gagné ! »
D'après elle, Juppé se serait trompé de campagne, il aurait confondu la campagne pour la Présidentielle avec la campagne des primaires "de droite" pour désigner le futur candidat à la Présidentielle.
Un raisonnement acceptable, au fond.
Au fond ?
Pauvre Juppé...
Mon grand-père avait une autre vision : « A force de faire des promesses qu’on ne peut pas tenir on fait le lit de l’extrême droite car ton beau champion sait parfaitement qu’il est en train de mentir aux Français ».
La pointe de jalousie que je devinais se confirmait, « ton beau champion »…
« Espèce de vieux connard de fonctionnaire mou »
« Salope catholique »
L’échange, au début rugueux, s’est vite transformé en pugilat.
Mes grands-parents divorcent, la faute à Juppé, la faute à Fillon, qu’importe.
En tout cas, une chose est certaine, c’est fou ce que ce débat a pu susciter comme passions !
J’ai quand même du mal à comprendre mes grands-parents, il faudrait peut être que j’en parle à Finkielkraut ou à Onfray. Je parle de Finkielkraut puisque Juppé en a parlé, hier soir. Ou Fillon, je ne sais plus...
Non, à la réflexion, je vais plutôt appeler Natacha Polony ou Karine Le Marchand, oui, Karine Le Marchand, elle, c’est certain, elle va tout m’expliquer.
Elle est tellement belle !