Le « fou » est celui qui surprend et déstabilise. Il se veut imprévisible, voire dangereux, brouillant ainsi les repères de ses adversaires.
Dans l’histoire politique américaine récente, Richard Nixon incarne parfaitement cette figure. Conseillé par Henry Kissinger sur ce sujet, il a délibérément cultivé l’image d’un dirigeant incontrôlable, donnant naissance à la célèbre Madman Theory à la fin des années 1960.
Arrivé au pouvoir en 1969, Nixon voulait persuader les dirigeants soviétiques et nord-vietnamiens qu’il était capable de tout, y compris de recourir à l’arme nucléaire, pour obtenir un avantage dans les négociations. L’objectif était clair : s’il paraissait suffisamment irrationnel et dangereux, ses adversaires hésiteraient à le provoquer et seraient plus enclins à faire des concessions. Pour renforcer cette illusion, il accompagna sa posture de démonstrations de force militaire et de messages ambigus, parfois contradictoires, envoyés à Moscou et Hanoï.
Bien avant Nixon, Machiavel, dans Le Prince (1513), avait déjà théorisé l’intérêt de l’imprévisibilité. Il expliquait qu’un souverain devait occasionnellement se montrer cruel et insaisissable pour maintenir son pouvoir et dissuader ses ennemis. Il conseillait d’alterner ruse et force, et de faire de la peur un instrument politique. Son célèbre précepte « il vaut mieux être craint qu’aimé » illustre cette approche, tout comme son invitation à adopter duplicité et inconstance lorsque cela sert les intérêts du prince.
L’idée est toujours la même : faire en sorte que personne ne puisse anticiper vos actions pour conserver l’initiative et l’ascendant sur vos adversaires.
Dans le domaine militaire (il en est question), Clausewitz, dans De la guerre (1832), insiste sur l’importance de la surprise et de l’incertitude, considérant la confusion comme une arme redoutable. Bien avant lui, Sun Tzu (L’Art de la guerre, Vᵉ siècle av. J.-C.) et Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse, Vᵉ siècle av. J.-C.) avaient déjà mis en lumière le rôle stratégique du secret, du brouillage des signaux et de l’analyse psychologique de l’ennemi.
Plus proche de nous, Staline maniait lui aussi l’imprévisibilité, mais avec une brutalité décuplée. Paranoïaque et notoirement alcoolique (comme Nixon), il cultivait ses pulsions pathologiques pour terroriser son entourage, rendant toute contestation impossible sous peine de mort.
Aujourd’hui, à divers degrés, Trump et Poutine apparaissent comme les héritiers modernes de Nixon et de Staline. Tous deux jouent la carte de l’imprévisibilité avec intelligence et un sens aigu de l'opportunisme, mêlant stratégie politique et traits de personnalité probablement, certainement, déviants. Mais jouer au fou suppose d’en être un ; un peu, beaucoup, à la folie… La crédibilité passe par là…
L’avantage de Poutine sur Trump s’est construit petit à petit, dès les années 1980 : le KGB a dressé un profil psychologique extrêmement détaillé du magnat de l’immobilier américain lors de ses nombreux séjours (pas que professionnels) en Russie. Aujourd’hui, le FSB connaît Trump sur le bout des doigts pour rester correct.
L’un est mû par une ambition mercantile sans limites, l’autre par une vision impériale où les frontières n’existent plus. La logique est là : un empire ne connaît pas de frontières, le business non plus, Musk, Zuckerberg et Bezos en témoignent.
« Laissez-moi seul avec mon délire, j’ai mes raisons que la raison ignore. » – Antonin Artaud.
Ils sont seuls, nous regardons…