Bruno Painvin (avatar)

Bruno Painvin

Nouvelliste et spectateur engagé.

Abonné·e de Mediapart

865 Billets

2 Éditions

Billet de blog 29 juin 2017

Bruno Painvin (avatar)

Bruno Painvin

Nouvelliste et spectateur engagé.

Abonné·e de Mediapart

Un portrait c’est peut être un détail pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup

La photo officielle d'Emmanuel Macron va bientôt orner toutes les cheminées des 35 885 municipalités françaises. Cette photo a été tellement pensée, tellement réfléchie que nous sommes obligés de nous attarder – j’aime cette notion, le verbe « attarder » est plein de sous-entendus, plein de malice – quelques instants sur les détails qui la composent... Vive la sémiologie !

Bruno Painvin (avatar)

Bruno Painvin

Nouvelliste et spectateur engagé.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La terre entière attendait qu’un photographe compétent et talentueux lui tire le portrait : c’est chose faite !

Enfin !

Comme 66 millions de Français je commençais à m’impatienter.

L’artiste s’appelle Emmanuel Macron, la photographe Soazig de la Moissonnière.

Cette photo officielle va orner toutes les cheminées des 35 885 municipalités françaises.

Si je me laisse gagner par l’optimisme ambiant je vais certainement en mettre une au dessus de mon armoire à pharmacie, dans ma salle de bain, entre le lavabo et le bidet, pile en face de mes deux vieux complices Émile Jacob (1850-1919) et Maurice Delafon (1856-1933) fondateurs de la société éponyme.

J’hésite encore…

Le portrait du nouveau Président de la République Française a nécessité plus d’un mois de travail à temps plein pour Brigitte et pour Soazig, un peu moins pour Emmanuel dont l’agenda, on s’en doute, est très chargé.

Cette photo a été tellement pensée, tellement réfléchie que nous sommes obligés de nous attarder – j’aime cette notion, le verbe « attarder » est plein de sous-entendus, plein de malice – quelques instants sur les détails qui la composent.

L’ancien assistant de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) auteur, notamment, de L’œil et l’esprit paru en 1960 chez Gallimard ne laisse rien au hasard, hasard qui, comme le temps, semble avoir trouvé son Maître.

L’œil est le reflet de l’esprit. L’esprit cherche à influencer l’œil, parfois il le trahit.

C’est très fort !

Brigitte, après des études littéraires – Maîtrise de lettres et CAPES de littérature classique – et une longue carrière d’enseignante, avait son mot à dire quant aux symboles qui devaient remplir de sens la photo.

Il s’agit d’un couple « fusionnel » si j’en crois VOICI mais ce n’est pas une raison suffisante à nos yeux pour sous-estimer la dimension intellectuelle des nouveaux locataires de l’Elysée.

Cela étant, si je peux me permettre une remarque de béotien voire un conseil, une surexposition aux médias « people » pourrait venir à bout de toute forme de « contenu ». A consommer, donc, avec modération. Ce serait trop bête de faiblir dans les sondages à cause d'un vulgaire maillot de bain ou à cause d'une misérable bicyclette.

Revenons à nos deux moutons et à ce portrait officiel.

Grâce à une analyse sémiotique qui n’a rien à envier à Roland Barthes (1915-1980), père de Yann Barthes d'après Patrick Sébastien, il sera plus facile d’attribuer chaque symbole à son auteur et d’en comprendre la signification, le « sens » disent les spécialistes.

C’est passionnant.

C’est passionnant mais à condition, bien sûr, de s’intéresser à l’analyse sémiotique d’une part et au portrait officiel d’Emmanuel Macron d’autre part ; et accessoirement au couple présidentiel mais n’en demandons pas trop, je connais le niveau d’exigence des lecteurs et des lectrices de MEDIAPART.

Il est peut-être utile de revenir un instant sur l’analyse sémiotique, ou l’analyse sémiologique, pour faciliter la compréhension de la démarche macronienne toute résumée dans ce cliché.

« Une analyse sémiotique, ou analyse sémiologique, doit croiser une approche en sémiologie de l’image à une approche en sémiologie linguistique ».

Il y a bien une « image » la photo ; les symboles tiennent lieu, ici, sur cette photo, « d’éléments linguistiques », le bureau, l’horloge, la fenêtre, les iPhones, les livres…

« L’objectif opérationnel d’une analyse sémiotique et sémiologique est la prévision du comportement du consommateur et la recommandation de signes ou codes appropriés. »

Notions élémentaires que vous retrouverez sur cet excellent site http://www.semiologie.fr/

« La prévision du comportement du consommateur et la recommandation de signes ou codes appropriés » : nous y sommes !

D’une part nous sommes des consommateurs, c’est tout à fait évident, d’autre part, Manu et Brijou utilisent des codes et des signes pour communiquer, en fait pour nous influencer, car ils veulent anticiper et prévoir nos comportements d’acheteurs politiques. Le risque de manipulation n’est pas totalement exclu mais nous avons affaire à des « humanistes » il ne faudrait pas l’oublier, des humanistes de gauche et de droite (à ne pas confondre avec des humanistes du Centre qui sont partout et nulle part) mais des humanistes tout de même.

Encore une fois il ne faut rien laisser au hasard, comme nous allons le voir, nous pouvons compter sur nos deux tourtereaux.

Fort de ce bagage technique analysons maintenant les symboles contenus sur cette foutu photo, les uns après les autres :

  • La fenêtre ouverte : un homme « ouvert » au monde, à la vie, à la nature et au mouvement car si le ciel est bleu (optimisme) il y a quelques cirrus qui démontrent que le Président reste réaliste même si, sur la photo, les nuages ne bougent évidemment pas comme me le rappelle fort judicieusement ma femme. Attention toutefois aux courants d’air qui peuvent ruiner une coiffure, éparpiller des documents officiels qui auraient vite fait de se retrouver entre les mains d’Edwy Plenel, on parle de « vents malins ».
  • L’horloge : il est 20H20, Macron veut nous faire passer un message, il bosse beaucoup, il n’a même pas le temps de prendre ne serait ce qu’une petite collation, il bosse toujours et encore pendant que 65 millions de Français se la coulent douce qui avec un apéro qui avec un saucisson, une choucroute, un hachis Parmentier voire un gigot d’agneau. Admirable sens du devoir. Accessoirement « maître du temps » d’après Natacha Polony mais je n’y crois plus trop, une sémiologue avec une telle coupe de cheveux c’est suspect.
  • Deux iPhones et le reflet d'un coq, ici le message est plus subtil puisqu’il se décompose en plusieurs sous-ensembles : un iPhone pour le boulot, un autre pour Brigitte car à l’instar de de Gaulle Macron ne veut pas « mélanger les genres » et vivre sur les deniers publiques, il semble craindre le scandale. De ce point de vue Macron est en totale rupture avec François Mitterrand, avec Nicolas Sarkozy et avec Jacques Chirac, le message, bien que subliminal, est néanmoins très clair. Le coq…est-il besoin de vous faire un dessin ? La France rurale, le terroir, le coq Gaulois…mais ATTENTION ! les choses se compliquent sémiologiquement parlant : en utilisant en même temps les signes de la modernité (les iPhones) et celui de la ruralité française (le coq) Macron adresse un message à nos amis agriculteurs : "il est grandement temps de vous moderniser, l’IPhone peut se révéler très utile dans vos tâches quotidiennes" semble-t-il dire. Pour autant Macron est-il adepte de l’industrialisation des fermes ? c’est à craindre. La FNSEA n’a pas tardé à réagir d’après Yves Calvi toujours prompt à répandre les mauvaises nouvelles.
  • Le bureau, ses deux mains : inutile de s’attarder sur ses deux mains, « deux mains » pour « demain », Macron est un homme tourné vers l’avenir, seul le futur l’intéresse, c’est évident. Il porte une alliance à chaque main : il aime les Français, il aime Brijou, humainement parlant on ne peut pas l’en blâmer. Il est assis sur son bureau, un style décontracté, un costume sombre, un visage avenant pour ne pas dire souriant, des dents parfaitement blanches…mais il tourne ostensiblement le dos à la fenêtre ouverte, au monde du « dehors », à la vie, à la nature : il s’agit là d’un « couac », le premier du genre, j’en ai bien peur, un contresens…l’homme est humain, très humain, la perfection n’est pas de ce monde ; cela le rend plutôt sympathique à mes yeux, il est très jeune après tout.
  • Terminons par le plus important, le plus « signifiant », les livres : « Les mémoires de guerre » de Charles de Gaule (1890-1970), Macron nous explique ici les raisons pour lesquelles il tenait à remonter les Champs-Elysées en command-car, il kiffe le Général, il kiffe l’Armée, il kiffe sa race les militaires, tous sans exception. Il flatte, en fait, le nationalisme qui sommeil en chacun de nous , chez nous tous sauf chez moi mais on s’en fout, enfin apparemment il s’en fout ; « Le rouge et le noir » de Stendhal (1783-1842), un roman qui décrit l’initiation d’un jeune provincial puceau , ou le contraire, Julien Sorel, qui n’arrive pas à s’intégrer dans un monde qu’il ne connait pas et dont les codes lui sont difficilement accessibles, une sorte d’autobiographie indirecte, un aveu : de cette façon Macron fait preuve d’une très grande humilité et d’une sensibilité qui l’honore, quoi qu’on en dise, on le croyait pédant, hautain, distant, orgueilleux…il n’en est rien ! quant aux « Nourritures terrestres » d’André Gide (1869-1951) nous avons déjà traité de ce sujet : Macron est sous alimenté car il travaille beaucoup, beaucoup trop, il a tellement faim qu’il se rue sur le premier titre synonyme de bonne bouffe, c’est humain.

N’ayons pas peur d’élever le débat, permettez-moi de con-clure avec une pensée lourde de (bon) sens :

« Quand j’écoute trop Wagner j’ai envie d’envahir la Pologne. »

De Woody Allen (1935-éternité)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.