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Le pianiste de jazz américain Fred Hersch a soufflé 65 bougies en octobre 2020, confiné dans sa maison de la forêt de Pennsylvanie. Porté par une poussée créative, amer de ne plus pouvoir jouer en public, triste de la perte d'un ami (mort du COVID), le maître, né à Cincinnati, a enregistré un sommet de délicatesse dans son studio personnel. Mais, alors que ses concerts en solo relèvent de l'éblouissement - il a subjugué à plusieurs reprises les publics parisiens du Sunside, du Bal Blomet et du Duc des Lombards - là, pour Songs from Home (label Palmetto), il met son talent d’improvisateur au service de l'apaisement. On se laisse bercer par le velours des titres, l’enchaînement des idées, la déconstruction organisée. La cohérence de chaque composition captive. Du toucher virtuose éclot la douceur. Fred Hersch justifie le cadeau, dans les notes de pochette du disque, disponible en dématérialisé (mise en vente du CD physique le 11 décembre 2020). Hersch : "je me suis senti abandonné dès le début de la pandémie. Dans l'espoir d'éclairer la journée de quelques personnes dans le monde, j'ai enregistré et posté chaque jour pendant deux mois à 13 heures (1 PM), un morceau sur Facebook - The Tune of the Day. Les commentaires m'ont ému. Par chance, quand on invente seul, le piano se suffit à lui-même. J'ai pensé à réaliser un album". Le New-Yorkais vit depuis trente-cinq ans sous tri-thérapie. Professeur de Brad Mehldau, Hersch se confiait sur son mode de création en 2009, dans le salon de l’Hôtel Louvre-Rivoli, avenue Victoria, avant une prestation en trio au Duc. L'expression du visage dégage - comme à chacune de nos rencontres - une affabilité désarmante. : “Je veux raconter des histoires, emmener les gens ailleurs. Quand un standard me bouleverse, je veux le partager. Plus il est connu; plus je m’accorde de liberté. J’improvise énormément. Au fil des phrases, surgissent des tournures : elles introduisent la phrase suivante. Quand le flot coule, je me remplis tout entier”.
Le confinement a singulièrement fourni l'occasion d'écrire l'une des plus belles pages de sa discographie. Une caresse de chaleur traverse les dix titres. Le monstre sacré (quinze nominations aux Grammies) revendique l'instrument imparfait : "mon piano est un Steinway modèle B de 50 ans et sept pieds. Les Steinway sont fabriqués à la main. Chacun a sa personnalité. J'ai embrassé les défauts".
Jugement sur pièces. Wouldn'it be Lovely (Loewe) ouvre la nostalgie des temps révolus. Dans Get out of Town (une ballade de Cole Porter), le style se plie avec une attaque particulière, à cause d'une note proéminente sur le clavier. La densité harmonique de All I Want (Joni Mitchell) autorise une exploration richissime. On fond en suivant le récit solitaire de Wichita Lineman (Jimmy Webb), où, cependant, la note ré au-dessus du do médian percute. West Virginia Rose, écrit pour sa mère Florette et sa grand-mère ("deux dames juives de Virginie occidentale"), déborde de tendresse. Hersch déploie sa force d'invention de bout en bout. Cette fois, au service de la recherche de sa paix intérieure. Hersch : "j'avais besoin de me rappeler que la musique ne s'arrêtera pas et que je pourrai continuer à jouer du piano pour les gens, serait-ce d'une nouvelle manière". Hersch a accompagné des géants : Art Farmer, Stan Getz, Lee Konitz, Joe Henderson. Il a occupé le Village Vanguard, le club de New York, en 2006. La première fois qu’un pianiste tient le programme une semaine entière depuis... le pianiste Bill Evans, dans les années soixante! Le public français méconnait Hersch, considéré pourtant outre-Atlantique comme un artiste de premier plan. Le Washington Post et le Times ont salué son autobiographie, parue en 2017 (Editions Random House). Le titre? Good Things Happen Slowly (Le meilleur prend son temps). Pour le moins adapté au Monsieur.
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Brad Mehldau sort l'album solo Suite April 2020 (Warner Music), enregistré lors de la période de retour obligé à la vie de famille (le confinement le bloque alors en Hollande, d'où son épouse Florine est originaire). L’on retrouve avec joie New York State of Mind, composé par Billy Joel. Dans les liner notes, Brad évoque la nostalgie de New York, sa ville natale. Il mentionne le titre de Billy Joel, qu’il répétait du matin au soir, cela depuis qu’il est tombé sur la chanson («à l’âge de neuf ans»). Pour lui, la chanson incarne la ville. Une lettre d’amour à ses amis restés là-bas («ils me manquent terriblement»), dans une ville sinistrée par l'épidémie. Dans les compositions, la star cherche à cerner le paradoxe de ses émotions pendant la période d'isolement, comparant avec la période précédente, impliquée dans la vie sociale liée à son art. Il en ressort une création où le décalage entre ses deux mains devient vertigineux. Les architectures ensorcèlent.
Brad Mehldau avait joué The Beatles en solo les samedi 19 et dimanche 20 septembre 2020 à La Philharmonie de Paris, porte de Pantin, dans la Grande salle Pierre Boulez. Une heure trente. J'y suis allé le dimanche. Un triomphe : sept rappels! Hamid Si Amer, chargé des relations presse de La Villette, m'apprend que l'Américain improvisait devant ses enfants sur les chansons des Beatles, pendant le confinement. Les versions sublimissimes de Golden Slumbers (dix minutes) et d' I Am the Walrus dépassent tout. Brad a également développé pendant dix minutes le fabuleux Life on Mars (1971) de David Bowie : la chanson porte la marque des Beatles. Après tout ça - dont l'on aimerait que la captation devienne disponible - pas simple de revenir sur terre.
Bruno Pfeiffer
CD's
Fred Hersch, Songs from Home (Palmetto/L'Autre Distribution), sortie physique le 11 décembre
Brad Mehldau, Suite April 2020 (Warner/Nonesuch), sorti en septembre
RETRANSMISSION
Brad Mehldau joue The Beatles sur la chaîne Mezzo prochainement : https://www.mezzo.tv/fr/Jazz/Brad-Mehldau-joue-The-Beatles-6712
Brad Mehldau / Captation au Concergebouw d'Amsterdam de la suite APRIL : https://youtu.be/5NTmoL_vogQ
CONCERTS
Brad Mehldau Trio le mardi 11 mai 2021 (20h 30) à Meslay-du-Maine - salle socioculturelle, tarif : 25€, cela dans le cadre du Festival Atelier Jazz de Meslay-Grez (Mayenne), dont la 24e édition de se déroulera du 08 au 15 mai 2021.
Fred Hersch en concert les Vendredi 25 et Samedi 26 juin 2021 (20h) au BAL BLOMET (33, rue Blomet 75015 PARIS - M° Volontaires)