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Billet de blog 5 octobre 2022

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Alain Jean-Marie, le jazz des îles et des ailes

Le pianiste, une des figures hexagonales du jazz, a arrosé de sa classe l'été 2022. Le Guadeloupéen a pris un nouvel envol depuis la sortie l'an dernier, d’"Interplay", un album de rêve : le duo avec le contrebassiste Diego Imbert (sur la musique de Bill Evans). Il a enchanté de nombreux publics. Immersion dans deux festivals (Piano dans la pinède – Jazz à la Villette).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Alain Jean-Marie © Hervé Hascoët

Alain Jean-Marie est né en 1945. Les maîtres l'ont choisi comme compère : Johnny Griffin, Chet Baker, Lee Konitz, Max Roach, Art Farmer, Sonny Stitt, Charlie Haden, etc. Le CV de l’artiste flirte avec le bottin du jazz. Quant aux distinctions : Prix Django Reinhardt de l'Académie du Jazz, Victoire du Jazz, plusieurs Prix du disque français, etc. Un palmarès et une production à faire saliver un écumeur de collectors. Un pedigree, comme disent les policiers. A la clé, la modestie du personnage, d’une humilité confondante. Nous prenons contact à la balance du festival Un Piano dans la Pinède, le 15 août (dixième anniversaire du festival), à Grand-Village Plage, au sud de l'île d'Oléron.
Répétition avec son quintet, une formation de hard-bop relevée : l'altiste Dmitri Baevsky, le trompettiste Fabien Mary. Plus une rythmique chevronnée : Bernd Reiter (autrichien) à la batterie - le Français Fabien Marcoz à la contrebasse. Trois notes sur le clavier pendant la répétition laissent les techniciens locaux bouche bée.
Le concept d'Un Piano dans la Pinède prend racine dans l’univers du piano stride des années vingt. Un style exigeant, ouvert à l’improvisation. L'organisateur, maire du village, a judicieusement positionné les boppers le premier jour. Patrice Robillard a maintenu la manifestation contre Covid, climat et marées. Il argumente : "le stride a rendu possible l'évolution vers le bebop à la fin des années trente. Le moment était venu d’inviter des boppers chez nous". Certains membres du Hot-Club de France, présents ce soir-là, valident l'option. Ils reconnaissent dorénavant, voire portent aux nues, Charlie Parker et sa clique du bebop. Les rejets et exclusions prononcés par le Hot-Club après-guerre? Histoires anciennes. Les conflits homériques reposent aux oubliettes. Font sourire tel président local de Hot-Club. Là s'arrête la chronologie. Alain Jean-Marie me déclare avec une candeur de louveteau être passé de la biguine, issue de la culture créole (il reste l'un de ses dépositaires), au bebop. Cela sans transition. Sans passer par les cases du jazz : ragtime, stride, voire boogie-woogie. Eh non. Du coup, lui, le maestro, incarnation du jazz dans sa cohérence, semble éprouver un complexe devant ces styles. Son visage arbore une mine épatée quand il évoque le stride, inventé à Harlem.

Illustration 2
Alain Jean-Marie - Dmitri Baevsky - Fabien Mary © Studio Mara


On écoute souvent Alain Jean-Marie à l'affiche du Sunside à Paris, selon ses propres termes "un lieu majeur du jazz moderne, certes, mais fidèle à la tradition". Au Sunside, selon lui : "le bebop reste dans le coup". Quant au jazz post-années soixante ? Je pose la question en citant un musicien, Lee Konitz, qu'il a croisé souvent rue des Lombards? Lee Konitz est mort en 2020 à New York, à 92 ans. Avis de l'expert du piano : "Konitz, pour moi, c'est moins difficile à accompagner que de jouer du stride". Chaque réponse d’Alain Jean-Marie est concentrée dans une phrase laconique. Je cite un dernier nom. L'Antillais devient pensif. Il reste toujours abasourdi par le Français Barney Wilen, l'improvisateur surdoué, décédé en 1996, à 59 ans, qui n'avait rien à envier aux Américains en matière de sax ténor. Alain Jean-Marie : "une facilité étonnante à swinguer".
Paroles de "vieux sage". En définitive, l'ingrédient incontournable de sa musique? "Faut que ça swingue". Stride ou pas.
Et pour swinguer, à Oléron, la pinède ce lundi-là (600 places, à ciel ouvert), se sera embrasée (photo ci-dessus)! D'emblée, Everything I Love, de Cole Porter, ballade conduite par le piano, portée par les mélodies surmultipliées de Fabien Mary, la dextérité en cascade de Dmitri Baevsky, le drive surfin du batteur Bernd Reiter, le doigté du contrebassiste Fabien Marcoz. Sur Nica's Tempo, de Gigi Gryce. Là, Alain Jean-Marie, nous passionne en triturant l'air, comme un filon dans une mine d'or. Sur Tune Up (Miles Davis), la syntaxe richissime du leader éblouit, Baevsky étire des énoncés bluesy hyper-concentrés, Mary se montre intarissable : émotion continue. Sur Two Bass-Hit, de John Lewis, énoncés trépidants des solistes, le blues en cerise sur le gâteau. Sur La Mesha (Kenny Dorham), apaisement, limpidité du toucher au piano, accélérations des souffleurs. Coup de chapeau final : Blues à l’île d’Oléron, basé sur les harmonies de Blues around the Corner (McCoy Tyner). Poésie des îles. En rappel, dernière plage de beauté sur Strollin’ (Horace Silver). Ovation debout.

Illustration 3
Diego Imbert et Alain Jean-Marie © Pierre Colletti


Rendez-vous parisien avec l’histoire du jazz le 2 septembre 2022. Alain Jean-Marie en première partie du Kenny Barron Trio, pour Jazz à la Villette. En duo, cette fois, avec Diego Imbert (contrebasse). Ce dernier a réussi à persuader le pianiste de reformer le duo légendaire de l’Américain Bill Evans (Evans, qui nous a quitté en 1980, rend la moindre note légendaire) avec le contrebassiste portoricain Eddie Gomez, un perfectionniste hors-normes. Personnage charmant, de surcroît, que m’avait présenté le pianiste brésilien Cesarius Alvim. Alain Jean-Marie (notre conversation à Oléron) avait traîné à accepter : « J’ai d'abord décliné la proposition de Diego. Bill Evans, c’est une montagne. Je ne me sentais pas à la hauteur pour relever le défi. Diego a insisté. N’aie pas peur, il m’a dit, joue comme tu es! Ajoutant : Bill Evans, c’est de toutes façons impossible à jouer ». A l’arrivée ? L’album (Interplay/The Music of Bill Evans – Trebim Music/L’Autre Distribution). Une merveille. On aurait raté quelque chose. La magie propre du binôme français redonne vie au duo Evans/Gomez. Le concert ? Un triomphe. Inoubliable. Enchaînant à la suite de cette cascade d'émotion, Kenny Barron, la tête d’affiche, a éprouvé tout le mal du monde à essayer de s’imposer. Sans convaincre. Cela de l’avis de la totalité de mes interlocuteurs à la sortie de la Grande Halle. Diego Imbert et Alain Jean-Marie venaient d’offrir un cadeau de rois au public de la Villette. Qui a écrit leur légende. 

Bruno Pfeiffer

CD
Alain Jean-Marie et Diego Imbert : « Interplay/The Music of Bill Evans » – Trebim Music/L’Autre Distribution

Alain Jean-Marie : « The Complete Biguine Reflections » (Frémeaux & Associés, 4CD)

Illustration 4
© Frémeaux&Associés

CONCERT
Yannick Rieu Generation Quintet le 3 novembre au Sunside, avec Alain Jean-Marie et Stéphane Belmondo, fort du nouvel album par le Generation Quartet du saxophoniste ténor (Qui qu’en Grogne/Socadisc)

CONCERTS de RENTRÉE 2022

SOIRÉE SHOWCASES du festival JAZZ SUR SEINE 2022, le 11 octobre. Au total dans la soirée, 18 concerts (début à 19h30) par le gratin de la nouvelle scène française, cela dans 5 clubs de jazz au coeur de Paris : Le Baiser Salé - Le Duc des Lombards - Guinness Tavern - Le Klub - Sunside-Sunset. Entrée libre pour le public.

Laurent Coulondre le 12 octobre au New Morning (Paris 10e). Meilleur disque français selon l’Académie du Jazz en 2019, un hommage virtuose à Michel Petrucciani. Son dernier (Meva Festa – L’Autre Distribution), imprégné d’afro-cubain, ne dépare aucunement la série commencée. Un hommage aux racines espagnoles du lauréat de la Victoire du Jazz (Artiste instrumental) en 2020.

Kaz Hawkins le 13 octobre au Bal Blomet (Paris 15e). Deux couplets, et les roues à aubes du bateau de la chanteuse née à Belfast, vous projettent pourtant le long des rives du Mississippi. Une voix d'une force surnaturelle. On attendait ça en blues!

Raphaël Imbert le 14 octobre à l'Opéra national de Lyon (Amphi underground) pour une évocation du très bel album « Oraison » (Ouththere Music) sorti l'an dernier. Pendant le concert du quartet soufflera (notamment) l'esprit d'Oraison, village du leader (Haute-Provence), seule commune qui a baptisé les rues du nom de ses soldats morts à la guerre. Une méditation résolument "coltranienne", composée par le saxophoniste, sur l'histoire, la mémoire, et le temps. Richissime et splendide!

Ambrose Akinmusire quartet le 15 octobre au Studio 104 de La Maison de la Radio (Paris 16e). La quasi-totalité des sorties du trompettiste américain défraie la chronique. Version super élogieux!

Natalia M.King chantera le blues le 15 octobre au Jazz Club Etoile à Paris (Porte Maillot). La chanteuse-compositrice née à Brooklyn est une vedette en France. Dire qu'elle mobilise ses tripes pour évoquer les plus grandes voix du genre (on pense à Etta James) est un euphémisme.

Emmanuel Bex le mardi 18 octobre au New Morning à 20h30 (ouverture des portes à 19h30), à Paris (10e) dans le cadre du festival Jazz Sur Seine, cela pour célébrer ses 40 ans de carrière. Des invités de choix : Francesco Bearzatti, Simon Goubert et Géraldine Laurent.


Marc Ducret et Christophe Monniot le 19 octobre à la BNU de Strasbourg. Le dialogue imprévisible de deux géants de la musique actuelle, organisé par Jazzdor, qui édite également leur CD « Dernier Tango » (Jazzdor Series).


Ramona Horvath (piano) et Tony Lakatos (sax ténor) le 22 octobre au Sunside (Paris 1er). La muraille de swing. Félicité ininterrompue du feeling.


L'exposition "Fela Anikulapo-Kuti, rébellion afrobeat" démarre le 20 octobre 2022 au Musée de la musique - Cité de la musique (Paris 19e). Elle durera jusqu'au 11 juin 2023.

Jean-Charles Richard (saxophones) et Marc Copland (piano) le 27 octobre au Sunset (Paris 1er). Avec Claudia Solal et Vincent Segal.


Minino Garay le 31 octobre au New Morning (Paris 10e). Partage et transgression du tango par le percussionniste argentin qui règne depuis vingt ans dans les clubs parisiens. Et pour cause : on a pas envie d'en sortir quand on entre écouter les rythmes d'enfer de ses formations.


D'Jazz Nevers festival du 5 au 12 novembre à Nevers (Nièvre). Avec une affiche super-relevée : Céline Bonacina/Laurent  Dehors le 5; Airelle Besson le 7; Louis Sclavis Quartet le 8; Noces Translucides, le groupe de François Corneloup, le 9; Thomas de Pourquery &Supersonic le 10; Emile Parisien Sextet le 11; Rhoda Scott Lady Quartet le 12. Entre mille autres surprises.


David Linx, Guillaume de Chassy, Matteo Pastorino le 10 novembre au Sunside (Paris 1er). Sagesse, folie, poésie pure, dans un contexte où se croisent - sur des pièces de Chopin, Bach, Ravel, Scriabine, Schubert, etc. - le piano (de Chassy), la clarinette (Pastorino), et le chant (quelle voix fabuleuse!) de David Linx, qui rédige des paroles. Album enchanteur (sortie en novembre) sur le label ENJA (On Shoulders we Stand). Je le passe en boucle sur le lecteur.

Louise Jallu solo (bandonéon - CD "Piazzola 2021") le 10 novembre 2022 au Bal Blomet, Paris (75015). Entre tango, jazz, écritures contemporaines, la visite inspirée, personnelle, puisée au cœur de la tradition, des œuvres d'Astor Piazzolla.

Louis Sclavis (clarinettes) le 11 novembre avec son trio (Richard Bonnet + Adrien Chennebault)  à L’Arrosoir (Chalon-sur-Saône).

Leyla MC Calla le 15 au New Morning (Paris 10e). Avec « Breaking the Thermometer » la chanteuse et violoncelliste construit un projet fusionnant compositions originales, airs traditionnels, extraits d'émissions de feu Radio Haïti. Inclassable. L'une des plus belles révélations de l'art vocal des dernières années.

Yannick Rieu Generation Quintet le 3 novembre au Sunside, avec Alain Jean-Marie et Stéphane Belmondo, fort du nouvel album du Generation Quartet du saxophoniste ténor (Qui qu’en Grogne/Socadisc)


Haboyan/Pallaro Quintet le 9 novembre au Sunset, une approche originale de l’improvisation par la formation de deux saxophonistes et un disque remarquable (One Page / Jazz en Face - Juste une Trace)


Leila Olivesi le 20 novembre aux Bouffes du Nord dans le cadre du festival Pianorama. Son disque "Astral" (L’Autre Distribution – il sort le 18 novembre), avec le gratin du jazz hexagonal, m’a transporté.

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