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La formule a pris. Dans le chaudron : quelques compositeurs mythiques ; un répertoire de légende ; deux musiciens de talent. Le reste (l’écriture des poèmes par Linx/le travail de transcription des airs classiques par de Chassy) est redevable de l’inspiration des musiciens. Les mélodies arrangées par le pianiste ont invoqué la rédaction et le chant du jazzman. Les auteurs savourent. David Linx, soulagé: « on a joué avec le feu ». Guillaume de Chassy, apaisé : « j’ai confié le pari à ma langue maternelle, le classique». Les textes se sont imbriqués dans la musique. Naturellement. Aucun des deux n’avait jusque-là, à son niveau d’expérience professionnelle, relevé pareil défi.
J’avais croisé David Linx en 1999, disciple de l’Américain James Baldwin (mort en 1987 à Saint-Paul-de-Vence), pour une réédition de l’album A Lover’s Question. La voix du Belge s’imposait petit à petit. Linx : « il fallait que je m’invente chaque jour ». Il a immergé son art dans celui des grands : l’écrivain James Baldwin ; le batteur Kenny Clarke ; le chanteur Mark Murphy. Le profil a changé. Je connais une trentaine de disques sous son nom. Jusqu’au-boutiste : « je me suis battu pour cela, pour que chaque projet ne soit pas une répétition ». Aujourd’hui, l’artiste a habitué le monde à sa stature de chanteur européen de jazz. En 2021, l’Académie du Jazz lui a décerné le Prix du Jazz Vocal. La consécration suprême. Meilleur chanteur de la planète. Dans ses deux précédents albums sur Cristal records (Skin in the Game/Be my Guest), Linx s’exprime dans des registres radicalement opposés à On Shoulders we Stand. Pour certaines pièces, il s’est parfois senti en chute libre : « pour le texte sur Jean-Sébastien Bach (extrait du Clavier bien Tempéré), je paniquais chaque jour : les mots allaient-ils jamais sortir ? J’ai appelé l’inspiration devant la page blanche. J'ai dû attendre trois mois avant de boucler ». L’énoncé ? Une très longue phrase en mouvement, en ondulations, de toute beauté. Le texte dégage une spiritualité que Bach n’aurait pas reniée. A son niveau, Linx devrait dorénavant savoir qu’il peut faire face à n’importe quelle réalisation.
Guillaume de Chassy braconne sur des terres labourées depuis son adolescence. Il a poli son expertise au contact de Natalie Dessay et Brigitte Engerer (classique). Puis de Paul Motian et André Minvielle (jazz). Les fleuves qu’il emprunte (et rend à chaque fois) s’épanchent à la lisière de leurs territoires. De Chassy : « je me proclame agent double entre deux univers ». Il a choisi les huit compositeurs du programme (Ravel, Schubert, Chopin, Scriabine, Bach, Chostakovitch, Rachmaninov et Mompou). Un fil rouge entre les thèmes : la mélodie de ces pièces pour piano appelle un chant. L’explication ? De Chassy : « à mon sens, Schubert, comme Chopin, comme Mozart, c’est du chant transposé au piano ». Il a fallu réaliser le concept. La gestation a duré cinq années. Première maquette en 2018. De Chassy a bâti les ponts. Linx les a franchis. Le poète a orné de mots leurs arcs au-dessus des eaux.
De Chassy : « nous formons un couple atypique. Lui bouillonne. A l’inverse, ma tempérance calme le jeu. Sa folie marque la moindre intervention. Je sais jouer avec très peu de notes. Une chose nous a soudé : le respect face aux immenses créateurs qui nous ont précédés. Notez ceci : on avait intérêt ! Devant l’œuvre d’un Jean-Sébastien Bach, on ne fait pas le malin »… Mariage sacré. La musique a ouvert de surcroît des espaces de liberté que le jeune clarinettiste sarde Matteo Pastorino sertit de volutes lyriques. Ainsi Linx et De Chassy sont-ils parvenus à faire swinguer ce qui ne swingue pas.
Bruno Pfeiffer
CONCERT de lancement du disque
David Linx, Guillaume de Chassy : Jeudi 10 novembre 2022 à 21h30 au Sunside (Paris 1er)
CD’s
David Linx, Guillaume de Chassy, Matteo Pastorino : On Shoulders we Stand
(ENJA/L’Autre Distribution)
David Linx : Skin in the Game (Cristal records)
David Linx : Be my Guest (Cristal records)
CONCERTS + ÉVÉNEMENTS 2022
François Corneloup le jeudi 24 novembre à l'Atelier du Plateau (Paris 19e), pour une performance scénique inspirée par la projection d'une photo de Guy Le Querrec, avec Sophia Domancich (piano), Anne Alvaro (voix), Jacky Molard (violon), et Joachim Florent (contrebasse). Corneloup a imaginé, conçu, composé Noces Translucides (texte de Jean Rochard). Corneloup souffle des saxophones de façon atypique, bourrée de feeling. Il nous a toujours (très agréablement) surpris. Le musicien est entouré par la crème du jazz actuel. J'y suis allé : la beauté faite sons! Les instruments, stimulés par la voix et la présence de l'actrice, servent les superbes thèmes composés par Corneloup. Le charme enveloppe de bout en bout. Ovation terrible! Ressorti sur un nuage. La même formation de musiciens + Simon Girard au trombone sur le disque de François Corneloup RÉVOLUTION (MCO Label), avec une version de circonstance (Tomorrow never Knows), signée Lennon/McCartney.
Paul Lay le jeudi 8 décembre 2022 à La Piccola Scala (Paris 10e, 21h30) à l’occasion de la sortie de son disque consacré à Bill Evans. Le pianiste, Prix Django Reinhardt 2016, rendra hommage au compositeur américain, improvisateur mélodique d'exception. Avec Dré Pallemaerts (batterie) et Clemens Van der Feen (contrebasse). L'album Blue in Green, enregistré début 2022, est le premier disque de jazz à paraître sur le label Scala Music. Parmi les œuvres revisitées: Blue in Green, Very Early, The two lonely people. On entend aussi Lay sur les standards transfigurés par Evans : Alice in Wonderland, You must Believe in Spring.
Jean-Marie Machado, les lundi 12 & mardi 13 décembre (20h), au Café de la Danse (Paris 11e). Le pianiste, compositeur, infatigable explorateur d'univers musicaux, dénouera un moment artistique entre le jazz, le classique et les musiques traditionnelles. Album dans cet esprit à venir en février 2023, Cantos Brujos (Pias/ECM Records - Label La Buissonne).
Nina Attal en duo le samedi 17 décembre à 20h30 au Jazz Club Etoile, situé Porte Maillot (Paris 17e). La Française, chanteuse, guitariste et auteure compositrice habitée, présentera, en duo avec Paco Crespeau (guitare), l'album Pieces of Soul (2021), son quatrième : le disque témoin d'un retour remarqué au blues et au rock, à l'origine de sa passion pour la guitare. Je l'avais entendue en juillet 2021 au New Morning (Paris 10e). Grande artiste. Scène en feu assurée...
Yoann Loustalot trio le 17 décembre à 20h30 au 360 Music Factory (32 rue Myrha, Paris 18e, M° Château-Rouge). Le trompettiste-compositeur jouera son dernier album, Yéti (L'Autre Distribution), avec Giani Caserotto: guitare et Stefano Lucchini : batterie. On est aspiré, enlacé, bercé, flatté, par le son aérien et le phrasé ingénieux de la trompette du leader, cela du long d'un disque envoûtant, à écouter d'un trait.
Ramona Horvath et Nicolas Rageau le 18 décembre à 18h sur la Péniche Daphné pour un concert en trio autour de chansons françaises et roumaines. La pianiste (quel feeling!) et le contrebassiste présenteront un invité : le guitariste Jean-Philippe Bordier, l'une des fines cordes de l'hexagone. Le Bateau Daphné est garé au 11, Quai de Montebello (Paris 5e), sur le flanc de Notre Dame, M° St Michel.
Bruno Ruder le 13 janvier 2023 au Triton (Les Lilas), en piano solo pour le concert de sortie du superbe disque Anomalies (L’Autre Distribution).
Carmen Souza le 24 janvier 2023 à La Cigale (Paris 18e) pour le festival "Au Fil des Voix". Sortie de son album Interconnectedness (Galileo / MDC / PIAS) le 2 décembre 2022.
Joachim Florent (contrebasse, compositions) le 3 février avec son trio à L'Arrosoir - Chalon-sur-Saône (71), pour la sortie de l'album Designers, (Label We Jazz records /Kudos), avec le pianiste finlandais Aki Rissanen, et l'Australien Will Guthrie à la batterie. Une musique de jazz actuelle, qui revendique des directions post-modernes, en recherche, minimalistes, inaccoutumées. Néanmoins jalonnée de mélodies.
Olivier Temime le 9 février 2023 au Duc des Lombards (Paris 1er), pour la sortie du décoiffant album Inner Songs (Label : Day after Music/Kuroneko), réalisé par Julien Lourau. Où l'on entend - notamment - ce que voici : la présence de Rahsaan Roland Kirk, le groove de Stevie Wonder, et la confirmation que Duke Ellington cohabite résolument avec John Coltrane. Ce ne sont pas les seules félicités de ce disque du saxophoniste ténor, superbe de bout en bout, où brillent en guests le rappeur franco-malien Oxmo Puccino, et Stéphane Belmondo, éblouissant au bugle sur deux titres.
Quentin Braine le 10 février 2023 au Jazz Corner Café de Sommières (Gard). Le batteur français, habitué des clubs new yorkais de Greenwich village, présentera dans ce club de jazz en vue de la région Occitanie, son remarquable album What's Beyond (Label CDZ) enregistré pendant le confinement de 2021. Le saxophoniste Charles-Eric Moreau - le pianiste Killian Rebreyend - le contrebassiste Romain Delorme - le guitariste Marc Nègre, tous interpréteront autour de lui une musique originale, où s'entrecroisent avec bonheur jazz, world, hip/hop et gospel. Pour l'histoire, les amateurs de jazz (particulièrement de vinyles rares), connaissent le Jazz Corner Café de Sommières, animé par l'expert Arnaud Boubet, connu dans le monde entier pour avoir créé la célèbre boutique parisienne Paris Jazz Corner (5 Rue de Navarre, 75005).