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S’il existe des œuvres de jazz qui méritent le paradis, celle du compositeur et chef d’orchestre américain Duke Ellington figure certainement dans le peloton des élues. Un extrait de son premier Concert Sacré ouvre le disque Duke Ladies Volume 2. Duke (prononcer DOUK, à l’américaine) présenta le Sacred Concert fin 1965, en la cathédrale de la Grâce à San Francisco. L’événement permit alors à Duke de déclarer sa foi avec passion. Laurent Mignard confie la partie vocale du titre en ouverture du CD (The Lord’s Prayer) à l’expression puissante de Sylvia Howard. On en sort bouleversés. Laurent Mignard déborde d’énergie. Nous évoquons au téléphone comment lui est apparue ce qu’il appelle sa « mission ». Laurent Mignard : « L’organisateur du Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés, Fred Charbaut, voulait recréer un Concert Sacré dans l’église Saint-Sulpice. Il me contacte en 2003. A l’époque, j’organisais des concerts avec mes élèves dans les églises de Seine-et-Marne. La commande était claire : il fallait créer un orchestre dédié à l’œuvre de Duke. Nous avons répété pendant 9 mois. Le concert a produit l’effet d’une révélation. Par la suite nous avons joué la formidable Far East Suite de Duke à Beyrouth. Nous nous sommes rendus compte que nous réalisions quelque chose de bon ».
La musique de Duke est abordable. Mieux, elle séduit d’emblée. Duke a dénué sa musique de complexité. La recette ? Mignard « Duke transforme le plomb en or. Il juxtapose des éléments simples, comme le blues, engendrant ainsi la sophistication. A partir de là, il se permet toutes les audaces. Il est persuadé que la musique élève les gens. C’est un humaniste, très pieux, porté sur son prochain. Toutefois, je range davantage sa spiritualité du côté des Lumières que du côté de la religion».
Au cours des prestations du Duke Orchestra, les salles retrouvent les sensations du public quand Duke jouait dans les années soixante en France. Émotion supérieure. Je me souviens avoir frémi à la présentation de Jazzy Poppins au Pan Piper en 2018 (Duke Ellington avait arrangé la bande originale de Mary Poppins, le film de Walt Disney). Quelles vibrations inoubliables !
Un des secrets majeurs de son niveau, l’orchestre le doit à ses solistes. Laurent Mignard : « chacun des membres de l’orchestre maîtrise son rôle. Un des emplois revient à improviser dans l’esprit des géants qui assuraient les pupitres dans l’orchestre original de Duke. Ainsi, Aurélie Tropez pensera-t-elle à Barney Bigard dans certaines pièces - à Jimmy Hamilton dans d’autres. Pareil au saxophone alto, Didier Desbois sidère les foules quand il phrase à la Johnny Hodges. Les solistes ont chacun une fonction prépondérante dans le son d’ensemble. Le contraire de chez Count Basie. Chez lui, l’on ne voit qu’une seule tête ».
Le Duke Orchestra est la seule formation au monde à se répartir ainsi les emplois. Célébration de la singularité. Claude Carrière, ellingtonien emblématique (décédé en 2021) me confiait ceci (sourire en coin du Français) : « les Américains enragent en écoutant le Duke Orchestra. Sur le thème : pourquoi les Français font-ils çà mieux que nous ? ».
Depuis plusieurs années, le Duke Orchestra flirte avec les récompenses. Cette année, la consécration. Pour le disque Duke Ladies Vol. 1 : Prix du Jazz classique de l’Académie du Jazz - Choc Jazz Magazine - Prix Spécial du Jury de la revue Jazz Hot. Humblement...
Plus que d’habitude, aujourd’hui, brille un aréopage de chanteuses et d’instrumentistes au féminin. Elles enluminent l’album Duke Orchestra - Duke Ladies Vol. 2. Citons Roberta Gambarini, Rhoda Scott (orgue, 80 ans : quelle pêche !), Nicolle Rochelle, Myra Maud, Sylvia Howard, Aurore Voilqué (violon), Rachelle Plas (harmonica), Aurélie Tropez (clarinettes), Julie Saury (batterie). Une surprise : la présence de l’harmonica diatonique de la Normande Rachelle Plas, dont la musique de Duke transfigure le blues, influencé par Robert Johnson et Stevie Wonder. Au passage, un coup de chapeau au valeureux pianiste Philippe Milanta, dont la performance à la Duke époustoufle sur The Clothed Woman. On les retrouvera tous avec les statutaires du groupe au Théâtre du Châtelet.
La constellation d’artistes du Duke Orchestra assurera le son et l’homogénéité de l’ensemble. Les uns pour les autres, regard arrimé sur le chef d’orchestre Laurent Mignard, le seul à leur renvoyer, selon ses mots « l’écoute globale ». On ne se fait aucun souci : Duke reconnaîtra les siens.
Bruno Pfeiffer
- Concert Duke Ladies, Théâtre du Châtelet, jeudi 12 mai 2022 - Duke Ladies Vol. 2 (Juste Une Trace/SOCADISC).
Concert Duke Ladies. On se serait cru au Cotton Club de Harlem - à la fin des Années Vingt - quand Nicolle Rochelle a dansé durant l'interprétation de The Clothed Woman par Philippe Milanta. Le talent pur. La double claque. Passage sidérant : on entendait des fauteuils le public gronder de plaisir. Autre moment fort, quand les neufs Ladies invitées ont entonnées le refrain final (Love you madly) après quasiment deux heures d'une prestation inoubliable. Les solistes nous ont gâté. Aurélie Tropez (clarinette) et Julie Saury (batterie), impériales dans leurs rôles, ont surplombé l'événement. Soirée conduite magistralement par Laurent Mignard, gardien des clés et des valeurs du Duke. Une pierre de plus qui ouvre le jazz au monde.
- CD Philippe MILANTA : 1,2,3,4 (Camille Productions). L'émotion déborde à l'écoute de la palette richissime que nous offre le pianiste du Duke Orchestra.
- CD Rachelle PLAS (co-écrit et réalisé avec Philippe HERVOUËT). Le commander : www.rachelleplas.com
- CD Duke Ellington, LIVE AT THE BERLIN JAZZ FESTIVAL 1969 - 1973. Edition remastérisée de deux concerts du patron aux JAZZTAGE. Une improvisation de 5 minutes ouvre le concert de 73. Rien que cette pièce suffirait à sauter de joie, dans une formation organisée sur la base de son trio (Joe Benjamin à la contrebasse et Quinten “Rocky” White Jr. à la batterie), avec (notamment) Paul Gonsalves au ténor. La prestation de 69, donnée pour ses 70 ans, émeut, avec les formidables cadres de l'orchestre : Cootie Willams, Cat Anderson, Paul Gonsalves, Johnny Hodges, Russell Procope, pour ne citer qu'eux. Commander à www.thelostrecordings.store.
- Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés (Paris), du 16 au 21 mai 2022. Avec Airelle Besson&Lionel Suarez, Sophia Domancich, Kyle Eastwood, Camille Bertault, Marion Rampal, Henri Texier, Stéphane Kerecki, Cecil L. Recchia, Dan Tepfer, etc.
- Académie du Jazz 2021, Grand Prix du jazz classique : Laurent Mignard Duke Orchestra - Duke Ladies Vol. 1 (Juste une Trace/Socadisc)
PRIX DJANGO REINHARDT (musicien français de l’année) : Thomas de Pourquery
GRAND PRIX DE L’ACADÉMIE DU JAZZ (meilleur disque de l’année)
Martial Solal « Coming Yesterday - Live at Salle Gaveau 2019 » (Challenge / DistrArt Musique)
PRIX DU DISQUE FRANÇAIS (meilleur disque enregistré par un musicien français) : Belmondo Quintet « Brotherhood » (B-Flat / Pias)
PRIX DU JAZZ VOCAL : Veronica Swift « This Bitter Earth » (Mack Avenue / Pias)
PRIX DU MEILLEUR INÉDIT : Roy Hargrove / Mulgrew Miller « In Harmony » (Resonance Records / Pias)
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