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Billet de blog 17 décembre 2020

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Jazz actuel, l'épopée familiale des Ceccaldi

Les deux frères Ceccaldi, virtuoses du jazz actuel, Théo (violon) et Valentin (violoncelle), mobilisent Le Grand Orchestre du Tricot pour remonter le fil de leur histoire personnelle dans le CD « Constantine ». La saga tourne autour du père, Serge, fondateur d'une école de musique.

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Illustration 1
© Jean Mallard

Les deux frères Ceccaldi puisent leur récit dans l'exil d'une famille traversant le vingtième siècle, au hasard des migrations de l'Alsace à l'Italie, à la Corse et à l'Algérie. Au cœur des histoires : Serge Ceccaldi, le père, et la ville où il naît, Constantine, en 1960. Le personnage central quitte l'Algérie deux ans après. Ils seront un million de pieds-noirs, en 1962, entassés dans les pré-fabriqués à l’aéroport du Bourget, ou dans le port de Marseille. Accueillis par la formule : « C’est votre pays maintenant ici ». Se poursuivent les pérégrinations d’une famille drapée dans la nostalgie d’une terre fantasmée. Les Ceccaldi s'installeront près d'Orléans. Serge Ceccaldi s’intéressera aux répertoires de tradition orale, aux musiques traditionnelles et folkloriques. Composera 600 pièces musicales de théâtre. Il créera à Orléans une école de musique associative ouverte à tous, quelque soit l’identité culturelle et artistique. Les Ceccaldi grandissent dans l'école : celle-ci représente l'alternative joyeuse au Conservatoire qu'ils fréquentaient en parallèle. L'école Musique et Equilibre représentait le plaisir de jouer en collectif, les premiers pas d’improvisateurs, de compositeurs, la fierté d’appartenir à un groupe qui cherche, qui évolue ensemble. Les Ceccaldi fils y croiseront le gros des troupes qui composeront leurs formations, dont Le Grand Orchestre du Tricot, et le Tricollectif. Aujourd'hui, ils se produisent dans les grands festival de jazz contemporains, comme Jazzdor, où leurs groupes m'ont enthousiamé plusieurs fois. Ou en sideman comme l'octet de Hans Lüdemann, avec Théo Ceccaldi, monumental (Jazzdor Berlin 2018). Ou en duo de rêve (Théo Ceccaldi+Michel Portal) au Triton (Les Lilas) en 2018.

Une dizaine de thèmes forment Constantine, tous signés Serge Ceccaldi, le père. La diversité de l'offre musicale retenue pour la chronologie captive. Les figures invitées - le gratin du jazz actuel - éclaboussent l'œuvre d'ingéniosité, d'engagement et de poésie. La trompette d'Airelle Besson illumine La Trace du Papillon. Le bandonéon de Michel Portal arrive sur son 31 au rendez-vous (Et même le Ciel). La clarinette de Yom danse dans Le Retour des Perdrix (voir en pied d'article). Thomas de Pourquery emballe La Règle du Scarabée. Le soprano d'Emile Parisien, sur Sigognac, est - cela devient un pléonasme – une apothéose de bonheur. Une fresque rebondissante, richissime, répandue en feu d'artifice par les étoiles du jazz actuel. L'esprit retient du récital un sentiment de liesse. Et de profondeur.

Illustration 2
Valentin et Theo Ceccaldi © AURORE FOUCHEZ

INTERVIEW THEO & SERGE CECCALDI

Les deux artistes répondent d'une seule voix aux questions envoyées par mail.

Quelle est l'inspiration originelle de Constantine?
Le disque s'inspire de notre histoire familiale : il a été pensé initialement comme une déclaration d’amour à notre papa et à sa musique (il a composé des centaines de pièces, notamment pour le théâtre). Nous avons concocté Constantine pendant 2 ans et offert la surprise à notre père le jour de ses 60 ans. Nous avons décidé d’associer nos vingt doigts, nos deux cœurs, nos quatre oreilles, à la redécouverte de la bande son de notre enfance. En se réappropriant sa musique : elle a accompagné notre évolution d’humains et d’artistes. Nous avons sélectionné une dizaine de thèmes, tirés pour la plupart de musiques de théâtre composées par notre père pour la compagnie Gilles Pajon, et nous avons décidé de les traiter sous le prisme de cette thématique de l’exil, du déracinement, de la colonisation et de la décolonisation. Les sujets n’ont jamais été explicitement nommés dans la famille. Cependant, nous avons toujours senti la présence des fantômes.
D'où proviennent les thèmes?
Tous les thèmes du disque ont été composés par notre père. Pour la plupart, destinés à des pièces de théâtre. La gestation du projet a été assez longue. Nous avons d’abord entamé un travail de recherche des partitions originales, dispersées, entassées dans des placards, dans des disques durs, ou sur de vieilles disquettes Atari que nous avons réussi à reformater avec l’aide précieuse de l'ingénieux Matthieu Metzger. Puis nous avons sélectionné les thèmes qui s'accordaient avec notre histoire, nos souvenirs. 

De quoi parlent les morceaux?
Robin Mercier a réécrit des textes de chansons. Celles-ci parlent de peuples éloignés de leurs terres, de leurs repères, de peuples qui ne maîtrisent pas leur destin. Les cartes sont battues au-dessus de leurs têtes. On évoque les vies oubliées; la pensée qui estompe la réalité avec les années; les souvenirs que l’on cherche à ressaisir en vain.


Comment s'est déroulé le travail avec le Grand Orchestre du Tricot?
Le processus de création de ce disque nous a amenés à travailler de façon singulière avec l'orchestre. Tout d'abord nous avons mis au point avec Quentin Biardeau une maquette pour travailler/découper/sculpter/arranger chaque thématique à l'envi. Puis chaque musicien de l'orchestre apporte sa personnalité. Enfin, les invités s'installent dans les écrins dédiés. Nous avons l'habitude de travailler la musique en public. Là, nous nous sommes lancés dans une aventure de studio : celle-ci doit beaucoup au travail de Mathieu Pion et Pierre Emmanuel Meriaud.


Brossez-nous les portraits de musiciens qui interviennent sur le disque
Nous avons souhaité nous entourer des compagnons les plus proches en premier lieu. La tribu du Tricollectif, dont chacun des membres entretient un rapport particulier avec notre famille: la plupart des musiciens ont inauguré leur premier pas d’improvisateurs dans l’école de musique de notre père. Puis nous avons convoqué des grands-frères et sœurs, des maîtres, des musicien.nes croisé.e.s sur le chemin depuis quelques années. Fantazio aborde Frantz Fanon et la violence coloniale. Abdullah Miniawy, chanteur égyptien a quitté son pays pour poursuivre son rêve de créateur. Emile Parisien, Airelle Besson, Thomas de Pourquery, Yom, Michel Portal, Leïla Martial : tous ont influencé notre parcours. Ici, leur interprétation entre dans l'histoire collective.

Bruno Pfeiffer

Valentin et Théo Ceccaldi - CONSTANTINE - Le Retour des Perdrix (feat. YOM) © Théo Ceccaldi

CD

Valentin et Théo Ceccaldi, Constantine (Brouhaha/L'Autre Distribution)

CONCERTS

Laurent Coulondre et son trio joueront le vendredi 5 mars 2021 à 20h, Salle Gaveau pour Jazz à Gaveau (https://www.sallegaveau.com/ ) parrainé par André Ceccarelli. Au programme, le formidable projet MICHEL ON MY MIND célébré par une Victoire du Jazz. Et (espérons-le) un extrait de l’album studio que le pianiste enregistrera en début d’année.

6 février 2021, Maison de la Musique de Nanterre, 20h30, Constantine, concert de sortie d'album, avec le Grand Orchestre du Tricot + Michel Portal

14 février 2021, Scène nationale d'Orléans, 17h, Constantine concert de sortie d'album, avec le Grand Orchestre du Tricot + Emile Parisien

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