BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

42 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 février 2022

BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

Marion Rampal, onze poèmes folk habités par le jazz

La vocaliste des formations d’Archie Shepp et de Raphaël Imbert tresse une guirlande de folksongs attachants, veinés de jazz et de rythmes créoles.

BRUNO PFEIFFER

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Marion Rampal © Alice Lemarin

C’est la surprise de la rentrée. Qui attendait de la part de Marion Rampal, la choriste et vocaliste des orchestres de free jazz un album de ballades issues des folklores canadien, réunionnais, cajun ? Qui attendait d’une figure de l’impro, des compositions aussi belles, aussi profondes, aussi intimes ? Onze poèmes limpides comme le cristal. Tel nous est apparu Tissé, empreint de beauté, de nature et de tristesse. L’un des énoncés de l’artiste donne la clé : « Tisser poème Tisser quand même Donner sa langue au cœur ». Marion Rampal jongle avec les étendards. Parler d’amour ? Certes, dans le sillage des textes d’Odetta, de Joni Mitchell et de Jeff Buckley. Mais en n’oubliant pas les engagements de Nina Simone, de Colette Magny et de Josh White. Quant aux mélodies, coup de chapeau au passage à Duke Ellington (« un Songbook à lui seul : la moindre de ses pièces vaut chanson. J’ai découvert Duke joué par Raphaël Imbert. J’avais 19 ans. Je n’ai eu de cesse que de l’accompagner. Raphaël m’a intégrée six ans après. Décisif. Il m’a révélé une partie de moi-même »).

Devant moi, au fond d’un café de la Place du Châtelet, mi-février, la vocaliste plaide pour la chanson qui - sous couvert de grands sentiments - porte d’autres messages, « comme les Troubadours du Moyen-Âge ». Une alchimie croisée dans l’orchestre du saxophoniste Archie Shepp. Marion : « un élan de libération traverse chaque morceau d’Archie. La présence dans ses groupes m’a permis de multiplier les observations. L’expérience m’a amené à repenser les fonctions de la musique ». Archie chante en duo avec Marion sur Calling to the Forest. Majestueux. Ecoutez l'album Tissé, composé pendant le confinement de 2020 : une œuvre bénéfique. Qui parle de la fin de l’amour, de la fin de la vie, de la fin du monde. Et de la naissance d’une très grande artiste.

Interview MARION RAMPAL

Que ressentez-vous une fois le disque terminé ?

Marion Rampal : Beaucoup d’apaisement, de silence, de fierté. L’impression que les compteurs de la vie repartent à zéro. Réaliser l’album me permet un meilleur passage de la quarantaine ; de traverser le deuil de ma grand’mère maternelle (un mois avant le confinement) ; d’effectuer un retour sur moi. Enfin, après un temps d’arrêt - une période de solitude habitée - de m’installer dans une maison. Un lieu ouvert aux quatre vents. Beaucoup de gratitude enfin : sans l’accompagnement du guitariste/compositeur Matthis Pascaud, je ne serais pas arrivée là.

Marion Rampal : "A volé" © Marion Rampal

On vous connaît vocaliste et choriste dans des orchestres de jazz et de blues. Comment avez-vous entamé le virage vers la chanson ? Quel a été le déclencheur ?

Matthis Pascaud se trouve à l’origine du retour à mon désir originel : chanter. Déjà, en 2019, j’avais travaillé sur la nudité de la voix dans l’album Le Secret avec le pianiste Pierre-François Blanchard, un pas de côté par rapport à mon travail dans le jazz. Je revenais à mon blues, à des artistes comme Odetta ou Josh White. J’aime bien les folksongs. J’en interprétais sur ma première guitare, à 14 ans. J’éprouve un penchant pour les formats courts. Enfin, pas question de perdre de vue l’influence du classique. Je chante du Purcell dans mon premier disque. J’ai côtoyé en studio le Quatuor Manfred. Je chante Mozart sur un album de Raphaël Imbert. Notez que de nombreux compositeurs de classique - Kurt Weill par exemple - ont rapproché leurs œuvres du répertoire populaire.

Comment composez-vous ?

Les airs naissent au gré des tâches, au cours de la journée ; quand je berce ma fille ; quand je lave la vaisselle ; quand je soigne les plantes de mon balcon. Je me suis remise à la guitare. Le processus est devenu plus artisanal. Pour Tissé, le réordonnancement de la progression traditionnelle (Accords - Mélodie - Texte) a engendré une multiplication des refrains. Chaque étape m’est apparue en totale conscience. Un passage à la fois agréable et vertigineux. En moins de trois mois de travail, l’essentiel s’étalait devant nous. Cela n’avait jamais été le cas dans mes projets antérieurs. Composer avec Matthis Pascaud - un va-et-vient continuel d’échange d’idées - m’a fourni les clés d’une maison musicale propre. Le confinement de 2020 n’entre pas pour rien dans la gestation.

Les chansons évoquent l’amour, la nature, la beauté…

Parce que je suis une romantique, au sens du Moyen-Âge. Mon imagination tourne autour d’un jardin. Le jardin appartient au folklore des Troubadours. Le jardin est un lieu qui inspire par excellence. Là, l’on chante avec les oiseaux. On s’y bat en duel. On écoute la fontaine. En concert, j’interprète une composition intitulée Au Jardin. L’histoire ? Une dame âgée qui se lève et descend dans son jardin. La chanson n’apparaît pas sur l’album. Paradoxalement, j’écris en ville. Le jardin est intégralement rêvé.

Une raison pour écrire plusieurs chansons en anglais, et d’autres où se mélangent anglais et français ?

La langue anglaise prend totalement voix au chapitre sur les titres plus intimistes (Blossom - Reminder - Still a Bird). Une tournure viscérale.

Quel crédit au jazz dans Tissé ?

J’ai voyagé à plusieurs reprises à La Nouvelle Orléans et alentours, dans le pays cajun notamment. Le lien entre les folklores et le jazz y est naturel. En outre, participer aux formations de jazz éminentes de Raphaël Imbert et d’Archie Shepp, m’a postée en observatrice de ce langage. M’a permis de profiter de son meilleur. La présence enfin d’Anne Paceo sur D’Autres Soleils (Anne tient la batterie dans mes albums), une musicienne de jazz consacrée, influe considérablement. Cette imprégnation du jazz, du folk, de rock (dans le groupe Wesh Wesh), de la country (et du temps !), ont suscité ma réflexion sur les fonctions de la musique. L’ensemble converge vers ma création actuelle. Archie Shepp m’a déclaré : « vous êtes une chanteuse de jazz ». Rien ne pouvait mieux m’adouber.

Les travaux de Raphaël Imbert sur la spiritualité dans le jazz ont-ils joué un rôle ?

Je me sens proche de Raphaël Imbert. Il a effectué de nombreux voyages d’étude aux Etats-Unis. Il m’a sollicitée sur de nombreux projets. Son enseignement m’a marquée. J’ai découvert une part de moi-même grâce à lui. Je nuancerais cependant le rapport au spirituel. Ma musique recèle moins de mystique que celle de certains jazzmen. Ma spiritualité viserait plutôt celle de Leonard Cohen : décalée par rapport au dogme, dissidente, libre. Une écriture superbe ! Et si profonde. Je suis sensible aux expressions personnelles de la liberté. Je pense à la chanteuse américaine Abbey Lincoln ; à Colette Magny. Aux idées que leur chant porte. Le disque de Cohen que je préfère ? Songs of Love and Hate. Un tournant dans ma vie.

Les autres albums décisifs ?

Astral Weeks, de Van Morrison. Horses, de Patti Smith. The White Album, des Beatles. Les premiers albums en solo de Paul McCartney, surtout RAM. J’adore écouter les collections sonores de chants de femmes cajuns dans leur cuisine. Des voix surgies du passé, dénichées au Folk Institute de Louisiane, ou dans les compilations de l’éditeur français Frémeaux et Associés.

Marion Rampal et Piers Faccini : "Où sont passées les roses?" © M.Rampal - P. Faccini

Vous sentez-vous définitivement songwriteuse ?

Je suis une songwriteuse, troubadouresque dans l’âme : je voyage. Je chante l’amour, la liberté. Je transmets des messages. Je considère cela comme une vraie fonction. Celle-ci prend encore davantage d’importance lorsque la poésie d’un autre compositeur rejoint ma poésie propre, comme la contribution de l’Anglais Piers Faccini collée sur Où sont passées les roses ? Sur ce protest song, le politique rejoint l’intime. S’y croisent les balancements du maloya réunionnais et du folk canadien. Le collage parfait. L’harmonie pensée jusqu’à l’épure.

Se lancer vers quoi après ce bijou ?

Je relègue dorénavant la période précédant Tissé à une fuite en avant. Survient la mise en parenthèse du confinement de 2020. Importante. Je me suis découverte. J’ai pris goût à ce qui s’est passé. Le résultat a libéré la part de poésie en moi. La psychanalyse m’a également marquée, a participé à créer ma langue. Je lis énormément de choses dans ce domaine, ainsi que sur l’anthropologie. Je souris déjà à ce qui s’annonce. Après ? Peut-être me lancer dans un disque de reprises. Je regarde déjà du côté de Rickie Lee Jones et des Beatles. Il existe tellement de choses à réinventer…

Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

Marion Rampal, CD Tissé : Les Rivières Souterraines / L’Autre Distribution. Sortie le 25 février 2022

Concerts les 9 mars (14h30) et 12 mars (17h) : "L’Île aux Chants Mêlés" - spectacle musical jeune public (à partir de 7 ans) au Théâtre Antoine Vitez / Ivry sur Seine, avec Pierre-François Blanchard (piano), et Sébastien Llado (trombone, conques, soubassophone). Marion Rampal jouera le spectacle "L’Île aux Chants Mêlés" à  Jazz sous les pommiers le 20 mai (Théatre Municipal de Coutances).

Concert le 18 mai à Paris - Festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés (Maison de l’Océan), avec Piers Faccini et Naïssam Jalal - 20h30

Concert ("L’Île aux Chants Mêlés") du samedi 12 mars  à Ivry s/ Seine. Quel bon moment! La banane pendant une heure (sur les frimousses des enfants ET des parents!). Une mise en situations sans faute des talents de Marion Rampal, Pierre-François Blanchard et Sébastien Llado. Ils chantent, jouent, combinent les harmonies et les rythmes, enchaînent les tableaux sans répit, enfin associent parents et enfants à la quête du capitaine Rampal. Le tout au service de compositions fondantes et variées. On reprend les refrains, on fredonne, on tape dans les mains, on flanche. Irrésistible. Un triomphe.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.