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Billet de blog 29 avril 2025

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Jazz actuel, l'orgue prend de la valeur

Emmanuel Bex porte aux nues l'organiste de jazz Eddy Louiss, un illustre prédécesseur français. Grâce au CD "Eddy m'a dit" (Label Pee Wee), la relève est assurée... Concert le 6 mai au New Morning et le 23 juin à St-Denis (93) (Paris 10e).

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Illustration 1
Emmanuel Bex à l'orgue Hammond B3 © Jean-Baptiste Millot

L’organiste Emmanuel Bex se présente spontanément sous le terme d' « enfant de 1968 ». Il revendique la métaphore. Croisé dans le hall de Radio Solidarité (Paris 19e), au sortir d'une émission, début avril, la personnalité liste ses traits : « rebelle, révolté, collectif, bouillant». Ce dernier épithète sans doute parce qu'en concert, Bex ne reste pas planté au balcon comme l'organiste de la paroisse. Il malmènerait plutôt l'instrument, mitraillant le public d’éclairs, le buste au-dessus de l'orgue Hammond B3, comme jadis Jon Lord, le fondateur du groupe de rock Deep Purple. Le corps se tord de tous les côtés. Les yeux, les doigts, la mâchoire suivent. Avec un engagement total, si bien que l’on s’attend, en plein solo, à le voir plonger vers la foule. Habité, selon ses termes, par "l'obsession d'abolir le quatrième mur de la scène : celui qui sépare l'artiste des gens".  Les prestations de l’« enfant de 68 » tournent immanquablement au spectacle total. On le classe dans les rangs des jazzmen reconnaissables instantanément à la posture. Parmi les premières places de la catégorie...La musique de Bex encercle l’auditeur par tous les canaux, ainsi qu’en son temps s'y employa celle de son aîné, Eddy Louiss, dont la présence magnétique mettait en transe. Touché par la stature à dix-huit ans lors d’une prestation à Uzeste d'Eddy Louiss, pape européen de l’orgue jazz, Bex tient depuis un moment le haut du clavier. Mon interlocuteur s'émeut : "Le disque de Stan Getz avec Eddy  ("Dynasty", dont Bex reprend le titre "Our Kind of Sabi" sur le CD "Eddy m'a dit" (Label Pee Wee), m'a retourné". Pas compliqué à comprendre. Écoutez le trio de Getz jouer Dynasty en 1971 au Ronnie's Scott de Londres. Fabuleux, non?

Malgré les atomes crochus musicaux, la communication entre les deux géants de l’orgue se résumera à quelques brefs échanges, une situation qui a perduré durant la totalité de leurs deux (appréciables) trajectoires. Chacun déroulant le sillon de sa popularité. Le temps limité des conversations reste une faille pour Bex. Aujourd’hui, ce dernier, résolu, reprend le flambeau, avec un joli coup de chapeau à son prédécesseur. Teinté d'une pointe d'effarement. La raison? Bex déplore que « dix ans après sa disparition (en 2015), personne n’a encore marqué le coup. Personne - à part son fils Pierre Louiss - n'a manifesté de volonté de le célébrer». Encouragé par Vincent Mahey, fondateur du label Pee Wee, Bex poussera une œuvre en avant. À la force du poignet. On ne se refait pas.
Le contestataire-né me brosse l’esprit qu’il a voulu imprimer au disque, une pépite intitulée « Eddy m’a dit ». Une heureuse performance entre les musiques populaires et les musiques savantes. Relancé dans un premier temps par Vincent Mahey (déjà préposé aux consoles d'une quinzaine des disques de l'improvisateur), , également ingénieur du son d'Eddy durant les dix dernières années de ce dernier, revient régulièrement à la charge, travaille avec Bex. Le matériel? Une brassée de compositions d'Eddy couvrant des univers riches et diversifiés. Trois de Bex, dont un morceau co-signé Minvielle ("Eddy m'a dit"). Bex et  Mahey touchent au but. L'idée de transmettre l'héritage d'Eddy prend le pas sur la seule célébration.

En effet, Bex rebondit corps et âme sur la proposition du producteur Vincent Mahey. S'anime alors en studio la danse collective du disque, ensorcelante, veinée d'émotions, virtuose. Pas une faille. La cohérence de l'ensemble séduit. La réalisation abasourdit. Car le personnel (soyons précis : la fine fleur du jazz français), change à chaque pièce. Les musiciens  redoublent de feeling. Se  surpassent. Que l'on juge à l'affiche : André Minvielle (primé il y a deux mois à l'Académie du Jazz); Dominique Pifarely (quel bonheur, ce duo délicat avec Simon Goubert sur "Colchiques dans les Prés"). Une rythmique de tous les diables : Arnaud Dolmen; Michel Alibo. La Fanfare du Carreau; le trombone de Fidel Fourneyron qui s'envole avec un lyrisme inouï; et bien d'autres figures du jazz hexagonal. Tous lâchent la bride avec gourmandise. Les morceaux? Des pièces de lave projetés du fond du cœur. Les pointures répandent leur talent dans cette ronde organique, entre animalité du vaudou, imagination du jazz actuel, déchirement du blues, et complicité du folk. Bex, lui-même, n'en est pas revenu. Il reconnaît :"l'enregistrement relevait d'un combat. Jamais je n'aurai su donner de consignes aux invités sur le développement d'un morceau". Ainsi irradie le projet, poussé par l'inspiration enthousiaste des protagonistes. Eddy Louiss conduisait les formations avec un charisme indiscutable. Pour des résultats phénoménaux. Le bel album de Bex transmet un bonheur du même tonneau. S'il était encore de ce monde, Eddy aurait sûrement voulu lui parler. Longuement. Cette fois.

Bruno Pfeiffer

CD Emmanuel Bex « Eddy m’a dit » (Label Pee Wee)

CONCERTS Bex

- mardi 6 mai 2025 au NEW MORNING (Paris 10)

- lundi 23 juin à St-Denis (Théâtre Gérard Philippe), accessible par la ligne 1 du tramway d'Île-de-France par la station Théâtre Gérard-Philipe

Et aussi les :

7/06 à Meaux (Cité de la Musique Simone Weil)

21/06 au Blanc Mesnil

10/07 à Vannes

29/08 au Sud du Nord (Essonne)

15/11 à Nevers (en trio + Dominique Pifarely)

22/11 à Saint-Ouen-L’Aumône

CONCERTS de la saison d'été

Festival JAZZ EN PIC Saint-Loup du jeudi 5 au samedi 7 juin 2025 (24e édition), dans plusieurs communes de l'Hérault. Parmi les surprises attendues en abondance, comme autant de trésors tapis dans l'ombre de l'imposante montagne, cette année  : Ballaké Sissoko, Vincent Ségal, Emile Parisien, Vincent Peirani's Les Egarés, Sarah Lenka, Ana Carla Maza, Rouge, Géraldine Laurent et Laurent De Wilde, Cam&Leo, Sur la bouche... Je relève avec exaltation Les Egarés et le duo Géraldine Laurent et Laurent De Wilde,  deux éblouissements de l'an dernier. Dans les rangs de ces formations, les deux saxophonistes (Émile et Géraldine), ne quittent plus les hautes sphères, les dépassent régulièrement, nous y emmènent. Programmation complète sur www.jazzajunas.fr.  Renseignements et ventes au 04 66 80 30 27.

CONCERT Christina Rosmini, la chanteuse-autrice-compositrice, en représentation à la Divine Comédie (Paris 9e), les mardis à 21h, cela jusqu'au 17 juin 2025. On retrouve avec félicité l'artiste - forte de ses succès les dernières années au Festival Off d'Avignon - dans la salle de la rue Saulnier. Le programme des récitals met en valeur un répertoire poétique, humaniste et bienveillant. Christina Rosmini, c'est de surcroît une présence solaire; un secret bien gardé; le signe de reconnaissance des amateurs d'une chanson française dans la tradition. On se souvient aussi  des interprétations haut-de-gamme de la pulpeuse Méditerranéenne (quelle belle fille!) dans un spectacle formidable (TIO Brassens), consacré aux titres de Georges Brassens. Ses versions avaient enflammé la galaxie du géant sétois. La complicité de Rosmini avec les salles, cela depuis ses débuts, reste la bonne surprise de chaque prestation. Surprise qui doit aussi à la qualité de l'orchestre (le guitariste Bruno Caviglia a accompagné Véronique Sanson). En résumé, la soirée Rosmini = cadeau.

CD "TIO Brassens". L'enregistrement de l'hommage à Brassens (2018)

Laurent Coulondre & Christelle Raquillet le jeudi 19 juin 2025 au Studio de l'Ermitage (M° Jourdain - Paris 20e). Il (Elle) joueront Shifting Lights,  un flottement d’abandon aux rythmiques latines, et aux inspirations changeantes de la pop music. L'album vient de sortir chez L'Autre Distribution. Deux fois primé aux Victoires de la Musique (Révélation, puis Artiste Jazz en 2016 et 2020), le pianiste Laurent Coulondre, dont la performance solo Michel (Petrucciani) on my Mind nous avait retourné en 2020, met son talent au service d'une nouvelle posture : le duo avec une (brillante) flûtiste. Comme dans les 2 albums édités l'an dernier - le solo Trip in Marseille, ainsi que Meva Festa, (2 millions de streams) - Coulondre, exploite à fond le potentiel d'improvisation de la formule. C'est excellent. Le Nîmois monte la barre sans souffler, et Christelle Raquillet relance sans fautes.

JOHN FOGERTY, le jeudi 26 juin au Zénith de Paris (M° Porte de Pantin). John Fogerty a sans discussion marqué de son empreinte l’histoire du rock avec Creedence Clearwater Revival. Un super-groupe aux supers titres. Chanteur, guitariste, producteur, auteur-compositeur multi-récompensé et membre du Rock’n’Roll Hall of Fame, Fogerty a récupéré les droits de ses morceaux : il en fait maintenant à nouveau profiter la planète dans le Celebration Tour. Je l'ai vu il y a deux ans à La Seine musicale. Le concert valait le déplacement. Trop le bonheur! Le leader continue également à se réapproprier les tubes fantastiques de Creedence dans un enregistrement à venir : Legacy - The Creedence Clearwater Revival Years (John’s Version). Réunissant hits et extraits d’albums, cette sélection revisite 20 titres parmi les plus populaires du groupe, accompagné dorénavant par ses deux fils, Shane et Tyler. Coïncidant avec le 80ème anniversaire de Forgerty (28 mai 2025), Legacy célèbre à la fois le répertoire canon de Creedence, et un catalogue stellaire, celui d’un songwriter d'exception.

CD

John Fogerty : Legacy - The Creedence Clearwater Revival Years (John’s Version). Sortie le 22 août 2025 (Concord/Universal Music)

B.P.

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