Le Conte de l'olivier créole, deuxième épisode

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Dix ans plus tard, dans la vallée de l’Alto Ricaurte où je vis, sur la cordillère orientale, j’ai découvert avec stupéfaction que nous jouissions d’un microclimat, très proche du temps méditerranéen, par la rencontre du tropique et des hauts-plateaux à plus de 2 000 mètres. On y retrouve donc toute la flore des bords de la Méditerranée : les bougainvilliers, les vignes, les grenadiers, les figuiers, la lavande, et surtout les oliviers, que les conquérants espagnols ont cultivé ici avec succès dès le début du XVIIème siècle, jusqu’à faire de la vallée une gigantesque oliveraie, parmi les plus productives du Royaume d’Espagne, avec celles du Pérou.
Anticipant les pulsions protectionnistes américaines d’un Donald Trump, la Couronne d’Espagne a très vite interdit la production et l’exportation d’olives en provenance du Nouveau Monde, de peur de voir affectée l’économie des provinces du sud de la péninsule espagnole. Après l’indépendance, cette prohibition s’accentuera, jusqu’à l’envoi d’expéditions pour brûler les cultures et importer des maladies.
Abandonnée pendant près de deux siècles, l’oliveraie agonisait, pour devenir un cimetière d’arbres, jusqu’à ce qu’une famille d’ingénieurs agronomes de la région – la ferme Olivanto – prenne la décision de réactiver les variétés qui s’étaient adaptées à l’époque espagnole, et qui sont donc devenues des plantes endémiques, ou plus exactement « créoles », descendantes de souches européennes, mais nées sur cette terre.
Ce travail agronomique rigoureux a permis rapidement une production d’arbres à grande échelle, et surtout avec une vitesse de croissance impressionnante, parce qu’ici au tropique, on enchaîne quatre fois la bonne saison européenne, ou pour le dire autrement, la saison des pluies joue le rôle de l’été, et la saison sèche, celui de l’hiver. Il est très difficile de répondre à l’invariable question de mes interlocuteurs vivant en Europe : « Quel temps avez-vous en Colombie ? » Ici ce n’est pas une question, puisqu’en un jour défilent presque toujours les trois saisons, le printemps à Nice, l’été à Égine et l’automne de Berlin.
C’est ainsi que j’ai retrouvé les oliviers, à plus de dix mille kilomètre de notre terre commune, et sans y réfléchir plus avant, j’ai décidé de planter des oliviers dans ma finca, le Fournil, et surtout de participer à un projet de développement collectif autour de cet arbre. En effet, un réseau de fermes est en train de se construire, avec comme objectif de réactiver et promouvoir une nouvelle culture de l’olivier en Colombie, au double sens économique et spirituel du terme.