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Billet de blog 15 février 2024

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Le conte de l'olivier créole, quatrième épisode

Je suis un homme de lettres, je vis du travail de l’écriture, et il y a six ans j’ai pris la décision de me retirer au fond d’une vallée du village de Tinjacá, sur la cordillère colombienne, pour me consacrer à mes livres et à la culture de l’olivier, l'arbre créole.

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Illustration 1
Premiers fruits © Bruno Tackels

J’ai commencé à planter des oliviers juste après la pandémie, pendant laquelle j’ai vu mes revenus baisser drastiquement. Ensuite, les diverses invitations ne sont pas revenues à leur niveau passé, comme si j’étais appelé à rester ici dans la forêt. Ce sont mes droits d’auteurs, modestes mais réguliers, qui sont venus supporter le financement de l’oliverie Bernard Noël, l’achat des arbres et leur accompagnement permanent. J’ai soudain pris conscience que les droits d’auteurs pouvaient se convertir en arbres, cinq arbres valant cent euros. Une manière simple et efficace de dépasser le débat stérile et sans issue entre « copyright » et « copyleft », qui pourrait s’appeler le « copytree », un dispositif dans lequel les livres ne tuent pas des arbres, mais font naître à l’inverse de nouvelles plantes.

Les semis et les royalties ont en commun la logique vertigineuse du nombre. Planter cent arbres, c’est peu, mille tout autant, mais si dix personnes décident de le faire, ou cent, on change de braquet, et l’on commence à compter par centaines de millions, voire de millions d’oliviers, et cela change tout. Une vallée ravagée par la prédation de plus de deux siècles d’industrialisation, et donc de déforestation, pourrait alors retrouver sa couche végétale et ses forêts de chênes. Avec les droits d’auteurs, il se passe quelque chose d’analogue : quand un chanteur ou un écrivain vend mille exemplaires de son dernier livre, c’est un rayonnement honorable, mais qui ne génère pas beaucoup d’argent, mais quand ils vendent des millions de disques ou de livres, il s’agit de sommes considérables, qui permettent de penser le chemin inverse : si un artiste qui arrive à tels niveaux de vente versait 0,2 % de ses droits d’auteurs, on pourrait alors penser sérieusement à une reforestation à grande, très grande échelle.

L’olivier n’est pas seulement un produit issu d’une forme de culture, l’oléiculture, mais il est en lui-même une culture, une géographie, une couleur, une vibration. Vivre parmi les oliviers est justement une manière de vivre, à commencer par la nourriture et son art des vivres, selon la belle expression de Valentin Husson. L’olivier, avec son huile, vierge et pressé à froid, mais aussi ses fruits et ses feuilles aux puissantes vertus médicinales, est le fondement du régime méditerranéen – ou crétois ­­– dont les effets sur la santé sont notoires. Il privilégie les légumes et les fruits, les tubercules et les fruits secs, avec peu de viandes, essentiellement blanches, beaucoup de poissons, des fromages de chèvre exclusivement. Ce régime inclut également un verre de vin rouge par repas.

Ajoutons que les oliviers sont très conviviaux, et acceptent de vivre avec de nombreuses autres espèces, comme les citronniers, les lulos, les figuiers, les grenadiers, la lavande, les herbes médicinales et les plantes aromatiques, autant de produits qui s’intègrent dans le régime méditerranéen. On peut également envisager l’élevage de chèvres, nourries par le foin produit par l’oliveraie, et produisant en retour une excellente nourriture pour les arbres.

Bien que les milliers de vieux oliviers de la vallée de Villa de Leyva semblent dormir, comme ceux du « Petit Enfer », tristement attaqués par un terrible parasite, il est tout à fait possible de les réactiver et de leur redonner une vie productive. Si on observe bien la vallée dans tous ces recoins, on remarque qu’elle est chargée de nombreuses traces de cette antique présence entrée en léthargie. Il suffit de lire les noms des commerces ou des restaurants : Doña Oliva, Los Olivos, El Olivar, Oliveto, sans que l’on puisse établir un lien direct avec cette présence oubliée.

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