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Billet de blog 20 février 2024

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Le Conte de l'olivier créole, cinquième épisode

Je suis un homme de lettres, je vis du travail de l’écriture, et il y a six ans j’ai pris la décision de me retirer au fond d’une vallée du village de Tinjacá, sur la cordillère orientale des Andes colombiennes, pour me consacrer à mes livres et à la culture de l'olivier, l'arbre créole.

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Illustration 1
L'oliveraie, février 2024 © Bruno Tackels

Le Conte de l'olivier créole, cinquième épisode

Que faut-il penser de la situation économique actuelle, tellement paradoxale, avec 100 % de l’huile d’olive consommée en Colombie importée, essentiellement depuis l’Espagne. Une situation absurde, si l’on pense à ce trésor endormi, qui révèle la nécessité d’élaborer un plan au niveau de la région de Boyaca, lequel pourrait s’inscrire dans le cadre du Plan national de Développement en vigueur, incluant d’ores et déjà l’engagement du gouvernement à planter 180 millions d’arbres. L’investissement dans la culture de l’olivier devrait s’inscrire dans cette dynamique nationale, non seulement pour ses potentialités productives, mais aussi parce que ses racines horizontales sont un excellent remède contre l’érosion des sols appauvris. Sans parler de sa forte capacité d’absorption de CO2.

L’olivier pourrait à l’évidence faire partie de la solution écologique qu’il nous faut inventer, alors qu’il est pour le moment, paradoxalement, dans une situation de plus en plus problématique, dans de nombreuses régions d’Europe, Italie, Sardaigne, Corse, Portugal. Les alertes se multiplient. L’olivier est en danger.

Ces évidences factuelles sont le fruit d’une prise de conscience écologique récente, mais bien réelle, concernant « la détérioration matérielle de la Planète », comme en témoignent ces lignes : « C’est une discussion qui intéresse particulièrement les Français et autres nations européennes, chez qui l’on voit la température se vicier rapidement, les excès climatiques devenir habituels et les cultures faire des pertes successives. Il n’est presque plus possible de cultiver l’oranger en Provence, il a gelé à Nice dans l’hiver 1820 ; l’olivier perd tous les ans quelques vallées et a rétrogradé d’environ 4 degrés depuis 50 ans. Le nord éprouve les mêmes dommages ; la vallée de Namur a passé consécutivement 7 ans sans obtenir de récoltes de vins. Les saisons semblent travesties, ramenant l’hiver à l’époque du printemps et tombant dans des excès continuels sans transitions ménagées. Bref, il est incontestable que la prolongation de la lymbe sociale cause un progrès rapide dans les vices climatiques, et c’est une des considérations à faire valoir pour démontrer l’urgence de sortir promptement de l’état Civilisé, Barbare, Sauvage, et remédier aux souffrances matérielles de la planète par la même opération qui mettra un terme aux misères humaines. » Ces mots lapidaires mus par l’urgence face au désastre en cours et á venir ont été écrits en 1921 sous la plume du penseur socialiste Charles Fourier, dont les intuitions fulgurantes sont souvent injustement restées dans l’ombre du géant Karl Marx, comme dans ce texte. D’une désespérante lucidité. Il faut le lire.

« La lymbe sociale ou état civilisé, barbare, patriarcal et sauvage est sujette au cercle vicieux ; c’est le septième de ses caractères. En accusant l’imprudence des sociétés civilisées et barbares, je ne vante pas pour cela l’inertie sauvage et ne veut faire l’apologie de Scylla ni de Charybde ; je me borne à prouver qu’on ne sait lequel est le pire ou de l’inertie ou de la culture incohérente, puisque l’une comme l’autre conduisent aux mêmes ravages, aux dégradations matérielles, comme les deltas, aux intempéries, aux épidémies, etc., etc. Et il est évident que nous arrivons par l’irrégularité de culture à reproduire les frimas qui sont une propriété de l’état inculte. Non seulement la Civilisation ne sait pas, dans les défrichements nécessaires, s’en tenir aux degrés et doses convenables, mais elle ne sait pas non plus observer l’harmonie distributive ; tout y est réglé par fantaisie individuelle ; aucune opération n’est concertée en masse et proportionné aux convenances générales. S’il faut qu’une région conserve le huitième de son terrain en bois, ce qui est à peu près le moyen terme du nécessaire, elle répartira si maladroitement cette portion de bois conservés qu’au lieu d’améliorer la température et préserver d’effritement les sommets et les pentes, ces bois ne serviront qu’á compromettre l’ensemble, produire les excès climatériques par vice de proportion locale et épuiser les plus belles sources. Entretemps, il arrivera qu’au lieu de conserver ce huitième des forêts, on en détruira tout à coup la moitié comme on a fait récemment en France où la masse de bois ne s’élève maintenant qu’au dix-huitième du territoire, dose qui n’est pas moitié du nécessaire. D’ailleurs, cette destruction des forêts, au lieu de donner des terres à l’agriculture, n’a créé que des landes et des pentes pelées d’où naissent les torrents et les orages … 

Les désordres climatiques sont un vice inhérent à la culture civilisée ; elle bouleverse tout par le défaut de proportions et de méthodes générales, par la lutte de l’intérêt individuel avec l’intérêt collectif. Toutes les améliorations rêvées et tentées par les hommes de l’art deviennent par l’abus des exploitations individuelles autant de germes de ravage. La Civilisation se perd par ses travaux mêmes. Tout pays arrivé à la pleine Civilisation ne tarde pas trois siècles à se déchirer de ses propres mains par l’impéritie des cultures qui dégradent les montagnes, les fleuves, l’atmosphère, tout enfin. »

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