En février 2022, dans un contexte de tension où les populations africaines remettent en cause la relation entre les deux continents, le Sommet de Bruxelles reconnaît l’absence de résultat du partenariat signé depuis 2007 et dénommé Stratégie Commune UE-Afrique (SCUA). Cette stratégie est censée s’inscrire dans la vision de l’UA « d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène internationale [1]». Toutefois, il ne semble pas que les parties se soient suffisamment appesanties sur les raisons de cet échec, qui auraient amené à remettre en cause les fondements dudit partenariat. En effet, fondée sur des prémisses peu transparentes, des objectifs pas souvent avoués et des conditions inégalitaires, la relation n’a jamais été qu’un marché de dupes qui risque de le rester.
Le Sommet annonçait comme objectifs du partenariat la « solidarité, la sécurité, la paix, le développement économique durable et inscrit dans la durée et la prospérité » et « Une relation refondée autour du triptyque prospérité, sécurité, mobilité » à travers :
- un New Deal économique et financier avec l’Afrique, et l’accompagnement dans ses politiques de relance après la pandémie,
- un appui aux efforts de l’Afrique dans la lutte contre le terrorisme et un soutien aux actions africaines en faveur de la stabilité du continent, qui se traduirait par un renforcement des opérations africaines de maintien de la paix ainsi que le renforcement des capacités.
- la mobilité et la migration légale ; la lutte contre les migrations irrégulières, qui ciblerait les passeurs ; et le renforcement des mécanismes de retours et réadmissions.
Toutefois, l’évaluation des objectifs annoncés, à la lumière des actes posés à ce jour par l’UE sur le continent et les implications de ces actions en ce qui concerne les objectifs réels de l’UE en Afrique, est préoccupante pour les raisons suivantes :
- Face à l’opposition de l’UA à une intervention en Lybie, les raisons réelles de l’agression de l’OTAN contre la Lybie de Mouammar Kadhafi, seraient les suivantes :
- La décision de Kadhafi dans les années 1970 de nationaliser partiellement les richesses pétrolières du pays, au grand dam des pays occidentaux qui en voulaient le contrôle.
- Son opposition à l’établissement de l’AFRICOM sur le continent africain et l’idée d’une gouvernance américaine pour l’Afrique [2].
- Le 23 Mars 2018, sur la chaine d’état française France 24, l’avocat Français Marcel Ceccaldi, discutant des causes de l’intervention de l’OTAN et ses conséquences sur le continent africain soutenait que « Mouammar Kadhafi a signé son arrêt de mort lorsqu’il a décidé de créer une monnaie commune à l’Union africaine ». Cette thèse est reprise par de nombreux chercheurs et auteurs.
Ces actions fondatrices et unificatrices posées par Mouammar Kadhafi, ainsi que son ambition d’établir un « Fond Monétaire Africain » qui auraient libéré l’énergie d’un continent Africain soumis au contrôle de l’Occident ont été tuées dans l’œuf.
2. La question des accord secrets du Pacte colonial[3] entre la France et ses anciennes colonies, devenue publique, n’a jamais été mise sur la table et débattue en vue de sa suppression.
Ces accords sont le déni le plus évident d’un prétendu partenariat d’égal à égal et gagnant-gagnant. Les « servitudes » du pacte colonial, que dément catégoriquement Paris, n’en finissent pas. A part le versement d'une part de leurs avoirs en devises, le contrôle de la monnaie des pays en question (le Franc CFA) garantit à la Métropole l’exclusivité des exportations des matières premières locales, le pourvoie du marché local pour les importations et la définition des politiques à adopter par les pays africains en question. Pour rappel. Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne mentionne dans son ouvrage « les servitudes du pacte colonial »,: « l'interdiction totale ou partielle du marché colonial aux produits étrangers, l'obligation d'exporter les produits coloniaux exclusivement ou principalement vers la métropole ; l'interdiction, par la colonie, de produire des objets manufacturés, pour se limiter à la production de matières premières et de débouché commercial; en contrepartie d’aide politique, militaire, culturelle et souvent économique»
Avec le temps, l’arrivée de nouveaux acteurs comme la Chine et l’intérêt croissant de la France dans les grands marchés des pays anglophones africains[4] ont affaibli la rigidité de la mise en œuvre de certaines de ces servitudes. Toutefois, il demeure difficile pour tout Etat africain pris dans les liens d’une telle toile d’araignée paralysante de disposer de son libre arbitre et de ses moyens pour se réaliser et répondre aux aspirations de ses populations. Le Pacte colonial, qui est rappelé dès que la France identifie des intérêts, non seulement freine l’élan de développement des pays francophones, les empêche de profiter de la compétition, mais empêche également l’intégration économique des Etats francophones avec le reste de l’Afrique.
A travers le partenariat EU-UA, l’Europe prétend faire affaires avec 54 pays dont 14 ne disposent pas de leur libre arbitre et sont soumis au bon vouloir d’un des pays membre de l’Union européenne. En effet, ces 14 pays francophones ne peuvent prétendre intégrer le passif permanent que représente la nécessité d’obtenir en certaines occasions le consentement préalable de la France, dans une Union économique et politique africaine qui se veut libre, indépendante et entreprenante. La suppression formelle du Pacte colonial est donc une condition nécessaire et essentielle de l’intégration africaine pour laquelle il ne saurait y avoir de partenaires africains de seconde zone, incapables de prendre les engagements qui s’imposeraient afin de répondre aux attentes d’une intégration africaine effective.
3. Il est de notoriété publique que les Délégations de l’UE au sein des Communautés Economiques Régionales (CER) déploient une stratégie de renforcement de l’emprise sur l’Afrique à travers certaines CERs au détriment de la convergence nécessaire pour la réalisation de l’Intégration africaine. Plus globalement le modus operandi de l’UE, loin d’envoyer un message d’une contribution à l’intégration du Continent, tend à s’appuyer sur l‘Union Africaine à travers des accords afin de mieux accéder aux Etats membres sous le couvert de « Package » ou paquet d’appui. A titre d’illustration, le « Peace Fund» ou fonds pour la paix de l’UA, créé en 1993 par les Etats membres de l’OUA, n’a jamais été opérationnalisé à ce jour. Il convient de reconnaitre la responsabilité des Etats membres dans cet échec constant. Toutefois, l’UE sous le couvert de son appui aux efforts africains de maintien de la paix, vient de transformer sa Facilité de financement des opérations de Paix pour l’Afrique en un Fond Européen de Paix, qui ne se limite plus à soutenir les activités de la Commission de l’UA en matière de paix et de sécurité, mais également celles des CERs ainsi que ceux des Etats membres pris individuellement. Ce faisant, le rôle de coordination et d’intégration de la stratégie de gestion de la Paix par l’UA est ainsi supprimé et l’influence directe de l’UE par contre renforcée jusque dans les États membres, compliquant la capacité des Etats et CERs à converger sur un agenda Africain. Il en est de même dans multiples domaines d’intervention de l’UE dans son rôle de support aux organisations continentales et régionales de l’Afrique. Ce qui intéresse l’Europe est le contrôle et la stabilité qui permet à ses affaires de prospérer dans les Etats membres de l’Afrique, pas la vision de l’intégration continentale qui créerait une entité homogène plus difficilement contrôlable.
"L'Afrique est courtisée et elle a le choix de ses partenaires", fait-on valoir à Bruxelles. Le président du Conseil européen, le Belge Charles Michel soulignait qu’”Un partenariat postule l'échange et le partage". Mais au vu de ce qui précède, la stratégie de refondation adoptée au Sommet de Bruxelles, évite les vrais sujets et ignore les actes fondamentaux qui permettraient l’émancipation du continent africain. A contrario, ces mesures non seulement n’adressent pas la racine des défis, mais s’inscrivent, au 21e siècle, dans un système qui perdure et renforce la dépendance de l’Afrique à l’Occident et à son obole, alors même que les richesses sont sur le continent africain. A cet égard, le « Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes (CADTM) », écrit à propos du « New deal » annoncé par le Président Macron au Sommet du 18 Mai 2021 à Paris : « Les solutions envisagées n’ont rien de « novatrices », elles sont dans la droite ligne des remèdes infligés depuis des décennies, responsables des faiblesses structurelles des pays africains … il s’agit ici, en l’occurrence, malgré les dénégations, de remettre encore plus le sort des économies africaines entre les mains d’intérêts privés et de la finance. »[5]
Préalables d’un partenariat d’intérêt mutuel
L’Union Africaine et les Chefs d’Etats africains ne devraient jamais oublier ce qu’affirmait en ces termes le général de Gaulle en conférence de presse le 5 septembre 1961 à propos du Sahara : « Notre ligne de conduite, c’est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tient compte des réalités. Quels sont nos intérêts ? Nos intérêts, c’est la libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découvert et que nous découvririons »[6]. A cet égard, Thomas Noirot décrit excellemment la vision française dans son livre lorsqu’il affirme le souci permanent de prédation économique, les richesses gigantesques à conquérir et des mécanismes historiques de dépendances mis en œuvre en Afrique.[7] La, solidarité, la vision commune et le développement économique durable que promettent les assises de Bruxelles ne sont pas évidentes.
Le partenariat UE-UA est critique voire incontournable, pour les deux parties, étant donnée la proximité géographique et les interdépendances historiques. Un tel partenariat bien pensé, équitable et respectueux serait un facteur d’émergence pour l’Afrique et de puissance pour l’Europe. Le Sommet UE – UA de février 2022 fut un leurre de plus. Lorsque le Président du Conseil européen annonce « Un nouvel état d'esprit ambitieux, tourné vers l'avenir, s'est fait jour, qui doit constituer le fondement de ce partenariat spécial entre l'Europe et l'Afrique », il a semblé oublier que pour être bénéfique, un partenariat entre l’Afrique et l’Occident doit suivre un processus préalable de résolution du lourd passif existant, s’inscrire dans un contexte de développement défini par l’Afrique et garanti par l’entière liberté du continent à opérer les choix et les alliances qui servent au mieux l’intérêt de ses populations. L’environnement évoqué plus haut, ne reflète pas ce contexte, et de nombreux états africains sont encore sous la contrainte d’une certaine forme de contrôle, voire de supervision, pour des raisons diverses. Tout partenariat entre un loup et un agneau est impossible.
L’Europe, les USA et l’OTAN opèrent et interviennent sur le continent de manière concertée et en synergie. L’Europe, vieillissante est de plus en plus vassalisée par les USA[8] qui l’utilisent dans leur stratégie mégalomaniaque de domination d’un monde où sa place sera de moins en moins celle d’un partenaire, mais d’une « légion étrangère » au service d’un continent arrogant, isolé et que les européens protègent contre les conséquences de ses propres turpitudes. Seule une Afrique libérée, jeune, vibrante, performante et forte peut apporter au continent européen le partenariat naturel et l’alliance d’intérêt mutuel qui permettra à l’Europe de réduire sensiblement sa dépendance des USA et d’affirmer sa puissance. Mais encore faut-il que l’UE change de paradigme et de stratégie dans sa relation avec l’Afrique. Dans le nouveau monde multipolaire en formation, toute manœuvre qui tiendrait à maintenir sous la botte de l‘Europe, un continent africain avec une population en pleine explosion et explosive, composée en majorité de jeunes hautement éduqués et impatient de prendre en main leur destin, est vouée à l’échec à court terme. La politique actuelle de continuer à diviser les Africains pour mieux les contrôler est maintenant familière à la jeunesse du continent et aurait pour conséquence de susciter d’autres alliances défavorables à l’Europe.
Par contre, l’opportunité existe encore pour l’Europe de faire table rase du passé et en toute transparence travailler à promouvoir l’union et l’intégration des potentialités de l’Afrique pour le bien-être de ses populations et ainsi susciter l’adhésion générale du continent à se tenir aux côtés d’un voisin européen aussi généreux et accueillant que les africains et dont la culture lui est familière. En tout état de cause, l'Europe doit comprendre qu'il n'est plus possible de faire comme si de rien n'était.
Bonaventure M Sodonon
Conseiller stratégique en matière de développement, de gouvernance, de paix et de sécurité
[1] https://au.int/fr/appercu
[2] https://journals.openedition.org/anneemaghreb/1551– Yahia Zoubir
[3] https://actucameroun.com/2021/01/25/les-11-accords-secrets-de-la-vassalite-perpetuelle-signes-entre-la-france-et-ses-anciennes-colonies-dafrique-noire/
[4] https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/les-cles-pour-se-lancer-en-afrique-anglophone
[5] https://www.cadtm.org/Le-veritable-New-Deal-avec-l-Afrique-c-est-d-en-finir-avec-son-pillage-et-le#:~:text=Fermer%20%C3%97-,Le%20v%C3%A9ritable%20New%20Deal%20avec%20l'Afrique%20c'est%20d,son%20pillage%20et%20le%20n%C3%A9ocolonialisme%20!&text=Le%2018%20mai%20a%20eu,repr%C3%A9sentants%20des%20institutions%20financi%C3%A8res%20internationales.
[6] https://alencontre.org/archives/print/Francafrique10_10.html
[7] Les entreprises françaises en Afrique. Pillage contre transparence. Thomas Noirot. Dans Outre-Terre 2012/3-4 (n° 33-34), pages 537 à 546
[8] https://www.ege.fr/infoguerre/leurope-de-la-defense-sous-influences