Annie de Vonnas
Écrire des billets chaque jour suppose de donner un peu de sa personne, d'aller à la recherche d'un sujet d'exception, de s'imprégner de l'air du temps et parfois de s'arracher les cheveux pour trouver un angle nouveau, une anecdote qui défrise mes semblables. Nabum ne recule devant aucune sacrifice et a pris l'habitude étrange d'aller se faire couper les cheveux en quatre partout où il pose son sac à dos.
Cette fois, ce fut à Vonnas que je confiai ma tête sur le billot de la coiffeuse. Dame Annie étant en vacances, c'est une charmante et jeune blonde platine à la chevelure aussi sophistiquée que celle d'une vedette du monde des arts que je confiais ma modeste tignasse argentée. Le contraste était saisissant entre la dame munie de ses ciseaux et le rustre de service qui sacrifiait sa chevelure sur l'autel de la médisance.
Car, il faut admettre sans crainte de mettre un cheveu dans la coupe, que le monde des salons est fort étrange et qu'il vous permet parfois de découvrir des trésors de langage, des arabesques sémantiques ou des anecdotes à nulle autres pareilles. Ici, quelle déception, la sculpturale tireuse de cheveux tient discours raisonnable sans martyriser la langue de chez nous.
D'autres fois, j'eus le plaisir d'observer des reines de la chose capillaire qui maniaient bien mieux la tondeuse que notre langue. La dernière en date s'était adressée à votre serviteur en le gratifiant d'un « on » qui fleurait bon la distance et la gène. Souvent en ce lieu échevelé, j'ai droit à ce « il » de majesté qui atteste sans doute que la dame n'a nulle intention de me chercher des poux dans la tête !
À de rares exceptions, le salon est le dernier lieu où l'on cause des affaires du pays. Je me souviens d'une expédition dans le Morvan où la coiffeuse me confia tous les secrets du village. Mes cheveux se dressaient sur ma tête ce qui simplifia grandement le travail de la dame. J'en savais tant que mon séjour en ce village fut largement simplifié et que je trouvai bon accueil chez les commerçant de l'endroit.
Il faut payer de sa personne, sacrifier quelques boucles pour faire son trou en la place. À Vonnas, point de tout ça. La dame échappe à la mainmise locale, le village étant presque entièrement aux mains de Georges Blanc et de tout ce qui a un rapport à la bouche. À part les cheveux d'ange, rien ne relie la noble profession de shampouineuse aux mystères de l'art gastronomique.
Je me fis donc dégager les oreilles pour ne rien y mettre de précieux. Sacrifice nécessaire qui me redonna allure présentable mais offrande inutile. Je ne perçus rien de l'âme de ce pays, la jolie coiffeuse étant bien trop conforme à toutes les belles plantes qui officient dans nos grandes villes. Je sortis de là, le cheveux aussi court que mon inspiration était vaine.
Pour m'imprégner vraiment des secrets du pays, c'est à table qu'il me faudra aller. Je vais de ce pas, le cheveux court et l'allure un peu plus présentable, tenter l'aventure de la cuisine de Monsieur Blanc. Ne pouvant encore obtenir notes de frais pour mes billets quotidiens, je n'irai pas en la maison mère : «Chez Georges Blanc», restaurant trois étoiles. Les prix pratiqués relèvent pour moi du coupe gorge contrairement aux tarifs fort modestes de la dame Annie.
Je me contenterai de « La vieille auberge » histoire de ne pas me faire ratiboiser une seconde fois dans la journée. Je vous dirai tout de cette aventure lors d'un prochain billet. A chaque jour, suffit sa peine. Un petit creux me pousse à vous abandonner. Bon appétit à vous !
Capillairement vôtre.