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Billet de blog 2 octobre 2025

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Du chocolat dans la carrée...

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Une grande épopée ligérienne

Illustration 1

Le chocolat arrive à la cour de France en 1615, nous venant de la lointaine Amérique. Le cacao est l'un de ces trésors qui proviennent d'un nouveau monde qui se fit un malin plaisir à chambouler bien des existences. Pour la culture et la récolte du cacao et l'extraction des fèves, tout comme pour la canne à sucre et le coton, une immigration contrainte provoque l'un des plus grands drames humains connu à ce jour. Mais ceci ne doit sans doute pas entrer en ligne de compte de notre histoire.

La canne à sucre, le coton, le café et le tabac sont embarqués en Amérique pour venir sur les ports européens en contrepartie d'une main d'œuvre plus que bon marché, extirpée contre son gré des côtes africaines. Le port de Nantes participe à cette trigonométrie de l'abjection pour transporter à l'intérieur du pays ces produits qui font tourner bien des têtes et aiguillonnent de grands appétits.

La Loire participe discrètement à l'opération en fournissant des produits qui serviront de monnaie d'échange ou de contrainte auprès des rois africains qui se chargeront de fournir du bois d'ébène, expression pour cacher la réalité d'un commerce qui échappe aux principes élémentaires de l'humanité. C'est donc une partie de billard à trois bandes à laquelle jouent les navires tandis que le transport fluvial se contentera d'un aller et retour plus que fructueux de Nantes à Orléans pour l'essentiel.

Illustration 2

On estime que quatre-vingts pour cent des marchandises débarquées à Nantes vont transiter ou être exploitées à Orléans, qui sera le poumon économique du royaume au XVIIIe siècle. En 1760, deux frères ont le nez creux. Ils délaissent le vinaigre non sans avoir découvert un procédé pour blanchir non pas l'argent mais le sucre issu de la canne qui va faire la prospérité d'une cité qui depuis se montre bien oublieuse de son passé en ce domaine si particulier.

Avant eux, le sucre était blanchi pour satisfaire aux exigences d'une clientèle huppée qui semble ne pas apprécier la couleur brune, avec du sang de bœuf. Ils découvrent un traitement à base de vinaigre, un produit qui ne manque pas en Orléans. Ils peuvent ainsi passer à autre chose.

Fort de cette réussite, ils franchissent le pas pour se pencher tout particulièrement sur ces fèves miraculeuses promises à un bel avenir. De leur manufacture sise au 108 de la rue Bourgogne, des tablettes de chocolat font leur bonne fortune. Nature ou à la vanille (autre merveille venue d'outre-Atlantique), au lichen ou au lait d'amande, leur chocolat fait les délices des clients tandis qu'ils brillent par leur art consommé de la communication.

Illustration 3

Si un siècle plus tard, c'est la publicité qui fera le succès du chocolat Poulain, les Saintoin attirent le chaland avec des petites cartes, des images illustrées qui accompagnent les tablettes. On nomme chromolithographie cette pratique dans une ville qui à cette époque produisait des images plus célèbres alors que celles d'Épinal. Hélas, la mémoire se dilue dans une ville d'art et d'histoire.

L'entreprise des Saintoin connaîtra ses heures de gloire. La famille ouvrira la fameuse chocolaterie Royale connue par beaucoup avant que de nombreux concurrents au fil du temps s'installent dans cette ville où le chocolat est l'un des produits les plus courus lors des fêtes. Il n’est pas rare de voir des queues se former devant différents magasins spécialisés.

La prospérité de la ville se fondait alors sur les vinaigreries, les raffineries, les manufactures et cette chocolaterie qui dut baisser pavillon quand Auguste Poulain prit la relève du côté de Blois. En 1850, la marine ne fait plus recette et la prospérité orléanaise entame son déclin.

À Blois pourtant, un bateau à vapeur, le Fram, continua pratiquement jusqu'à la grande guerre à livrer des fèves de cacao, à la célèbre chocolaterie Poulain. Une des idées d’Auguste qui voyait dans ce mode de transport une formidable promotion pour sa société. Le panache de fumée évoquant immanquablement pour tous les riverains de Saint Nazaire à Blois, le petit déjeuner du matin…

Illustration 4

Auguste Poulain prend la relève des frères Saintoin. Il associera les images qui accompagnent elles aussi son chocolat à une publicité agressive qui met à mal ses concurrents. En voici une exemple : «  La MAISON POULAIN, dont les Chocolats ont acquis une si juste réputation, a récemment créé, sous le nom de Bouchées Impériales, un délicieux Bonbon qui n'a pas tardé à exciter la concurrence d'un confiseur de Blois, qui, ne pouvant en égaler la qualité, s'est borné à en imiter la forme, aussi n'est-il pas surprenant qu'il puisse le livrer en raison de sa qualité inférieure, au-dessous du prix de 5 fr le 1/2 kilo établi par la Maison Poulain, qui défie toute concurrence loyale de le livrer à meilleur marché, et qui engage instamment sa nombreuse clientèle à faire la comparaison des deux produits… »

Dans cette histoire, la ville d'Orléans était chocolat et devait se mordre les doigts d'avoir laissé filer le chocolat du côté de Blois. Le sucre était désormais tiré de la betterave sucrière et ce sont les beaucerons qui se sucrèrent au passage. Les manufactures filaient un mauvais coton et la cité s’endormit sur un glorieux passé révolu tandis que la Loire cessa de transporter les rêves et les marchandises.

Évoquer cette histoire n'est pas de mise. Il faut pourtant ne pas l'obérer pour comprendre ce qui fit la grandeur d'une cité qui se trouva bien en peine de prendre le virage du XX° siècle en tombant dans une coupable torpeur. Le Festival de Loire est sans doute l'occasion de rappeler ce passé tout en repartant d'un autre pied pour un avenir plus radieux.

Illustration 5

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