Propos à la petite cuillère.
La fréquentation d'un bistrot, tôt le matin, conduit parfois, autour d'un café, à de curieuses conversations qui avouons-le n'enrichissent nullement l'histoire de l'humanité. Elles ont parfois le mérite de n'être que des brèves de comptoirs qui peuvent se retrouver dans les annales de Jean-Marie Gourio ou sur la scène d'un théâtre. Ce matin-là, autour d'un café, les annales perdirent un « n » sans que le graveleux s'imposent à eux.
Notons tout d'abord, pour exonérer celui qui prit note d'une conversation qui l'intrigua, qu'il n'aurait pas dresser l'oreille pour les désormais trop nombreux dérapages politiques, quand les consommateurs ou bien les patrons se pensent conviés sur les plateaux télé de la bande à Bolloré. J'aurai fait en sorte de me boucher à la fois le nez et les oreilles.
Ce matin-là c'est donc le nez qu'il eut été bon d'obstruer même si la nature du débat bistrotier était propre à éveiller la curiosité de celui qui fait son miel de tout ce qui fait débat. Pour une raison qui m'échappe, la conversation de ceux qui étaient dans ma ligne de mire portait sur leur manière de débuter la journée, un sujet qui éclaire sur ces habitudes qui constituent notre quotidien et s'imposent à nous, sans que l'on sache vraiment pourquoi.
Chacun y allait de l'évocation de ses rituels, qui, il faut bien l'admettre ne sont pas de nature à transformer le devenir de la planète. Nous étions là dans ce qui se fait de plus prosaïque sans que cela soit vulgaire. Une photographie en somme de la vie quotidienne, chez les gens qui n'ont pas peur de reconnaître qu'ils sont d'abord des êtres de chair et de sang.
L'observateur que j'étais riait sous cape quand la théorie fit soudain son apparition pour venir formaliser les échanges. L'une des locutrices évoqua tout de go la règle des 3C, semble-t-il pour clore le débat tout en le situant dans un formalisme qui permettait d'établir un principe fonctionnel communément admis. Ils allaient passer, ayant semble-t-il épuiser le sujet, à une nouvelle étude de mœurs quand fort naïvement, j'intervenais pour éclairer ma lanterne...
J'ignorais tout de cette fameuse règle pratique des 3C et m'enquérais de la signification d'un code qui échappait totalement à ma connaissance. Il convient, dit-on, de ne pas mourir idiot et de toujours chercher à saisir ce que vous échappe. Je ne suis pas certain qu'en cette occasion, le conseil fut judicieux et la réponse me fit monter le rouge aux joues.
Je dois à la vérité de vous avouer que n'ayant jamais été fumeur, je ne pouvais subodorer que je mettais le pied là où j'allais passer pour un fieffé imbécile. La personne que j'interpelais ainsi pour éclairer ma lanterne me demanda si j'avais été fumeur ? Je ne comprenais pas le rapport entre ce vilain défaut et les 3C en question. Il ne faut jamais tendre le bâton pour se faire battre …
On me répondit tout de Go que l'un des C représentait la Clope. C'est à ce moment que j'aurai dû songer à me taire et à laisser partir sur un autre terrain conversationnel. Hélas, mille fois hélas, ma curiosité prit le pas sur la prudence et je m'enquis des deux autres C qui se refusaient à ma compréhension.
C'est alors que l'une des consommatrices me fit passer pour un imbécile en déclarant à la cantonade que j'ignorais tout de la chose en vociférant dans cet estaminet : « Monsieur ne sait pas ce que sont les 3 C. Comment dire à cet ethnologue du sordide qu'il est question ici de la codification de nos rituels matutinaux ? » Son voisin de pétuner en dépit de l'interdiction tout en déclarant alors de fort et intelligible voix : Clope, Café, Caca mon bon monsieur …
J'aurai pu partir devant cette évidence qui m'avait échappé. Mais poussant plus avant mon désir d'investigation, je découvris alors que chez ceux que j'avais honteusement espionné, l'ordre de ces trois actes élémentaires du quotidien, différait d'un individu à l'autre. Il y avait certainement matière à analyse plus élaborée pour établir des statistiques sur ce curieux phénomène. Ne voulant pas abuser de leur précieux temps, je me contentais de leur promettre de pondre un billet pour relater ce grand moment tout en peignant la girafe.
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