Le haut du panier.

Distinction sans distinction.

Jadis sur ce quai, les différentes marchandises n'étaient pas mêlées. Il y avait un ordonnancement selon leurs valeurs marchandes, une répartition allant des matières les plus nobles ou les plus rentables au menu fretin du tout-venant, condamné à se trouver dépoté à l'autre extrémité, tout en amont du point névralgique de cette distinction sélective.

Les épices, la quincaillerie et le papier se trouvant au cœur de la cité portuaire tandis que les gueules noires du bois et du charbon de terre ou de bois, étaient repoussées à la périphérie de cette véritable ruche bourdonnante de vies, de laquais, de jurons et de grands marchands. Une cohabitation fugace le temps des transactions, du contrôle de la marchandise, des arrivées et des départs avant que chacun s'en retourne en son domaine, là où les vaches sont bien gardées.

La sélection quoique fort peu naturelle et ne se fondant jamais sur les mérites et les qualités, une fois encore ne cesse de déterminer plusieurs catégories d'individus dans un système social qui prétend avoir mis à bas les privilèges et les inégalités de nature. Le haut du panier continue de fréquenter le haut du quai tandis que le menu fretin est renvoyé sur la ville basse.

La distinction détermine tout autant les flux et les activités des uns et des autres tandis que des zones sont implicitement ou effectivement réservées aux gens de la haute, Véritablement Investis de Privilèges puisque issus du peuple des élus ou des importants. Pour eux, tout est fait pour leur épargner au maximum la proximité de la plèbe, de cette masse informe et divagante des gens de peu ou de presque rien.

Le souci d'éviter une confrontation qui risquerait d'exposer les premiers aux comportements discutables des seconds, conduit à établir des lieux clos, protégés des risques de contamination sociale, le plus grand péril pour ces individus dont la constitution réclame de s'épargner le bain de foule, pratique qui nuit gravement à leur respectabilité.

Tout est donc prévu pour leur aménager des distractions certes analogues à celles de cette masse grouillante mais préservées des risques sanitaires par un cordon sécuritaire et des frontières qui supposent de montrer patte blanche et laisser-passer ad-hoc. C'est ainsi qu'ils navigueront dans un océan de quiétude, avec des capitaines triés sur le volet et un service digne de la haute idée qu'ils se font tous de leur modeste personne.

Des esprits chagrins en viennent à penser qu'il y a là un ostracisme de classe. Fort heureusement des passe-droits, des coupe-files sont octroyés à quelques individus issus de basse extraction pour donner le sentiment de s'encanailler à ces dignitaires qui profitent alors de l'ivresse fictive de la mixité sociale.

Il convient cependant de rester prudent et de ne pas réaliser une véritable immersion. Il est de première nécessité de maintenir une alimentation saine et contrôlée, un service de qualité trié sur le volet et les habituels plaisirs inhérents à cette catégorie si délicate en matière de plaisir de la table. Bières et frites doivent baisser pavillon pour laisser place à des mets plus sérieux.

Autre détail qui a son importance, il convient de ne pas s'abaisser à leur demander une quelconque participation financière, ce serait vraiment trop mesquin d'autant qu'ils nous font l'honneur de leur présence à titre gracieux. Le haut du panier est ainsi un délicat mélange de grosses légumes, d'huiles essentielles, de crabes et autres crustacés et de quelques vedettes de la grande distribution.

Micros et caméras se font un devoir de couvrir ce microcosme qui bénéficie également d'animations triées sur le volet pour ne pas heurter leur dignité et flatter leur immense sensibilité. L'obséquiosité est la règle pour les quelques échantillons du monde réel appelés pour les besoins du folklore du moment à se confronter quelques instants à cette cour en goguette.

Tout ceci au nom d'une République qui a depuis trop longtemps la tête en monarchie !