Son point cardinal
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Alors qu'un pape venait de mourir, comme tous ses coreligionnaires et néanmoins collègues , le brave Cardinal Joseph-Christian-Ernest BOURRET archevêque de Rodez préparait sa garde-robe pour se rendre à Rome afin de participer au Conclave qui allait nommer le successeur du défunt. Notre brave homme s'y rendait le cœur plein d'espoir. Des bruits fort prometteurs de déambulatoires courraient à son sujet.
D'autres propos, de transept ceux-ci, pesaient grandement sur son humeur. Son patronyme poussait à la plaisanterie à chaque Eucharistie. Il avait bu la coupe jusqu'à la lie, devenant ainsi l'objet de mauvaises plaisanteries qui le mettaient véritablement en rage. Changer d'air lui ferait oublier un temps ce désagrément.
Il espérait qu'en latin, il échapperait à cette moquerie qui faisait de son sacerdoce un véritable chemin de croix. Homme de tempérance, modèle de piété, sa vie eut été un exemple pour ses fidèles sans cette réputation sans fondement qui lui collait aux basques chaque fois qu'il soulevait son calice. S'il avait été québécois, il aurait pu se dire in petto : « Maudit tabernacle, je vais encore, ci, boire le calice jusqu'à la lie ! »
C'est donc le cœur léger que notre brave archevêque, retroussa ses robes pour se rendre au fameux conclave de 1878 convoqué suite à la mort de Pie IX. Nous étions début février et pour la première fois, ce grand événement catholique se déroula dans la Chapelle Sixtine pour élire en seulement trois jours Léon XIII. Mais ceci n'est pas l'objet de ce récit.
Pour notre pauvre Ernest, l'enclavement de l'Aveyron n'est pas de nature à faciliter son voyage pour l'Italie. Les mots jouent parfois de mauvais tours sans que l'archevêque vît là l'expression de la main de Dieu. Dans son cas, il avait peut-être tort. Si le train arrivait à Rodez, il lui fallut remonter à Capdenac pour joindre Brive et ensuite filer gaillardement jusqu'à Nîmes, Marseille, Nice. Une sacrée aventure ferroviaire qui ne fut pas sans conséquence même si une fois à Nice, se rendre à sa destination ne fut qu'une formalité puisque c'est bien connu en Italie, tous les chemins de fer mènent à Rome !
Âgé de cinquante et un ans à ce moment-là, Ernest n'imaginait pas connaître des ennuis de santé durant ce long périple. Ce fut pourtant son corps qui lui causa grands tourments et une humiliation qui lui fit monter le rose aux joues et empêcha sans nul doute son élection sur le trône pontifical. C'est du moins la rumeur qui circula dans les contre-allées de la curie.
Notre brillante Éminence avait une réputation fort établie non seulement pour sa culture mais tout aussi pour sa détermination à défendre ses valeurs. Ne s'était-il pas dressé contre le bourreau de la commune, un Thiers justement prénommé Adolphe qui en 1871 avait l'intention de nommer évêques et archevêques en lieu et place de sa sainteté le Pape. L'abbé Bourret vit rouge et durant le Concile Vatican premier, répliqua vertement : « Dans ces matières, nul pouvoir, par la nature des choses, n'appartient à l'État et que les princes temporels ne peuvent rien faire de légitime que par la libre concession des Souverains Pontifes ».
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Devant cette réplique pleine de bravoure, Pie IX avait donné son assentiment pour que notre bretteur se retrouve au siège de Rodez. Cette histoire avait fait grand bruit dans le monde feutré des cardinaux et notre homme d'église était devenu un des favoris à la succession de son bienfaiteur. Cette promotion était d'ailleurs sur de bons rails, hélas les aléas du transport en décidèrent autrement.
C'est à Brive la Gaillarde que tout se joua. Avec un tel nom, alors que nous étions un jour de marché, il y avait telle cohue dans la gare qu'une douzaine de gaillardes, se crêpaient le chignon à propos d'une botte d'oignons. Pour qui aspire à un trône, la chose eut mérité méfiance et circonspection. Ernest était bien pourvu de la première qualité mais la circonspection ne lui disait rien qui vaille, une histoire de prépuce qui ne passait toujours pas en cette France aux relents antisémites.
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C'est souvent par où l'on pêche que le malin trouve la faille et se plait à déjouer les desseins du Seigneur. Voulant s'interposer entre ces furies, notre bon samaritain de la gare effectua une glissade fatale qui le vit se retrouver les quatre fers en l'air sous les éclats de rire des commères qui trouvèrent dans les jupes du prélat matière à se réconcilier.
Se relevant, notre pauvre curé sentit une violente douleur au niveau de l’aine. Il ne s'en inquiéta pas outre mesure pensant que Dieu pourvoirait à son rétablissement. D'ailleurs son train partait, il n'eut que le temps de monter, précipitamment hélas, dans le wagon de première classe qui lui était dévolu. Le geste malheureux fit surgir dans l'instant une protubérance désastreuse en un endroit que rigoureusement ma mère m'interdit de nommer ici.
Le mal était fait, le voyage ne supportant ni retard ni correspondance, Ernest se retrouva avec une grosseur sous ses jupes qui ne passait pas inaperçue. Dans le compartiment les voyageurs riaient sous cape, se tapaient du coude pour d'un mouvement de la tête désigner celui qui bientôt fut la risée de l'endroit. Bien vite, une circulation incessante de voyageurs se fit pour venir voir ce qu'on désigna sous le vocable moqueur de « Protubérance de son Éminence ! »
Sur ce point, notre cardinal ne saisit pas immédiatement l'allusion scabreuse qui se jouait à ses dépens. Homme d'église qui avait respecté son vœu de chasteté, il avait les idées tournées vers sa destinée future. Les contingences matérielles et les railleries des laïcs ne le touchaient guère. Malheureusement, paraphrasant une expression de son appariteur épiscopal, homme de basse extraction au langage fleuri, il répétait à qui voulait bien l’entendre sans comprendre l’ambiguïté du vocable : « ça m'en touche une sans faire bouger l'autre ! »
Dans son immense naïveté en la matière, le prélat et son hernie inguinale firent une entrée fracassante au conclave. Sous les regards effarés de ses collègues, la protubérance sonna le glas des espoirs de voir un Pape Français sur le Saint Siège. On peut le regretter. De ce jour, et pour oublier la contrariété qui accompagna le reste de son existence, son éminence Bourret fit excès de vin de messe. On est souvent puni par là où l'on a pêché, ce ne fut pas en occurrence le cas de ce pauvre ecclésiastique qui eut préféré souffrir de la sciatique.
Que Dieu me pardonne cette histoire que m'a soufflé un petit gars de Sète, mécréant notoire, un jour de marché à Brive.