En roue libre.

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Dans le langage de l'imprimerie, un texte se trouve en drapeau, quand, comme c'est le cas pour tous mes billets en prose, au lieu de choisir la fonction justifiée qui plaît tant aux esthètes, l'utilisateur fait le choix du fer à gauche. Est-ce un hasard ou bien une curieuse coïncidence, le côté gauche est certainement dans le coup pour le sujet précis de ce texte. Mais auparavant il convient de hisser le drapeau pour qu'il claque au vent.
Déjà là, la chose demande un certain savoir-faire et pour les esprits belliqueux, un clairon pour accompagner sa lente ascension. Sur un mât standard, le drapeau se hisse à l'aide d'une drisse qui sort du pommeau. Sur une potence, il convient de basculer le mât pour fixer l'oriflamme. Je frémis à l'idée qu'apparaissent déjà des termes qui prêteront plus loin à interprétation : potence et oriflamme préfigurent l'issue de cet exposé.
Le drapeau en berne ajoute à cette impression désagréable que l'on touche du doigt ce sujet qu'il convient de ne pas aborder frontalement au risque de tendre le dos pour se faire battre par les esprits bien-pensants de cette nation. Nous aimerions tous qu'il soit blanc pour que cesse enfin un massacre qu'il convient de ne pas qualifier pour ce qu'il est vraiment. Il pourrait être rouge du sang des victimes sans distinction aucune ou encore noir sans vraiment savoir qui se comporte comme les pirates en cette effroyable circonstance.
Il n'est certes pas tricolore ce qui doit mettre en boule nos dirigeants puisqu'il pousse jusqu'à la quadrichromie avec des bandes horizontales flanquées d'une figure géométrique. Je vous laisse formuler des hypothèses tandis que je constate que jusqu'alors, venir à une manifestation sportive avec une banderole ou un drapeau semblait être un comportement qui ne posait aucun problème. Bien sûr, pour ne pas avoir d'ennui, il est préférable de se ranger sous les couleurs locales, mais ceci n'est en rien une obligation.
Cette fois pourtant, voilà un drapeau qui déclenche le vent mauvais de tempête comme s'il portait une tête de mort sur son oriflamme. À bien y regarder, il n'y en aurait pas qu'une, ce qui explique certainement l'irritation qui provoque immédiatement l'intervention de forces de l'ordre établi. Voilà donc un drapeau qui agit un peu à la manière de la muleta (la cape rouge du toréador).
Dès qu'il sort en quelque endroit que ce soit, de petits taureaux furieux foncent dans le groupe des porteurs de drapeau, quitte à en faire de futurs anciens combattants de l'injustice. C'est l'esclandre, l'intervention musclée, la répression sans nuance. Il provoque l'annulation d'un défilé, la fermeture d'une tribune, le raccourcissement d'une étape… Il est capable de toutes les réactions pourvu qu'elles soient irascibles.
Il est vrai que son triangle rouge précise l'existence d'un danger potentiel comme son homologue du code de la route. Il sème l'effroi parmi les gens proches de bien des pouvoirs. Il doit rester caché ou bien la paix civile est en péril. Je ne vais pas le nommer, vous devinez aisément que sa simple évocation ou pire encore sa représentation sur ce billet autoriserait l'intervention de la censure d'État.
C'est la démocratie qui est « en drapeau » avec la mise à l'index de celui-ci qui semble bien plus redoutable que tous les autres. Il est pourtant le symbole d'un peuple opprimé qui comporte dans ses rangs des monstres dont personne ne saurait justifier les horreurs passées. Mais pour les censeurs, son histoire s'est figée au 7 octobre et la suite, n'est qu'une déplorable conséquence quelque peu disproportionnée.
Même si mon texte élude le sujet, fait en sorte de ne pas écrire des mots qui écorchent les consciences et fragmentent les familles, il ne portera pas le fer à droite, cette sensibilité politique qui justifie sans vergogne la plus inexplicable indifférence pour ce qu'il est interdit de qualifier de génocide, ce que je me garderai bien de faire naturellement.

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