Malbrough au Palais

Tout a commencé par un mot et une chanson. Le mironton car c'est ainsi qu'il fallait l'envisager, provient d'un certain Massialot, cuisinier de son état pour les privilégiés qui en 1691, évoquait un morceau de viande de bœuf qu'il appelait ainsi. Le détail de la préparation se perd dans les mémoires mais seule certitude, il y ajoutait des anchois. Le mironton de Bœuf était né.
Pour ne pas rester sur sa faim, le mot a croisé la route d'un refrain quand un certain Malbrough décida la fleur au fusil de s'en aller en guerre en chantant gaiement « Mironton, Mirontaine ! ». L'argot d'alors se chargea de ce terme pour désigner les hommes qui allaient en bandes douteuses et de préférence armées. La délinquance n'est pas nouvelle sous le soleil.
Tout ceci me donne prétexte à un étrange brouet, mélange d'angoisse, de colère froide et d'inquiétude pour un avenir incertain. Ce n'est certes pas au feu du réchauffement climatique que va pouvoir s'exprimer cette recette d'un fort mauvais goût. Que les âmes sensibles me pardonnent ce déplorable dérapage...

De l'anchois au morceau de choix, de la bande organisée et belliqueuse au fameux Mironton de bœuf, bien des langues ont fourché pour mettre les bas morceaux et les restes à l'honneur, allant jusqu'à faire un mironton de tous les morceaux de viande qui avaient échappé à votre gourmandise. On eut pu le nommer « J'y fous tout » mais la gastronomie aime à user de vocables élégants.
Mais revenons à notre recette sans nous égarer plus avant dans des considérations oiseuses. Puisque le point de départ se trouvait dans ces malfrats belliqueux, véritable chair à canon avec Malbrough et compagnie, mettons de côté les morceaux épars, retrouvés sur le champ de bataille. Mettez de côté la charpie pour préparer par avance un roux, un bouillon qui servira ultérieurement à la préparation.
Si la guerre n'est en rien l'art d'économiser les vies humaines, la cuisine quant à elle s'honore de redonner vie aux restes, d'où le souci permanent de faire revenir les morceaux dans un peu de beurre. Le miracle n'aura certes pas lieu mais vous aurez là un plat qui réjouira vos papilles. N'oubliez pas au préalable de faire blondir les oignons soigneusement émincés tout en pleurant amèrement sur vos camarades morts au combat.

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Le tout devra mijoter alors qu'avant de monter à l'assaut, nos braves soldats ont macéré dans leur jus, suant la peur et l'angoisse. Cette tension nerveuse n'est pas de nature à attendrir une viande qui nécessitera donc une bonne cuisson au four. Pour montrer à quel point tout cela vous reste sur le jabot, ajouter du vinaigre pour compenser l'amertume de ce carnage.
Le plat gratiné sera accompagné d'une salade, de préférence du pissenlit en hommage à ces braves qui l'ont mangé par la racine. Grand classique de la cuisine traditionnelle française, ce plat dans sa présentation présente risque fort de revenir à la mode puisque nos dirigeants européens ont hâte de nous proposer une bonne guerre comme plat de résistance à la menace russe.
Cette perspective provoque en moi une curieuse réaction comme vous pouvez le constater. S'il est vrai que pour ceux qui nous dirigent le recours à la guerre est la plus efficace des recettes pour maintenir un peuple sous le joug, le mironton de bœuf s'inscrit alors parfaitement dans cette perspective. Que celle-ci soit pour nous parfaitement indigeste ne changera rien à la donne puisque ces gens-là ne se soucient jamais des effets collatéraux de leur incompétence.
J'ai bien envie de rendre mon tablier au terme de ce billet qui vous restera sur l'estomac même si à bien y réfléchir, il serait préférable de retirer les toques à nos chefs et de reprendre en main nos destinées. Malbrough pas plus que nous autres, n'avons la moindre envie de marcher au pas pour satisfaire à l'appétit des marchands d'armes. Il est grand temps de se mettre en action depuis que la colère mijote dans le pays.