Du temps qui passe ou du temps qu'il fait …

« Surtout, ne me parle pas du temps qu'il fait ! » Voilà bien le cri du cœur que me fit ma fille au téléphone en cette période froide où les langues de nos contemporains ne peuvent se délier qu'à l'évocation du temps dans ses deux dimensions. Elle a horreur de ça ! Elle est jeune, elle est rebelle, bon sang ne saurait mentir !
Qu'il passe et quoi qu'il fasse, il est le sujet principal de nos préoccupations langagières. Il ne doit pas être possible d'être vendeuse dans une boulangerie ou un commerce à forte rotation du chaland en mal de compagnie sans avoir un solide bagage météorologique. J'avais d'ailleurs mis en garde mes élèves qui partaient affronter la dure réalité du premier stage en entreprise lors du séance intitulé « Le dit du stage ! ».
De quoi parlent les adultes lorsqu'ils sont sur leur lieu de travail. J'avais pris la précaution d'établir une longue liste pour ne pas décourager ces adolescents qui ignoraient tout alors de la banalité des échanges verbaux dans le monde professionnel. À leur retour, ils avaient compris que les Gaulois sont véritablement nos ancêtres et que la crainte que le ciel ne nous tombe sur la tête n'est pas prête de s'éteindre dans cette nation.
Comment rebondir et sortir de ce piège à truisme pour libérer la parole et ouvrir d'autres espaces de conversation ? Je crains qu'il n'y ait pas grand chose à faire, le temps s'impose contre vent et marées, par la force de la pluie, la sévérité d'un coup de froid, les désagréments de la neige ou d'un soleil trop puissant. Il est maître d'acrimonie d'autant plus aisément que bien des troubles de la santé viennent se greffer sur le tableau des précipitations diverses.
Car le temps, voyez vous, qu'il passe ou qu'il pleuvasse, a le mérite essentiel d'ouvrir grandes les portes du vieillissement, de l'évocation embellie du passé et de la crainte sourde d'un futur qui s'amenuise. Tout nous conduit vers l'inexorable ou le mémoriel. Il n'y a pas à espérer fugue vers d'autres sujets plus audacieux.
La quatrième dimension est notre unique repère. Elle focalise toutes les préoccupations. Vecteur essentiel des propos inutiles, le temps laisse filer les mots qui ne servent à rien. Tant pis, il donne de la constance à ceux qui en manquent cruellement, il permet de sortir couvert d'un sujet fort commode de conversation passe-partout !
Le temps ne se remarque pas. Il ne s'emballe pas plus. Il est rare qu'il occasionne polémique ou bataille idéologique. C'est un sujet qui vous tombe du ciel comme une bénédiction. Combien de couples se sont ainsi formés sur une remarque initiale qui aurait dû mettre en garde les futurs conjoints des tempêtes à venir. Car à trop le chahuter, à trop souvent user jusqu'à la corde ce sujet sans circonstance favorable, il vient à s'user tellement que les mots ensuite vous manquent pour parler d'autre chose.
J'avais un peu de temps à tuer par un temps à ne pas mettre un chroniqueur dehors. J'ai cédé à l'artifice habituel, ces mots qui vous glacent le sang quand vous les entendez, prononcés par d'autres, qui font que la file d'attente s'allonge quand deux interlocuteurs viennent mêler à leur bavardages tempétueux quelques rhumatismes ou un vilain rhume.
Ah ma bonne dame, oh, mon bon monsieur, qu'ils sont désagréables ces moments perdus à attendre la fin d'un temps qui n'en finit jamais. On va le payer un jour, il ne peut en être autrement, le temps, c'est toujours de l'argent quoi qu'on en dise. C'est hélas une monnaie bien dévaluée, sans grand risque fort heureusement pour l'accroissement de la dette. C'est du temps qui file ou du temps qui fait sous lui. C'est un sale temps qui a perdu la boule, c'est un temps de chien qui aboie au passage des canards. Il est grand temps que je vous laisse avant que le temps ne vienne à me manquer.
Chronométéorologiquement vôtre.