Quelque chose cloche !

Les raccourcis linguistiques

Un cul-de-jatte voulut lever le pied quand il apprit qu'on le désignait désormais comme une personne à mobilité réduite. Il avait envie de monter sur ses grands chevaux et même de donner un grand coup de pied au séant de l'imbécile qui avait pondu pareille ânerie ! Mais dans son état, il convenait de ne pas sortir de ses gongs, c'était mauvais pour son cœur.

Sa mobilité, sans le secours de tiers ou d'innovation technologique n'était en rien réduite mais plus précisément parfaitement inexistante. À moins de marcher sur la tête comme le faisaient ces spécialistes de la communication, il était condamné à ne pas bouger du tout. Il se demandait même où pouvait bien le mener cette formulation stupide qu'il hésitait à qualifier d'euphémisme ou de litote. Cette question du reste lui trottait dans la tête.

Du reste, toutes ces formules alambiquées lui courraient sur le système. Le monde marchait mieux d'après lui, quand on disait vraiment les choses sans les entortiller de circonlocutions oiseuses, des tournures qui finissent par se mordre la queue. Il ne voyait pas ce qu’il y avait d'inconvenant à dire aveugle à qui n'y voyait goutte ou bien sourd à celui qui n'entendait rien à ce jargon d'énarque.

Tout s'emballait au point qu'il n'était plus possible de comprendre ceux qui usaient à plaisir de cette langue de bois qui ne menait nulle part. Il avait découvert, il y a peu que pour les gens du voyage, forme déjà édulcorée, des esprits brillants avaient trouvé une expression qui lui courait sur le haricot : « Citoyens Français Itinérants ». Jusqu'où iront ces abrutis ?

Lui qui avait tout loisir de préférer l'immobilisme à cette agitation incessante et cette fuite en avant de la langue de chez nous, en avait les jambes coupées quand il découvrait que les femmes de ménage étaient désormais des techniciennes de surface sans que pour autant leur salaire ait subi un coup de pouce, que la sage-femme est devenue une maïeuticienne ou une accoucheuse, alors que le croque-mort est devenu un thanatopracteur.

Il pourrait ainsi faire la longue liste des transformations qui jalonnent ce qu'on qualifie de progrès sémantique ou de coup de balai lexical si cela ne le menait nulle part. Il restait cul de jatte et ancré sur ses positions en matière de communication. Ce n'est pas lui qu'on ferait marcher ou même courir avec des formules qui n'ont d'autres buts que de mettre un voile pudique ou hypocrite sur des réalités que l'on veut cacher ou rendre faussement plus supportables.

Il se réjouissait toujours d'entendre Georges Brassens lui dénier le droit de se ruer sur le gars de Sète. Il a toujours eu du reste de la sympathie pour les voleurs de pommes et une certaine méfiance vis à vis des cul-terreux (presque des confrères) depuis qu'ils ne sont plus paysans mais exploitants agricoles.

Tous ceux qui veulent s'élever au-dessus de leur condition par la grâce d'un vocable qui se dresse sur ses ergots sont de bien petites personnes. Qu'il était beau le temps jadis où les maîtres et maîtresses d'école étaient des instituteurs de la République avant que de sombrer dans la ridicule appellation de Professeur des Écoles. Il aimerait se dresser contre de telles sornettes mais il devine qu'on le prendrait de haut.

Car si les mots changent, les maux restent et pire encore, le manque de respect dont héritent tous ceux qui sont passés dans la moulinette des changements de désignation. Il aimerait mettre des bâtons dans les roues de ces prétentieux sortis des Grandes Écoles qui préfèrent débaptiser des situations plutôt que de leur apporter des réponses réelles et concrètes ou requalifier des professions sans jamais leur apporter considération et rétribution convenable.