Oriflamme et Saint Nicolas

Le droit à l'image du saint patron.

Il advint qu'au temps glorieux du commerce fluvial, un curieux personnage se mit en tête d'agir à la manière des flibustiers de haute mer. Non point qu'il pensât être en mesure de détrousser ses collègues voituriers d'eau mais tout simplement pour amuser la galerie et distraire les badauds le long des quais.

C'est donc muni de l'oriflamme à la tête de mort qu'il se permettait de se mêler aux manœuvres complexes des chalands lourdement chargés qui entreprenaient d'accoster. Il fonçait sur eux, provoquait grand désordre avec un batillage qu'il accentuait de quelques virements de bord audacieux. Il jouait comme un gosse parmi des gens qui quant à eux, avaient un travail et de lourdes responsabilités.

Quand un chenapan se comporte ainsi, il y a toujours un adulte pour venir lui tirer les oreilles ou bien lui botter l'arrière-train. Mais dans son camp, la chose était plus que délicate tant le personnage, à force d'obséquiosité et de courbettes, avait su se concilier les bonnes grâces de l'amirauté et des puissants de la cité. C'est donc en tout impunité qu'il perturbait le bon déroulement du commerce fluvial.

Pour corser le tout, si j'ose cette métaphore, il invitait à son bord des gens d'influence que ce petit manège enchantait, inconscients qu'ils étaient sans doute, des risques encourus et de la gêne occasionnée par ce charmant bouffon. Mettant les rieurs de son côté, il pouvait agir à sa guise en dépit des règles et usages de la navigation.

Fort heureusement, par Poséidon, il y a toujours un revers de fortune pour qui ne respecte pas les lois et les usages. Alors qu'il manœuvrait au plus près d'un chaland en phase d'accostage, tenant d'une main sa maudite oriflamme, se prenant sans nul doute pour un page de Jeanne d'Arc, il laissa traîner derrière lui ce qui aurait dû flotter au vent. Il est vrai qu'il avait plusieurs occupations à la fois : faire des photographies, répondre au téléphone et piloter son bateau. Un être ordinaire aurait eu besoin de quatre mains mais celui-ci avait un extraordinaire pouvoir d'ubiquité.

Le pavillon de la honte s'enroula lamentablement dans l'hélice qui dans l'instant provoqua un haut le cœur à un moteur prompt à s'enflammer. La chose était déjà arrivée un jour que le prince de la bassine s'était pris pour un artificier. De hoquets en hoquets, le bateau partit à la dérive dans l'indifférence de tous ceux que jusque-là, il avait importuné.

Sur l'embarcation, les rieurs d'il y a peu avaient changé radicalement d'état d'esprit. Ils en arrivaient même à prier Saint Nicolas en personne, comme leur avait enseigné le joyeux drille de la bassine. Mal leur en pris puisque le saint patron des mariniers, répondant à leur appel, surgit des flots devant leurs regards éberlués.

Le Saint Homme, jamais avare de secours aux gens de l'eau dans la détresse et quoiqu'il ignorât tout de l'usage d'un moteur hors-bord, se mit en demeure de libérer l'hélice de la toile désormais en lambeaux, puis aidé par le Saint esprit, il parvint à remettre en marche le moteur juste avant que le bateau ne se fracasse contre une pile du pont Royal.

Ayant désormais la situation bien en main, l'évêque de Myre comprit soudainement qu'il était justement dans la ligne de mire de cet extravagant et inconséquent capitaine. Voulant faire valoir son droit à l'image et conformément aux préceptes édictés par son Dieu en personne, il réagit promptement pour échapper à ce cliché.

Comme la précipitation avec laquelle il avait agi l'avait contraint à intervenir sans sa crosse, il attrapa la hampe du drapeau au bout de laquelle le pommeau devint un engin contondant de belle facture. D'un geste brusque il frappa l'appareil photographique du Capitaine qui, pour son malheur avait celui-ci en bandoulière. Le geste fut si violent qu'il chut dans la Loire pour le plus grand amusement des rieurs qui comme souvent, changent bien vite de cible. Ce bain salutaire fut un véritable révélateur pour nombre des observateurs.