L'école du commerce.
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Qui se souvient encore de ce sac de billes qui faisait corps avec le sac d'école. Il était hors de question de prendre le chemin des écoliers sans cette pochette, souvent faite avec les moyens du bord. Du reste, c'était là un moyen de constater l’ingéniosité le plus souvent d'une mère qui avait taillé la chose dans une chute de tissu qui lui était tombée sous la main.
Pour ma part, c'était mon père qui avait taillé dans du velours (excusez du peu) un sac fermé par un cordon enserré dans son tube. Si mon contenant était de qualité, son contenu hélas, révélait la médiocrité qui était mienne dans la plupart des jeux de billes. Seul le circuit échappait au désastre avec des pertes moins conséquentes. Fort heureusement, l'épicerie voisine me permettait de renouveler les stocks sans qu'il me faille justifier mes navrantes carences.
Nous jouions aux billes pour la simple et élémentaire raison que nos cours d'école étaient en terre battue tandis que des arbres s'y dressaient fièrement en offrant aux abords des troncs des reliefs et des creux propices à maintes variantes du jeu. L'imagination en ce domaine et la diversité des règles imposaient de redoutables négociations avant que de nous lancer dans une partie.
Autre palabre qui nous initiait aux lois du commerce, la valeur relative des différentes billes et calots suivant leur grosseur et leur nature. Il semble qu'il existât à l'époque non pas un barème immuable mais un cours fluctuant qui émanait d'instances aussi lointaines que mystérieuses à moins que ce ne fut la loi de l'offre et de la demande qui faisait son apparition dans nos esprits juvéniles.
À ce jeu donc, il y avait les grands capitalistes qui accumulaient toujours plus leurs trophées au détriment d'indigents (dont je faisais partie) qui se voyaient systématiquement dépouillés tout en ayant de cesse de se réapprovisionner pour de nouveau tomber dans ce pillage systématique. Il n'est pas certain que l'âge adulte ait restitué ces catégories grossièrement tracées ici mais il est clair que la bosse du commerce ne fut jamais mon fort.
Notons que le choix du jeu entre toutes les variantes possibles dépendait fort de l'influence de l'un des champions en ce domaine. Il y avait une lutte d'influence entre les experts afin de choisir l'épreuve dans laquelle ils exprimaient au mieux leur science de la bille. Quant à nous, les perdants magnifiques, nous avions sottement espoir que les mouches allaient changer d'âne et que la chance tournerait enfin.
Les différents jeux de billes furent ainsi, à l'école communale, nos écoles de commerce avant l'heure. Il ne faut pas aller chercher plus loin mon aversion pour celles-ci. Elle doit dater de cette pratique qui dut mettre à mal le budget familial. Curieusement, c'est pourtant avec le jeu des fameuses pyramides que je découvris ma capacité à établir des formules arithmétiques pour calculer le nombre de billes en fonction de la hauteur de ce tas savamment constitué.
Le bitume ou le tartan dans nos cours d'école ont chassé les billes de l'environnement scolaire. Est-ce un bien ? Est un mal ? À notre époque, si nous perdions nos calots ou nos billes, qu'elles fussent en terre, en métal ou en verre, tout cela se passait à la régulière, sur le terrain même de l'animation. Nous n'avions pas à subir la menace ou les coups de détrousseurs de mauvais aloi. Je ne suis pas certain qu'il en irait ainsi désormais.
Nous avions un vocabulaire varié qui désignait bien des aspects de la pratique. C'est avec nostalgie que j'évoque tout à trac les mots qui me reviennent à l'esprit : tiquer, l'agate, le calot, le pot, le triangle, la pyramide, le mur, la poursuite, l'enclos, l'œil de bœuf, quetter, carreau, quiner à sec… J'en oublie sûrement !
J'en arrive désormais à un âge ou perdre des billes ne relève plus de mes préoccupations immédiates alors que perdre la boule peut parfois me causer bien du tracas. Peut-on qualifier ce phénomène d'évolution ? J'ai comme un doute !