Un virage toujours dangereux ?

C'est trop facile.

Une fois encore, le 11 novembre 2025, un automobiliste est venu satisfaire à la malédiction qui pèse sur ce restaurant installé dans un virage que l'on qualifie de dangereux. Est-ce parce que l'excellent estaminet en question se nomme « Cabinet Vert » qu'il donne aux chauffards du coin le feu éponyme pour appuyer impunément sur le champignon ?

La fréquence des accidents en ce lieu interroge l'observateur. En dépit des aménagements mis en place, malgré les divers avertissements et mises en gardes que les panneaux routiers ne cessent de signaler, la réitération des sorties de route pose problème. Fort heureusement cette fois, la municipalité et les restaurateurs ont mis en place un bouclier de protection pour parer le choc.

Cependant, ne faudrait-il pas faire appel à des procédures plus adaptées à ce phénomène qui se répète avec une curieuse régularité. Devant ce qui relève du mauvais œil, de la malédiction ou d'un hasard de mauvais aloi, il serait grand temps de prendre le taureau ou le diable par les cornes et d'agir en conséquence de cause.

La première mesure qui s'impose est de faire appel à l'exorciste du diocèse. Quoique la palette à la diable ne soit pas à la carte de cette table gastronomique, il serait bon d'utiliser les grands moyens pour repousser le mauvais œil. Si la chose ne mange pas de pain, elle rassurerait les clients superstitieux.

La seconde réside dans le vocabulaire qu'on emploie à chaque fois pour évoquer la succession d'incidents. La presse locale qualifie de virage dangereux cette courbe qui se situe en bout de la ligne droite des quais avant que de bifurquer vers le faubourg. Ce serait donc, si on en croit les pigistes, le virage qui est en cause et non les chauffards qui sont au volant.

La courbe en question est remarquablement bien signalée. Les aménagements de sécurité sont présents et devraient être suffisants pour qui en respecte les injonctions. Pour qui aborde le tournant dans les conditions fixées par le code de la route, nulle inquiétude, le passage se fera sans encombre.

Ce sont les rois de l'infraction et de la vitesse excessive qui sont en cause et non cette courbe à 90 degrés qui n'a rien d'extraordinaire. Mais encore faudrait-il installer des moyens de coercitions pour chasser les furieux de l'infraction. C'est alors que se pose le cas épineux des récidives en cet endroit qui heureusement n'ont pas fait de victimes, à l'exception notable des restaurateurs qui ont bien failli manger la grenouille.

Pour agir véritablement, une collectivité a sans doute besoin d'une victime expiatoire. Un radar automatique serait à ce titre un outil adéquat pour que cesse cette course insensée pour prendre le virage. Un radar qui ne serait pas installé pour faire de l'argent mais protéger des contribuables et des clients qui sont en droit d'attendre une sécurité renforcée en ce lieu compte tenu des antécédents.

Une fois encore, cet incident me reste sur l'estomac et risque injustement, par ricochet de ternir la réputation d'une des meilleures tables de la ville. Alors que les travaux de restauration après un véritable attentat routier la fois précédente viennent tout juste de s'achever tandis que l'abruti mis en cause, malgré un délit de fuite pour effacer de son sang les causes véritables de son accident, ait bénéficié de la mansuétude d'une justice, nous constatons une fois encore que rien n'est véritablement réglé.

Le virage n'est, je le répète, pas dangereux. C'est le laxisme judiciaire, l'inaction des pouvoirs locaux, la frilosité des élus pour voter des mesures de sécurité qui sont sources de dangerosité et de menaces. La sécurité routière est d'abord et avant tout une question de volonté et de contrôle, au Cabinet Vert comme partout ailleurs.