Au fil des propos.
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Ils partagent la même passion ou le même objectif, c'est du moins ce qu'il faut espérer même si la nature humaine est ainsi faite qu'il est peu probable que tous aient les mêmes moyens d'agir en tête pour leur association. C'est justement lors du Conseil d'administration que devraient s'effectuer les réglages et mises au point nécessaires à son bon fonctionnement, tout en assurant sa gestion et en envisageant ses projets.
Un ordre du jour est proposé, le plus souvent par le président. Il a été diffusé quelques jours avant la réunion tout comme a été envoyé aux membres du CA le compte-rendu de la réunion précédente. On peut se demander si tous ont lu ces deux documents puisque le second document ne soulève jamais la moindre remarque. La force de l'habitude sans doute…
Les participants arrivent à l'heure et s'installent dans un ordre presque immuable. Ils sont heureux de se retrouver après un mois sans se voir. Les apartés provoquent un brouhaha qui se poursuivra alors que le président tente vainement de prendre la parole pour ouvrir la séance. Il faut qu'il insiste pour que le silence se fasse.
Après les volets classiques et purement administratifs qui ouvrent le bal, un premier sujet entraîne des discussions de part et d'autre de la table. Le plus délicat, comme dans nombre d'assemblées humaines, est de s'écouter. Plusieurs personnes parlent en même temps, les unes se contentant de s'adresser à leurs voisins, les autres tentant de contredire celui qui avance un argument. Il y a des parasites dans l'air.
Le retour au calme et à la discipline dans la prise de parole est demandé. Peine perdue puisque certains n'ont pas entendu cette consigne du président, très occupés à poursuivre leurs petits potins qui n'ont du reste aucun rapport avec ce qui est débattu par cette noble assemblée. Il faut que le président élève le ton pour que le calme revienne, avec une pointe de désapprobation chez ceux qui ont été repris comme de vilains garnements.
La discipline a gagné la partie momentanément. La discussion peut reprendre sur le sujet traité. Ce n'est hélas qu'une simple illusion puisque les glissements sémantiques sont légion. Les intervenants aiment à passer du coq à l'âne, dérive si fréquente dans bien des réunions, mais encore à refaire le cours de l'histoire pour des gens qui sont au courant et qui n'ont pas besoin de tant de détails. C'est à croire qu'en cette instance, certains se saoulent de mots tandis que d'autres semblent ne pas s'autoriser à demander la parole.
C'est en écrivant la dernière phrase que je me rends compte de cet abus de langage qui caractérise bien des lieux de communication. Les gens y prennent la parole à défaut de la demander, n'attendant pas que le locuteur de l'heure ait terminé de parler. On appelle ça : « couper la parole ! » ce qui est fort désagréable, avouons-le.
Les sociétés anciennes usaient du bâton de parole pour donner de la solennité à chaque intervention tout en exigeant de celui qui voulait s'exprimer d'être d'abord capable de résumer le propos de son devancier. Je crains que cela serait bien trop compliqué dans cette société de la communication sans écoute véritable.
Soudain une pierre d'achoppement vient perturber l’ordonnancement indiscipliné de la réunion. Un sujet provoque une réaction qui est perçue comme un grief personnel. Le ton monte entre deux membres tandis que d'autres viennent s'interposer pour prendre du recul et justifier la remarque. Cette fois, les digues cèdent et tout le monde se met à parler dans un brouhaha indescriptible.
Pour retrouver un peu de sérénité, il appartient à un plus sage de recadrer le débat, d'adopter une ligne de conduite de la remarque qui n'avait rien de personnel mais s'inscrivait dans un contexte général. Il faut savoir dans pareille instance, prendre de la distance et savoir fixer de nouvelles lignes de conduite sans que les individus se sentent mis en cause.
Malgré ces efforts louables, la fin de la séance se ressent de la poussée de fièvre. Il est probable que tout ceci sera oublié lors de la prochaine réunion pour peu que le sujet de la controverse fût lui aussi effacé des mémoires. Lors du prochain rendez-vous, il est plus que probable que les mêmes constations et les mêmes distorsions refassent surface sans qu'on n'y puisse jamais rien changer…
Ce seront toujours les mêmes qui tiennent le haut du pavé, d'autres qui aiment les apartés, certains qui discrètement, regardent leur portable et ce pauvre secrétaire qui doit établir un contre rendu cohérent qui ne sera guère lu. Finalement, ici comme au parlement, c'est la même carence en matière de dialogue.
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