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Billet de blog 14 décembre 2025

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Sous les jupes d'une chanson.

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Gare au gorille !

Illustration 1

Une chanson, n'est jamais qu'une simple petite histoire anodine. Elle révèle nombre de turpitudes. Qu'elles soient passées ou bien présentes, elles émergent au fil du temps et peuvent devenir d'insidieuses pierres d'achoppement. Nous en allons faire ici démonstration.

C'est à travers de larges grilles que les femelles du canton

contemplaient un puissant gorille sans souci du qu'en-dira-t-on
Avec impudeur, ces commères lorgnaient même un endroit précis
Que, rigoureusement, ma mère m'a défendu d'nommer ici

D'entrée de jeu le gars de Sète cherche la petite bête. Sa misogynie légendaire le pousse à nommer « femelles du canton » les bonnes dames qui regardent d'un air envieux les bijoux de famille d'un gorille.

Tout à coup la prison bien close où vivait le bel animal s'ouvre, on n'sait pourquoi,

je suppose qu'on avait dû la fermer mal
Le singe, en sortant de sa cage dit :

"c'est aujourd'hui que j'le perds!"
Il parlait de son pucelage, vous aviez deviné, j'espère !

La maltraitance animale s'invite immédiatement à la fête. L 214 ne saurait tolérer pareille création de nos jours avec un Gorille derrière des barreaux d'une ménagerie. Quant à la référence à ce pucelage, obsession de bien des adolescents, elle provoquerait un soulèvement de bénitiers.

L'patron de la ménagerie criait, éperdu "nom de nom !
C'est assommant, car le gorille n'a jamais connu de guenon!"
Dès que la féminine engeance sut que le singe était puceau
Au lieu de profiter de la chance elle fit feu des deux fuseaux !

L'inconséquence des femmes est une nouvelle fois mise en évidence. En vieil ours, Georges met le doigt sur la versatilité de cette engeance qu'il moque sans vergogne. Il pointe en réalité une distorsion historique entre les désirs des hommes et des femmes à propos de cette virginité : trophée chez les premiers, repoussoir pour les secondes.

Celles-là même qui, naguère le couvaient d'un œil décidé, fuirent,

Prouvant qu'elles n'avaient guère de la suite dans les idées
D'autant plus vaine était leur crainte que le gorille est un luron supérieur à l'homme dans l'étreinte
Bien des femmes vous le diront !

Pour faire bonne mesure tout en enfonçant une fois encore le clou, Brassens cette fois s'en prend à ses pairs en décrétant leur médiocrité dans l'art de l'étreinte. Propos qui au lieu de mettre à dos les deux moitiés de l'humanité, leur donne la possibilité de s'unir de concert pour fondre sur ce misanthrope notoire.

Tout le monde se précipite hors d'atteinte du singe en rut
Sauf une vieille décrépite et un jeune juge en bois brut
Voyant que toutes se dérobent le quadrumane accéléra son dandinement vers les robes
de la vieille … et du magistrat !

C'est ainsi qu'il met en avant les deux protagonistes de cette histoire. Deux portraits fort dissemblables avec un double mépris pour le grand âge et une noble fonction de la justice. Nous pouvons imaginer aujourd'hui les réactions de ces deux catégories.

"Bah ! soupirait la centenaire qu'on pût encore me désirer ce serait extraordinaire
Et, pour tout dire, inespéré !"
Le juge pensait, impassible
"Qu'on me prenne pour une guenon c'est complètement impossible"
La suite lui prouva que non !

Avec indélicatesse, l'auteur évoque la notion complexe du désir. C'est manifestement une position implicite qui met en avant l'hétérosexualité supposée du Gorille sans lui offrir la possibilité du choix. Ce passage ne serait plus recevable aujourd'hui.

Supposez que l'un de vous puisse être comme le singe, obligé de violer un juge ou une ancêtre
Lequel choisirait-il des deux?
Qu'une alternative pareille un de ces quatre jours, m'échoie
C'est, j'en suis convaincu, la vieille qui sera l'objet de mon choix!

Nous atteignons le sommet de l'indignité de cette chanson. Explicitement cet individu se prétend capable de pratiquer le viol même s'il enrobe cette option de la contrainte tout en exprimant clairement une pratique genrée qu'il revendique au détriment d'une autre.

Mais, par malheur, si le gorille aux jeux de l'amour vaut son prix
On sait qu'en revanche il ne brille ni par le goût ni par l'esprit
Lors, au lieu d'opter pour la vieille comme l'aurait fait n'importe qui
Il saisit le juge à l'oreille et l'entraîna dans un maquis !

Pour sortir de l'impasse dans laquelle son récit l'a conduit, l'auteur se défausse sur le manque de goût et d'esprit du Gorille. En faisant de l'animal un être dénué de discernement, un point de vue qui provoquerait une levée de boucliers des animalistes, il pense s'en tirer à bon compte.

La suite serait délectable...
Malheureusement, je ne peux pas la dire,

Et c'est regrettable ça nous aurait fait rire un peu
Car le juge, au moment suprême criait "maman!", pleurait beaucoup
...

Comme l'homme auquel, le jour même

il avait fait trancher le cou

La chute si j'ose utiliser cette formule un peu tranchante, relève d'une prise de position claire et revendiquée contre la peine de mort. En cette période trouble qui en dépit de son abolition voit ressurgir le retour de cette revendication, le texte offenserait les adeptes d'une pensée autoritaire et quelque peu sanguinaire.

Sous les jupes d'une chanson © C'est Nabum

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