À Maxence
Il était une fois un garçon sur son fauteuil roulant électrique. Il roulait tout doucement, se dirigeant vers un château en briques tout au bord de l'étang quelque part en Sologne. La brume prêtait à cette bâtisse un aspect fantomatique ! Quelques lumières échappées des grandes portes-fenêtres lui conféraient un aspect de phare breton perdu au milieu de l’océan.
Dans le lointain, résonnaient les aboiements lugubres d’une meute de chasse à courre en pleine curée. Le terrifiant râle d'un vieux cerf qui lui glaça le sang. Il avait croisé la bête pourchassée, l’avait vue emprunter cette allée mystérieuse qu’il prenait à son tour, poussé par une étrange intuition.
Le froid, la nuit, l’angoisse de l’inconnu lui donnaient envie de rebrousser chemin. Que ce décor paraissait sinistre ! Quelque chose pourtant l'attirait mystérieusement comme si la vieille bâtisse aux volets claquants l’invitait à poursuivre son expédition. L’enfant ressentait une énigmatique présence dans ces murs abandonnés. Plus il avançait, plus il lui percevait de la musique.
L’enfant ferma les yeux pour mieux se laisser pénétrer par la mélodie. Il en oubliait ses craintes et son angoisse. Il ne se souciait guère de sa mère, qui, à cette heure tardive devait être folle d'inquiétude ! Il lui avait fallu arrêter son fauteuil devant les gravillons de la cour du château, obstacle impossible pour lui.
Une douce main se glissa dans la sienne. Il sursauta tandis qu’une voix suave lui murmura : « Maxence, ferme les yeux et suis-moi ! Je t’attendais. Fais-moi confiance, je ne te veux aucun mal, bien au contraire… » L’enfant s’exclama qu’il ne pouvait se lever, que ses jambes ne répondaient pas à ses désirs. La fée lui enjoignit de lui obéir
Envoûté, Maxence écouta. Miraculeusement il se leva et marcha main dans la main avec la gentille fée. Ils avançaient tranquillement. Leurs pas crissaient sur les graviers. Quel était cet étrange mystère ? Il s’était émancipé de son fauteuil roulant, il ne ressentait plus ses horribles douleurs ; son corps meurtri s’était soudainement réparé… »
Sa cavalière lui demande d'ouvrir les yeux. Ils entrèrent dans la grande salle du château. Il y a là une foule chamarrée, bruyante, joyeuse. Maxence découvrit éberlué des couples de danseurs tournoyant joyeusement. De gentils marquis portant perruque et bas de soie, de belles duchesses avec leurs plus beaux atours. Un orchestre menait la danse, les musiciens étaient des animaux jouant des instruments à corde. Il aperçut son reflet dans une glace fixée contre le mur. Était-ce vraiment lui ce garçon debout et souriant ? Il était métamorphosé, portant bel habit de soie, chamarré de jolis rubans qui enserraient ses mollets. Ses cheveux sont longs, attachés en queue de cheval. Tous les hommes portaient perruque. Sa cavalière était la plus belle de toutes. Il perçevait de la jalousie dans les œillades envieuses des muscadins.
Il dansa le menuet avec sa magnifique fée. Maxence qui jusqu’alors ignorait tout de cette danse d'un autre temps, suivit sans difficulté le mouvement. Ses pieds frappaient la cadence et il réalisa aisément les savantes arabesques de la chorégraphie. Quand le couple se salua d’une délicate révérence, sa belle cavalière lui glissa à l'oreille des mots tendres.
La soirée est alors un tourbillon de danse, de champagne et de chastes baisers. Le jour point dans le lointain. Les danseurs quittèrent à la hâte le château, emportés par des attelages surgis de nulle part. Maxence ne s’étonna même plus lorsqu’un couple fut emporté par un immense cygne noir surgi de l’étang et traînant un carrosse en forme de citrouille ...
Des couples redevinrent de vulgaires rats des champs. C'est la débandade. Des chauves-souris s'envolaient, des araignées s’accrochaient au plafond tandis que des vipères rampaient vers le perron. Tous les deux étaient désormais les seuls humains égarés dans cette ménagerie.
Les musiciens aussi avaient disparu, sans pour autant que la musique se soit tue. Le soleil se lève, La brume enveloppa l'étang et la campagne environnante. Le couple dansa encore, sans éprouver la moindre fatigue. La fée était éblouissante. Elle l'embrassa voluptueusement. Soudain, elle le prit par la main pour le conduire à l'étage. Dans l’escalier, la belle rillait aux éclats.
Elle l’entraîna dans une chambre où brûle un somptueux feu de cheminée. Elle se fit de plus en plus câline. Maxence était au pays des merveilles. Sa princesse le caressa, il frissonna, tous deux s'abandonnèrent à l’explosion des sens. Ils s’aimèrent tendrement. Maxence était le prince charmant d'une duchesse, d'une reine ou d'une fée. Elle l'aimait, il l'aima.
Qu’importe que tout ceci ne fut que chimère, un songe né dans les brumes de Sologne ! Cette nuit mirifique issue d’un instant d'égarement demeurera le fruit enfiévré de l’inconscient. La danseuse de Maxence restera à tout jamais dans son imaginaire.
Pour rompre le lien avec sa réalité de garçon cabossé par la vie, il sait désormais qu’il peut inviter sa fée quand il n'en peut plus de sa triste condition. Son imagination la fait surgir, il se retrouve à nouveau dans ce délicieux bal, dansant au bras de sa fée. D’un coup de baguette magique, ils se retrouvent enlacés le temps d’une douce pensée qui embellit sa triste condition.
Puissiez-vous, vous les enfants, convoquer dans vos rêves un ailleurs merveilleux qui surgit quand votre présent se charge de lourds nuages. Il suffit de fermer très fort les yeux.

Agrandissement : Illustration 2
