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Billet de blog 15 novembre 2025

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Conversations capillaires.

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Sans couper les cheveux en quatre.

Illustration 1
© Marc Chagall

Trois fois l'an environ, l'évidence s'impose devant le miroir, les mèches se font de plus en plus rebelles et donnent mauvaise allure. Comme le coup de peigne n'est pas une évidence, autant aller rendre visite au merlan, ce chevalier de la paire de ciseaux et du rasoir. Depuis le temps que je me rends chez le même professionnel de la coupe capillaire, le silence n'est pas de mise entre nous.

Dès l'accueil, la poignée de main est chaleureuse tandis qu'il m'invite à m'installer sur le fauteuil à bascule de l'endroit. C'est ainsi que je me vois affubler de l'incontournable blouse qui s'enfile à l'envers et qui demeure la protection incontournable pour le client à laquelle il faut adjoindre ce petit col blanc en papier qui fait passer le client pour un séminariste.

Sans attendre d'explication, mon coiffeur taille dans le vif avec cette dextérité qui caractérise ceux de son art. C'est le signal que nous attendions pour entamer la conversation. Tous les sujets y passent à commencer par mon étonnement de ne pas avoir dû attendre. La période n'est pas favorable au petit commerce m'avoue mon coiffeur qui pour la première fois depuis vingt ans qu'il est installé dans le quartier n'a pu se tirer un salaire, une fois les diverses charges et la rémunération de son employé réglées.

J'en profite pour évoquer l'éclosion anarchique des fameux « Barbers » qui semblent avoir le vent en poupe. Il y a effectivement un sujet de questionnement pour le coiffeur qui s'interroge sur la fonction exacte de ces commerces étrangement ouverts tard le soir. À moins de raser gratis, un autre commerce occulte doit se dissimuler derrière cette façade présentable... Mon interlocuteur, par prudence, préfère n'en dire pas plus.

Nous évoquons les vacances, sujet qui ne connaît plus de saison. C'est surtout manière de prendre un peu le large, de s'évader de ce quotidien d'autant plus morose que la pluie incessante du jour, met les nerfs en pelote et laisse les clients potentiels chez eux. Par un glissement compréhensible, le nouveau rapprochement entre le Maroc et la France sur le statut du Sahara occidental alimente le tour des oreilles.

Pendant que les pattes sont taillées en pièce, la conversation glisse sur le commerce alimentaire voisin. Le changement de propriétaire a modifié la qualité d'autant que le nouveau patron est moins regardant sur la qualité de la marchandise et l'hygiène de la boutique. Nous versons conjointement une petite larme sur le départ tragique de celui qui avait fait de sa boucherie une référence dans la ville.

La coupe du col permet d'évoquer mes spectacles. Le coiffeur profite de sa position pour se préoccuper de mes activités. Mon reflet dans la glace l'autorise sans doute à ce questionnement personnel à moins que ce ne soit ma tête penchée en avant qui lui fait penser que je le salue avec déférence.

Un petit coup sur les cils recentre les débats sur la vie politique nationale. C'est à croire que mon coiffeur perçoit que je vois d'un très mauvais œil la prestation de monsieur Macron dans sa seconde présidence. Nous cherchons alors conjointement l'individu qui dans le personnel politique national dispose de la stature d'Homme d'État. Autant couper les cheveux en quatre, la chose est strictement impossible.

La coupe tire à sa fin. Pendant que mon ami fignole le travail, effectue les ultimes retouches, il est grand temps de déplorer les difficultés économiques de l'heure, l'inquiétude qui gagne dans un pays qui perd son statut de grande puissance. C'est l'opinion d'un coiffeur issu de l'immigration et parfaitement intégré qui conclut cette petite demi-heure de discussion par son souhait de voir Marine montrer ce dont elle est capable. Ce serait à moi de lui tailler des croupières mais à quoi bon, compte tenu de la médiocrité affligeante de toute la classe politique. Je préfère ne rien dire avant que de régler avec le sourire cette coupe bavarde.

Illustration 2
© Mikhail Larionov

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