Des berges à l'abandon

Un jour de canicule, quoi de mieux que de prendre l'air sur ma chère rivière, à la condition, ça va de soi de partir à une heure matutinale. Le projet eut l'heur de convenir à un camarade qui me donnait rendez-vous à matines pour filer aux heures fraîches d'une journée promise à dame Canicule. Le canoë au long cours suppose cependant une organisation pour prévoir une voiture ballet d’essuie glace afin de revenir au point de départ. Un ami acceptant de jouer le chauffeur, il n'y avait plus qu'à se coucher tôt pour être d'aplomb au petit matin.
N'aimant pas faire attendre, je me levais fort tôt afin de préparer le matériel, approcher l'embarcation, lourde comme un âne mort selon la formule consacrée. Tout était prêt, ne manquait plus qu'à charger la bête sur la galerie, chose totalement impossible pour un homme seule quand un appel remis en cause le projet fluviale. Une nuit blanche contraignait mon partenaire de navigation de déclarer forfait.
Il faut accepter l'impondérable, plier les gaules et changer de programme mais auparavant prévenir le chauffeur pour ne pas le déranger inutilement. C'est alors que le miracle a lieu, celui qui devait tenir le volant accepte de changer de rôle tandis que le navigateur envisage lui aussi de changer de rôle. Cependant, toutes ces tergiversations retardent d'une heure le départ, ce qui en ce jour chaud, risque de nous mettre sur le grill.
Au début, tout se passe bien. Il est huit heures, un petit vent frais permet d'envisager le périple sans trop souffrir de la chaleur. Mon nouveau partenaire est enchanté de l'aubaine. Après quelques explications sur la bonne manière de tenir sa pagaie, de la plonger dans l'eau ou de tenir la cap, il se tire fort honorablement de cette expérience.
Le passage de nos ponts provoque quelques frayeurs pour qui n'en a pas l'habitude mais pour le reste, tout va bien en dépit d'une cote qui affiche moins un mètre vingt cinq sous l'étiage. Il va falloir jouer avec les hauts fonds, esquiver les rochers qui affleurent, songer à ne pas s'engraver sur les bancs de sable. Le quotidien de la descente de Loire sauf que le vent d'ouest forcit de manière considérable en proposant un ventilateur bienveillant certes mais un obstacle conséquent pour la progression.
Nous avançons à la vitesse d'une cistude sur la terre ferme tandis que la ligne droite n'est pas le plus sûr chemin pour aller de l'avant dans une rivière couverte de champs de cailloux, de seuils infranchissables, de grèves vicieuses. Avec Galerne qui ne cesse de nous poser problème, notre progression traîne en langueur tandis que le courant ne suffit pas à tracer la route. Pagayer est une nécessité de chaque instant pour garder le nez du canoë face au vent.
Nous conservons pour l'heure notre objectif initial sans avoir conscience du temps qui passe. Deux heures plus tard, il faut en convenir, nous n'avons fait qu'un tiers du programme tandis qu'une pause s'impose. La cale du passeur à la Chapelle Saint Mesmin nous tend sa rive même si une femme y baigne son chien. La dame trouve rapidement que notre embarcation prend beaucoup de place et entrave les évolutions aquatiques de son compagnons. Voilà bien une personne qui ne perçoit pas l'usage premier d'une cale. Autant ne pas la prendre à rebrousse-poil.
Nous reprenons notre progression avec cet obstacle de plus en plus violent qui souffle face à nous. Il faut ramer comme l'entendent ceux qui usent de ce vocable au figuré. Nous sommes encore gaillards et l'épreuve pour l'instant ne semble pas nous rebuter. Il faut cependant avouer que nous n'avançons guère. La Pointe de Courpin semble inatteignable d'autant plus que le secteur baigne dans les algues vertes en décompositions. Cet endroit magnifique est envahi de cyanobactéries et l'odeur est intenable.
La suite ne sera qu'un interminable combat contre le vent et l'étiage alors qu'un canoë n'a pas besoin de beaucoup d'eau pour passer et pourtant, nous sommes parfois contrait de passer à la traction humaine. Le temps passe et notre chauffeur commence à s'inquiéter d'autant qu'il croise des pompiers en manœuvre à notre destination supposée. Panique à bord de la voiture et appels multiples sur un téléphone enfermé dans un sac étanche. Il faut bien lui répondre …
L'heure est venue de mettre un terme à cette aventure qui dure maintenant depuis près de cinq heures. Le soleil de plomb pousse à la modération ? C'est alors qu'il convient de trouver un point de ralliement ce qui, sur une portion de Loire véritablement sauvage et sans village effectivement riverain, nous n'avons que des berges noyées par une végétation luxuriante et parfaitement inextricable.
Un endroit semble convenir mais un mauvais choix de trajectoire sur la rivière nous conduit à le passer alors qu'une île nous prive malencontreusement de son approche. Je craignais cette erreur de jugement et forcément, ce qu'on redoute arrive assez souvent. Il fallait donner un nouveau point de rencontre alors que cette fois, nous ne savions plus où nous étions précisément. Notre estimation étant bien trop pessimiste.
Notre chauffeur finit par trouver le temps long d’autant plus que nous étions incapables de lui préciser notre position. Un ancien terrain de camping nous incita à accoster espérant qu'un chemin permettra d'y accéder avec le véhicule de rapatriement. Hélas, toutes les voies d'accès avaient été barrées pour repousser l'installation des indésirables.
Nouveau départ sur l'eau pour trouver un endroit accessible à la fois pour débarquer et pour approcher la voiture. Une sorte de quadrature du cercle sur des berges qui faute d'entretien sont devenues inaccessibles tandis que les voitures sont devenues totalement indésirables en bord de Loire.
À bout de force, nous finîmes pas accoster au bout d'un chemin interdit aux autos. N'allez pas le répéter mais nous n'avions plus l'énergie de porter sur plusieurs centaines de mètres notre si peu frêle esquif. C'est alors que nous découvrîmes les rayons ardents d'un soleil de plomb, une fois à l'abri de ce maudit vent. Nous étions presque arrivés à notre destination envisagée.
Une sortie en Loire, nous sommes pourtant avertis et expérimentés, ne se satisfait guère d'improvisation. Il y a en dépit de la facilité apparente de la navigation, bien des impondérables et des variables qui peuvent contrarier l'aventure. Il convient de tout envisager et de prévoir des solutions de replis, ce que nous n'avions pas fait à notre grande honte.

Agrandissement : Illustration 2
