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Billet de blog 17 août 2025

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Se faire un bec.

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Paroles, paroles ...

Faire un bec © C'est Nabum

Une femelle brochet avait du vague à l'âme. Son beau mâle avait eu maille à partie avec un pêcheur qui poussa le bouchon si loin qu'il décida de l'immortaliser sous la forme d'un trophée. Seule compensation de sa part, après son passage à la casserole, il se signala à son prédateur sous forme d'une redoutable indigestion ; il n'est pas aisé de réussir un beurre blanc…

Inconsolable la belle qui était du reste bien plus grosse que son défunt compagnon se mit en quête de se refaire la cerise en changeant radicalement de pratique. Elle savait que chez les ligériens, ses semblables étaient affublés du sobriquet de bec, sans doute par la faute d'un museau pointu. Ce sobriquet lui mit une curieuse idée en tête.

Elle dont la taille la mettait selon toute probabilité à l'abri d'une agression d'un oiseau pêcheur se mit en quête de celui qui avait le plus long bec. Dans son esprit embué par le chagrin, c'est de ce côté là qu'elle trouverait compagnon pour convoler et oublier ainsi son malheureux époux. Elle jeta son dévolu sur un héron cendré doté d'un appendice conséquent.

Le héron, nous devons bien l'admettre, ne comprit pas immédiatement le sens de la parade à laquelle se prêta dame brochet. Il en fut même un temps fort contrarié puisque, chacun le sait, un brochet dans les parages rend la pêche de la friture bien plus compliquée. Il restait sur sa faim au point de donner quelques coups de becs vengeurs pour chasser cette indésirable présence.

L'incompréhension entre les espèces n'est pas feinte. Ce qui pour l'un était un geste agressif fut interprété par l'autre comme une embrassade. Dame brochet comme disent nos amis québecois comprit que Héron lui faisait un « bec ». Elle en fut toute émoustillée tandis que Héron tout d'abord interloqué, finit par saisir qu'une tentative de rapprochement se déroulait à ses pieds.

Au fil du temps, une relation amicale se noua entre l'oiseau et le poisson dans les limites naturelles qu'imposaient leurs conditions respectives. Puisque la satisfaction du corps n'était pas envisageable, c'est vers l'esprit qu'ils tournèrent leurs rencontres. C'est ainsi qu'ils trouvèrent un langage commun pour échanger leurs points de vues sur l'évolution de la Loire.

C'est dame Brochet qui la première mit ce sujet sur la table. Elle avait constaté au fil du temps avec son défunt compagnon, l'intrusion de nouvelles espèces de poisson. Jadis, le brochet était le maître des eaux puis au milieu du XX° siècle le sandre vint chasser sur leur domaine. Dans le même temps, le poisson chat et la perche soleil vinrent troubler leur onde pure jusqu'à ce que de récents nouveaux venus installèrent définitivement la théorie du Grand Remplacement dans l'esprit des carnassiers, silures et aspes semblant vouloir tirer la couverture à eux.

Héron avoua alors que pour lui, les temps étaient durs puisque tous ces prédateurs rendaient la pêche à la friture des plus délicate. Il regrettait le bon vieux temps de la seule concurrence du brochet tandis que de son côté, en cette lointaine époque, il n'avait guère de rivaux sur la berge mis à part le Martin pêcheur. Depuis d'autres venaient eux aussi d'ailleurs pour lui prendre sa précieuse pitance.

Rapidement nos deux nouveaux amis se lancèrent dans une diatribe contre tous ces intrus venus de contrées lointaines. L'ostracisme n'est pas l'exclusivité des humains. Ils firent ainsi le tour de tous ceux qui avaient posé leur valise dans les flots ou sur les rives. La longue liste leur donna matière à récrimination pour cette mondialisation qui bouleversait leurs existences.

Héron trouvait même que dans sa propre famille, il constatait le surgissement massif de cousins du nom d'aigrette grande ou garzette, de bihoreau, garde-bœuf ou pourpre tandis que d'autres oiseaux venaient se mêler à cette véritable invasion à commencer par le cormoran et les redoutables balbuzards qui avaient remplacé le vénérable pygargue. Dame brochet en resta un moment sans voix, décidément cette Planète marchait sur la tête.

Tous deux alors de s'indigner de tous ces poissons et oiseaux migrateurs qui viennent sur la Loire pour profiter gratuitement cela va s'en dire, des services de natalité qui leur sont gracieusement offerts par une nature généreuse qui de plus leur assurent de quoi subsister durant leur séjour dans ce beau pays. Dame brochet se retint alors d'évoquer les ancêtres du héron qui eux aussi migraient vers le sud en automne...

Ils en étaient là de leurs constatations quand un castor arriva sur ses entre-faits. C'est le mot cousin qui lui avait fait dresser l'oreille. Lui aussi avait un cousin en travers de la gorge et de la Loire : un intrus venu d'Amérique tout comme le poisson chat et l'écrevisse à pattes rouges. Castor suggéra alors de dresser des frontières sur le bassin de la Loire pour préserver la tranquillité du lieu.

Brochet renchérit d'autant plus aisément qu'il tentait de mobiliser toutes les espèces halieutiques pour lancer une pétition contre les silures dont la présence en Loire prenait des proportions inquiétantes et dont les agissements mettaient en péril la réputation de tous les autres poissons. Ces maudits envahisseurs ne respectaient pas les pratiques ancestrales.

Héron en écoutant leurs remarques se couvrit la tête de cendre. Décidément tout allait à vau-l'eau au bord de l'eau. Il était grand temps de lancer un mouvement pour redonner la Loire aux espèces ligériennes. La perspective d'un prochain Parlement de Loire serait à ce titre l'occasion rêvée de mener campagne pour chasser les intrus et rétablir dans leurs droits historiques tous les animaux de souche.

C'est alors qu'un naturaliste ayant surpris ce curieux débat vint tenter l'aventure de mettre un peu d'eau dans leur venin. L'humain estimait que chacun avait sa place dans cet écosystème complexe qui était naturellement en perpétuel évolution d'autant qu'il servait de refuge à des espèces qui se trouvaient chassées de chez elles par la faute de facteurs environnementaux indépendants de leur volonté.

L'humain se lança alors dans un discours des plus savants qui devint au fil de ses propos totalement abscons pour les trois animaux. Ces derniers du reste cessèrent d'écouter ce discoureur qui leur tenait un langage universitaire qui dépassait largement leur manière d'envisager leur milieu naturel. Ils en conclurent tous trois que confier leur défense à des individus de son acabit n'était pas nécessairement une solution pérenne.

Devant cette impasse et le risque de tomber d'un extrême à l'autre, castor s'en retourna dans sa hutte, brochet plongea dans une mouille profonde tandis que héron se réfugia dans sa héronnière après que castor déclare en guise de conclusion : « Pour vivre heureux, vivons cachés et surtout des humains ! », réplique qui mit un terme à cette illusoire tentative de fédérer les espèces autochtones tout en clouant le bec à ses deux comparses.

Quant au naturaliste, il s'en revint vers son parlement, persuadé que désormais, il était mandaté par tous les animaux de Loire pour parler en leur nom et défendre leur cause ainsi que celle des plantes et de tout ce qui se rattache à une rivière qui, comme tous les savants de son espèce, il dénomme « Fleuve ». La suite nous dira s'il saura trouver une position de nature à satisfaire les uns et les autres dans cet épineux débat, vieux comme le monde.

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