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Billet de blog 18 décembre 2025

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Marguerite sauve sa peau.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La vache emblématique 

Illustration 1

Marguerite est née sous une curieuse étoile. Bonne bête, elle n'a jamais hésité à fournir ce merveilleux lait que ses éleveurs attendaient d'elle. Mauvaise camarade, elle ne s'est jamais reconnue dans ses compagnes qui pour elle n'avaient aucun caractère, aucune personnalité. Elle les battait froid, les méprisait souverainement et se gaussait d'elles quand ces dernières la traitaient de peau de vache.

Dire ses quatre vérités à ses collègues bovines ne fut pas du meilleur effet. Toutes les autres lui tournaient le dos, par dépit, lui faisaient barrage au moment de passer à la trayeuse automatique. Marguerite n'en avait cure, elle avait une vie intérieure si riche que ces malheureuses contrariétés ne l'atteignaient guère.

Elle les mit du reste sur le compte de la jalousie puisqu'elle avait été sélectionnée pour représenter sa race laitière au Salon de l'Agriculture de Paris. Ce qui aurait pu passer pour un triomphe annonçant un retour en grâce dans son cheptel, fit d'elle tout au contraire la paria du troupeau. La pauvrette, lors de la visite d'une grande personnalité de la nation eut l'indélicatesse de lever cérémonieusement la queue pour une offrande sur les escarpins de l'indélicat qui lui flattait la croupe.

De retour à la maison, on lui fit grand reproche de son comportement parmi celles de sa race. S'en prendre ainsi au premier personnage de l'état grand amoureux des bêtes si l'on en croit ses déclarations, avait de quoi mettre en furie ce cheptel docile. Seul le fermier, sans pourtant pouvoir le déclarer haut et fort, avait trouvé fort judicieuse la réaction de Marguerite vis à vis d'un personnage auquel il convenait de ne jamais donner crédit à ses déclarations de pures formes.

Néanmoins, le climat entre Marguerite et ses semblables ne permettait plus une cohabitation sereine. L'éleveur dut se résoudre à la mettre dans un quartier de haute sécurité, l'ancien box de Pompon, le dernier taureau d'une longue lignée qui s'était éteinte avec l'avènement des inséminateurs en blouse blanche.

Illustration 2

Dans ce réduit Marguerite n'avait plus à craindre les rodomontades de ses congénères qui feignaient de l'ignorer. Pour l'éleveur, il importait de la traire à part, une fois que toutes les autres étaient passées dans la salle de traite automatique, elle qui ne mettait plus jamais les sabots dans la stabulation libre. Un traitement de faveur qui augmentait le ressentiment des autres à son égard.

La suite n'arrangea en rien les choses. Le climat se tendait entre les organisations agricoles et un pouvoir qui agissait à l'encontre de nombre de ses déclarations en faveur du monde paysan. La tension était telle que l'éleveur de Marguerite décida de participer à des manifestations. Contrairement à ses homologues, il ne vint pas en tracteur mais flanqué de Marguerite qui était devenu entre-temps, par la magie de son action d'éclat contre le Président, une véritable vedette des écrans et des médias.

Les forces de l'ordre, averties par les renseignements généraux de son intention, prirent des dispositions pour contrer les agissements d'une vache qui avait mauvais caractère. La brigade de CRS appelée pour juguler la colère paysanne fut exceptionnellement équipée de nerfs de bœufs en lieu et place de l'incontournable matraque. Une mesure aussi symbolique que déplorable compte tenu de ce qui va suivre…

Illustration 3

Marguerite en tête de cortège se trouva face à un cordon de gardes mobiles qui n'entendaient pas reculer devant les cornes de la dame. Celle-ci, encouragée par les cris de la foule chargea la première contre ce troupeau tout de noir vêtu. Elle reçut quelques coups de nerfs de bœufs ce qui, au lieu de la calmer, firent ressurgir les lointains instincts de son espèce avant la domestication. Désormais il fallait surveiller Marguerite comme le lait sur le feu.

Ce ne fut hélas guère possible dans la cohue et la porte-parole des revendications paysannes, les cornes en ordre de bataille, tourna casaque pour s'en aller bousculer madame la préfète qui venait superviser les opérations de répression. Une nouvelle fois, la vache joua de son arsenal intestin pour salir la représentation nationale, feignant même de saillir la haute dignitaire qui en perdit toute sa dignité.

L'incident fut naturellement filmé et fit le tour de toutes les chaînes d'information ainsi que des réseaux sociaux. Marguerite devenait le porte-drapeau de la contestation paysanne, un symbole d'autant plus fort que c'était une bête de fort belle tournure, très photogénique avec des yeux de biche qui devinrent rapidement la figure iconique de la lutte rurale.

Illustration 4

Les ordres en haut lieu furent formels. Il fallait réduire la contestation à sa base et en tout premier lieu, abattre celle qui s'en prenait ouvertement à l'honneur de la représentation nationale. Un ordre fut donné pour agir avec la plus extrême diligence tout en prétextant un cas de dermatose nodulaire bovine dans le troupeau en question.

Un tel ordre, trouve naturellement sa chaîne de complicité dans l'administration française et rapidement le troupeau de ce brave éleveur fut déclaré touché par la contamination. L'abattage devait avoir lieu sans tarder en dépit d'une chaîne de solidarité pour empêcher ce massacre. Des hélicoptères et des Centaures, non pas une créature mi homme mi cheval mais bel et bien un char d'assaut pour attaquer des vaches, furent déployés avec une armée de ce bras séculier qui obéit aux ordres les plus abjectes sans le moindre état d'âme.

Toutes les bêtes du troupeau furent ainsi exterminées malgré des sympathisants et des manifestants bien décidés à voler au secours de cet éleveur et de ses vaches. Toutes ? Non ! Marguerite, compte tenu de son traitement de faveur avait été remisée à l'écart une nouvelle fois et ce coup-ci, pour des raisons de logistique, dans une autre ferme de la région.

Quand Marguerite après trois jours de clandestinité, revint sur les manifestations agricoles, elle fut immédiatement reconnue et célébrée. Plus fort encore, certains affirmèrent qu'elle venait de ressusciter d'entre les morts. Elle devint une véritable icône de la contestation qui prit soudainement des allures de révolution.

Marguerite sauve sa peau © C'est Nabum

Ce fut de mémoire d'historien la première fois qu'un nouveau slogan remplaça l'habituel « Mort aux vaches ! » qui avait jusqu'alors cours dans les grandes insurrections populaires. Sous le slogan fédérateur de « Longue vie à Marguerite » le peuple dans un immense mouvement de fronde renversa ce gouvernement de la honte et de l’écocide ainsi que celui qui tirait les ficelles à l'abri de son palais.

Personne n'avait eu la peau de Marguerite qui fut immédiatement rangée au rang de personnalité nationale et de symbole de cette nouvelle République, renvoyant le coq sur son tas de fumier. De cette jacquerie, une nouvelle constitution s'imposa tandis que la France quittait une Europe aux mains des intérêts transnationaux et des puissances de l'argent dans le mépris le plus total du peuple.

Marguerite acheva ses jours dans l'affection d'un peuple reconnaissant et à sa mort, sa dépouille entra au Panthéon lors d'une cérémonie particulièrement émouvante.

Illustration 6
© Seymer

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