Les chantres du « Moi, je … »
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Le solipsisme est une forme de conversation avec soi-même, le sujet touché par ce travers se retrouvant fort bien en sa propre compagnie sans pour autant ignorer les autres puisqu'il fait de ses états d'âme, de ses activités, de ses pensées la clef de voûte de ses communications avec eux, notamment ces êtres mystérieux qu'il rencontre de préférence sur la toile.
Si l'égocentriste pousse le bouchon à se penser centre du monde et objet unique de ses inquiétudes, son homologue se fait fort de ne parler que de lui, thème de communication qui au-delà de l'intéresser au plus haut point, constitue selon lui-même, la préoccupation essentielle de tous ceux qui prétendent être ses amis. Quant aux autres, comme ils n'existent pas à ses yeux toujours braqués sur son miroir, il se fait un devoir de les ignorer souverainement.
S'il me prend ici l'envie d'évoquer ce mal profond qui touche nombre de nos contemporains c'est que sur les réseaux sociaux, nous constatons avec effarement, une épidémie de cette altération de la personnalité. Les publications de ces individus prennent un malin plaisir à s'accompagner de photographies du sujet en question au premier plan, souvent exposé à l'écran par la magie du selfie, ce syndrome le plus courant, annonciateur de cette terrible affection mentale.
Le commentaire qui accompagne le cliché se décline à la première personne du singulier pour les personnes les moins atteintes alors que d'autres usent de la troisième personne pour décrire un personnage si singulier qu'il occupe tout l'écran en abolissant tous les autres. Notons au passage que nous pouvons identifier ce syndrome chez de nombreux candidats à la fonction de premier magistrat de leur cité, expression du reste qui n'augure rien de bon quant à leur manière ultérieure de gouverner.
Ajoutons dans cette logique, que pour enfoncer le clou et confirmer par là même le diagnostic, l'individu en question posera seul sur son affiche électorale, attestant de sa volonté de ne pas partager le pouvoir avec ceux qui se doivent de rester dans son ombre. La notion d'équipe se dissout dans toutes les manifestations du Solipsisme, ce mal terrifiant qui rend caduque la démocratie locale quand l'édile en souffre inexorablement.
Bien sûr, d'autres catégories partagent cette douloureuse tare de la personnalité et il n'est qu'à les écouter débuter leurs propos par ce « Moi, je » qui devrait déclencher le signal d'alarme de leurs proches. Remarquons que lorsqu'ils parviennent miraculeusement à citer d'autres personnes de leur entourage notamment, ils commencent toujours par citer le centre du monde avant que d'évoquer leurs satellites. Ainsi, pour ceux qui ne comprendraient pas mon propos, décrivent-ils une situation en déclarant : « Il y a moi, ma petite sœur et une amie ! »
Je devine que vous êtes en train de dresser la longue liste des personnes dans votre entourage frappées par ce mal sournois. Il faut bien admettre que le Solipsisme gagne du terrain de manière exponentielle dans notre société et qu'il y a tout lieu de s'alarmer d'autant qu'immanquablement ceci s'accompagne par une raréfaction automatique et concomitante de l'empathie, de la courtoisie, de la prise en compte de l'autre.
Les lieux d'observation de ce phénomène sont multiples. Je citerai en premier lieu la route en élargissant ce concept qui déborde largement le cadre de la seule chaussée. Les premiers signes de ce trouble apparaissent avec la suppression de l'usage du clignotant, la multiplication des incivilités routières, l'arrêt inopiné sur la route pour discuter avec un comparse, le parcage sur des espaces interdits ou réservés à des usagers bénéficiant d'une priorité…
Le syndrome s'amplifie avec l'usage du portable qui, quand il n'est pas destiné à filmer les déplacements et évolutions de ce « Moi, je » solaire, permet de servir de haut-parleur pour donner à tout à chacun l'immense privilège d'écouter en tous lieux et toutes circonstances la conversation de ce prodigieux individu qui pense étrangement que sa vie privée constitue notre principal sujet de préoccupation.
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